Tiré du susu (une langue du terroir), ce vocable signifie littéralement : saute ! Il est usité par bon nombre d’automobilistes, surtout les taximen. Qui sont prompts à vous le balancer à la figure, l’air hargneux, sinon arrogant ou provocateur. Ils le crient dans votre direction avec une gestuelle très suggestive pour accompagner leur jactance. Vous devinez immédiatement ce que l’on attend de vous. Vous avez le choix entre sauter avec votre véhicule par-dessus le leur ou attendre patiemment qu’ils veuillent bien libérer le passage.
Tout cela se déroule sur fond de provocation délibérée et d’incorrection notoire. A la limite de l’insolence. Ils vous trouvent trop pressés à leur goût et obstruent délibérément la voie. A vouloir répondre, vous vous rabaissez à leur niveau et ça dégénère le plus souvent en violences verbales et même bagarres, quelquefois.
De quelque strate socio professionnelle que vous soyez, vous n’êtes pas à l’abri. Même les cadres ou les personnages d’apparence, des plus respectables qui soient, sont sujets à pareils incidents. Le comble, c’est qu’ils ont en face d’eux des chauffards, qui ressemblent étrangement à leurs véhicules. L’air délabrés, dépenaillés et hirsutes, ils n’ont rien à perdre. Un ennui de plus ne les dérange guère. Casquette de travers, un tricot sale ou sinon une chemise délavée et débraillée leur couvrant le torse, le verbe haut, ils sont très portés à la palabre. Les coups de gueule, les tracasseries et autres stress au quotidien dans la circulation, ça les connaît ! Ils sont endurcis, comme vaccinés. Passes d’armes et échanges aigres-doux ne les rebutent point. En voici un échantillon : la circulation, auparavant fluide et très passante s’arrête subitement devant un obstacle. Un véhicule est immobilisé en panne au beau milieu de la chaussée. Son conducteur s’affaire à le réparer, sans se soucier de la gêne qu’il occasionne. Le premier à le trouver sur les lieux patiente quelques minutes ponctuées de coups de klaxon répétitifs. L’impatience de ceux qui suivent derrière le pousse à amorcer un dialogue qui va vite s’avérer corsé. L’automobiliste en panne, capot ouvert ou cric soulevé est plein de hargne. Ses réponses prouvent aisément qu’il n’est pas partant pour un dialogue constructif :
-Vous aussi, laissez-nous passer ! Alla ni anabi bè (au nom de Dieu et de son Prophète)
-I ya mouna ? Tu n’as pas d’yeux?
-Mais, vous êtes au milieu de la route… (Après un petit silence)
– Vous ne voyez donc pas que je répare mon véhicule ? Ou bien, ça vous dérange. Vous êtes contre ? Vous pensez que ça me fait plaisir ou que je fais exprès ?
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– Non monsieur, la question n’est pas là. Vous bloquez la circulation.
-Que voulez-vous que j’y fasse ? Je suis en panne. D’ailleurs laissez-moi tranquille.
-C’était mieux que vous poussiez votre véhicule en dehors de la chaussée.
-Mais toi là, dans tout ça, y a quoi même ? Quel est ton problème ? Tu veux me provoquer ? D’ailleurs, tu es qui pour me parler comme ça ? Tu sais à qui tu as affaire ? ( vous remarquerez qu’on a déjà cessé de vouvoyer le demandeur et s’il insiste, ce qui arrive souvent face à pareille situation, on lui sort sans tarder la grosse artillerie et les mots ne sont plus agréables, du tout)
–Fous le camp, escroc, va te plaindre où tu veux.
La communication tempérée s’arrête là. Au-delà, c’est un silence méprisant qui s’en suit. Avant le fameux tougan, hurlé ou mimé.
Il faut quand même admettre qu’il y a des moments où ce mot, si cassant et impératif se justifie. Un automobiliste impatient veut à tout prix remonter une file de véhicules. Il tente de dépasser tout le monde, pendant que devant lui la voie n’est pas libre. Il talonne, klaxonne et importune sans répit. Tougan est bien fait et dit, pour lui. Hélas, avec les conséquences qui s’en suivent, presque toujours !