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Cherté de la vie :  Face à la colère des populations, les commerçants  accusent les autorités…

Jacques Diouf, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, avertissait que si aucune mesure efficace n’est prise pour faire baisser le coût des denrées alimentaires, et que  les populations ont l’impression d’être au bord de la famine, «elles ne se laisseront pas mourir sans rien faire. Elles réagiront ». Le Député Oumar Sidibé dit Joe Bebeto, député uninominal de Dixinn et de la mouvance présidentielle, avait enfoncé le clou en pleine session parlementaire, en dénonçant dans son langage propre à lui, la cherté de la vie constatée dans le marché de sa commune. Son intervention avait fait exploser  l’Hémicycle de rire. Et  pourtant c’était la stricