« La peur du gendarme est le commencement de la sagesse. » Nous avons retenu cette citation pour parler du sens qu’on peut lui donner dans le contexte routier.
Il est vrai qu’autour de nous, dans la vie de tous les jours, on a tous entendu un jour ou l’autre, prononcer cette phrase.
A priori, elle nous inspire une exclamation: que voilà une citation, courte et facile à répéter !, dirons-nous d’emblée. A juste raison d’ailleurs. Mais, pour autant, gardons-nous de la prendre pour aussi simpliste, voire banale qu’on pourrait le penser, de prime abord.
Malgré sa concision, elle reste à n’en pas douter, une phrase sibylline qu’on ne déchiffre pas aussi facilement. C’est comme un langage codé, réservé aux initiés. Mais, trêve de mystification, tentons d’en comprendre l’essence.
Toutes les personnes sollicitées jusqu’à maintenant ont été unanimes à admettre que cette phrase contient tout d’abord, un caractère dissuasif dans lequel l’individu est plongé, à sa simple lecture ou évocation. Elle provoque aussi un réflexe pour réfréner les pulsions qui poussent à mal agir. Et comme réaction en arrière-plan, l’idée de coercition ou sinon de répression est la dernière qui s’invite dans l’esprit du citoyen, surtout lorsqu’il entreprend de commettre l’infraction, malgré tout et en connaissance de cause.
On pourrait donc dire, de façon lapidaire : qui a peur du gendarme, du coup s’amende, dès qu’il l’évoque en pensée ou le voit en personne.
Le mot gendarme est utilisé aujourd’hui dans le jargon politique, économique, financier et bien d’autres encore, comme pour induire une idée de domination ou de contrôle tutélaire : le gendarme du monde, le gendarme de la finance, de la cybernétique, etc.
Il existe aussi, sous forme de verbe et de verbe pronominal : gendarmer, se gendarmer. (cf. petit Larousse 2010)
Dans la circulation routière, le ralentisseur est aussi appelé « gendarme couché ». L’analogie est faite pour inspirer ou rappeler à la prudence nécessaire au franchissement de l’ouvrage. Pour passer sur un ralentisseur, tout conducteur est astreint à rouler doucement (le code de la route recommande 30km/h), faute de quoi il endommage les amortisseurs de son véhicule. Ce qui lui cause des préjudices financiers. Tout cela, le conducteur le sait déjà et voilà qu’on lui rajoute l’idée de rouler sur un ‘’gendarme couché’’. C’est bien le maximum de rappel qu’on pouvait lui faire, quant au danger qu’il y a à franchir un tel endroit et à la prudence nécessaire pour le réussir.
Il est évident qu’il prendra un maximum de précautions pour passer avec son véhicule sur ce ‘’gendarme couché’’, sans lui faire du mal et devoir en subir les conséquences. Lesquelles, il imagine bien, sont assez sévères pour ne pas souhaiter les vivre, même en pensée.
Du coup, la prévention routière gagne un pari : les véhicules franchissent les ralentisseurs sans dommage et sans accident !
Cette esquisse de définitions s’illustre parfaitement dans la circulation routière.
Il suffit qu’un conducteur aperçoive, même de loin, un agent sur la route, pour qu’il relâche la pression sur l’accélérateur. Son véhicule ralentit aussitôt. Et l’avantage qu’on en tire est une réduction de la vitesse et conséquemment un renforcement de la sécurité routière.
Des expériences conduites par des spécialistes ont conduit au même résultat avec la simple silhouette découpée du gendarme que l’on aperçoit de loin ou une carcasse de moto de contrôle routier garée ou, tout simplement, représentée en image sur un tableau.
Du premier coup et malgré qu’il s’agisse d’illusion, l’effet pour ne pas dire le réflexe a toujours été le même. Parcourons plutôt ce petit récit :
Un véhicule roule depuis un moment en rase campagne. Le paysage aux couleurs variées qui défile est enchanteur. Le calme alentour qui enveloppe les voyageurs, pousse à la rêverie. Le moment est agréable, prenant. Ce ronron ambiant encourage le chauffeur à monter graduellement les vitesses pour rouler vite et encore plus vite. La distance est encore longue avant la prochaine agglomération et il se sent libre et seul sur la route. Soudain, à la sortie d’une courbe négociée sur un crissement de pneus, un des passagers coincé, à côté de lui l’apostrophe vivement en lui secouant l’épaule, de son bras tendu :
– Maître, maître !!!, Mais qu’est ce que tu fais là, à conduire comme ça ? Tu veux nous tuer? Tu ne vois pas les agents ?
D’un ton agacé, le chauffeur rétorque d’une voix monocorde :
-Les agents ? Où çà?
– Mais, voyons, toi aussi. Là-bas, regarde bien… devant! Tu ne vois pas ?
Quelques instants passent, qui paraissent une éternité pour les passagers, anxieux, se sachant en surnombre et bien serrés dans le véhicule et qui ont appris de leur chauffeur depuis l’embarquement à la gare routière, qu’il n’avait pas ses papiers au complet.
–J’ai l’impression que tu roules à nous faire prendre. Qu’est ce que tu veux au juste ? Ne nous fais pas regretter de voyager avec toi. Tu veux nous causer un retard quand ils vont t’attraper ?
A ce moment précis, le conducteur aperçoit… enfin, l’agent, encore loin devant ! Il se détend aussitôt et tourne le regard vers son ‘’bienfaiteur‘’ de passager inconfortablement assis à ses côtés, pratiquement entre les deux sièges. Il l’invite gentiment à se pousser un peu pour rétrograder les vitesses, avant de dire :
-0h ! Merci, mon grand. Là, tu m’as beaucoup aidé. Je le vois, cet agent. C’est justement le plus méchant du groupe qui évolue ici. Wallahi !, (au nom de Dieu) celui-là, il m’aurait fatigué beaucoup, si tu ne m’avais pas averti à temps. 0n dirait qu’il se cache pour bondir sur les gens au dernier moment. Maintenant, wonkhay toun,(allons seulement), on va voir !
Aussitôt dit, notre chauffeur ayant entrevu l’agent au loin, a réagi : il a libéré l’accélérateur en levant son pied dessus, il a réduit la vitesse en freinant et rétrogradant. Et, pour compléter le tableau, le voilà qui ’’brandit‘’ en un clin d’œil, un large sourire théâtral, dédié à monsieur l’agent, avant même d’arriver à sa hauteur. Il l’aime bien non, malgré tout ce qu’il vient d’en dire, il y a quelques instants? Comprenez donc qu’il veuille le saluer avec la déférence qui sied. En toute sincérité !!!
Toute la litanie de courtoisie simulée et d’obséquiosité feinte est alignée pour convaincre l’agent de son amitié, de son comportement citoyen exemplaire et tout le reste. Sans croire à rien de tout ce qu’il aura dit. C’est fait juste pour passer ‘’propre’’ devant le gendarme:
-Allo ! Monsieur l’agent, bonsoir ! La journée est bonne ? ; Votre travail est bon ; la tenue vous va bien ; tout le monde me connait ici ; je passe tous les jours ; je ne vais pas loin ; je reviens tout de suite. Merci chef ; vous pouvez toujours compter sur moi, en cas, etc
Voilà un peu comment se déroule la circulation chaque jour chez nous.
La présence des agents est très dissuasive. De là à dire qu’ils font peur aux usagers, ce n’est pas exactement cela. Il ne s’agit pas de peur physique qu’on ressent lorsqu’on s’attend à être battu, violenté, mais d’une peur autre qui tient à un aspect psychologique plutôt moralisateur, comme de la gêne ou de la honte qu’on éprouve lorsqu’on est interpellé pour des manquements aux règles de la circulation. On a des appréhensions à être immobilisé et à devoir perdre du temps, donc des opportunités. Pire encore, on s’inquiète davantage, lorsque ce qu’on a fait nous conduit à d’autres conséquences comme la fourrière ou le tribunal. Entre agents et usagers, c’est le : « je t’aime, moi non plus ». Chacun invective l’autre et en parle comme s’il s’agit d’un ennemi irréductible. Ne vous y fiez point. Ils sont indissociables, un peu comme larrons en foire. S’il y a des agents, c’est bien parce qu’il y a des usagers. L’un ne va pas sans l’autre. C’est une évidence. Nous devons nous y faire.
Dans ce lot d’acteurs, il y a dans chaque camp, des bons et des mauvais.
Si les usagers, dans leur grande majorité sont de tempérament plutôt zen, donc convenable, gérable, il y en a par contre qui sont tout le contraire. C’est la frange qu’on pourrait intituler des ‘têtes brûlées’, ‘sang chaud’, ‘nerveux’, ‘irascibles’, la liste des synonymes est longue. Avec eux, les agents n’ont pas la paix. Les mots prononcés, le ton utilisé sont des plus sonnants, violents et variés : ‘’Pourquoi vous m’arrêtez ? ‘’Vous savez qui je suis ? ,’’ ’’Pourquoi ce contrôle ?’’, ’’Je m’en fous ;’’ ’’Faites ce que vous voulez.’’
C’est le comportement imputé aux usagers généralement stressés, allergiques à toute interpellation et qui s’irritent pour un rien. Ils affichent leur déconvenue avec rage, face aux agents ou quelquefois marmonnent tout bas leur courroux ou ressentiment infondé. Les agents savent en général que, de la part de cette frange d’usagers, ils sont objet d’insultes et de malédictions au quotidien.
Notre propos, pour être objectif, honnête et équilibré, sera de reconnaître que des deux côtés il y a des failles à combler. Nous avons évoqué et stigmatisé le comportement des usagers, mais il y a aussi celui des agents qui n’est pas dénué de reproches. Loin de là. Certains d’entre eux, sur le terrain, se rendent coupables de comportements jugés indélicats, de tracasseries, de manquements et d’abus divers.
Pour autant et malgré le caractère urgent qui en découle, cette situation n’est point désespérante en soi. Etant entendu que les agents coupables de ces manquements, appartiennent à une institution qui dispose de tous les moyens et stratégies nécessaires pour apporter les correctifs qu’il faut. Et c’est dans ce cadre qu’il faut placer les séries de recyclages et formations organisées à l’interne, tant à la gendarmerie qu’à la police, dans le but d’asseoir une sécurité routière gérée par des professionnels au sens éthique et déontologique éprouvés.
En attendant, les mauvais usagers qui subissent des contrôles, à bon ou mauvais compte, s’en vont, jubilant ou pestant selon les cas, pour replonger encore quelques kilomètres plus loin, dans leurs mauvaises habitudes… jusqu’au prochain contrôle.
Ce cycle se répète ainsi chez nous, depuis bien longtemps déjà. Jusqu’à quand? Bonne question !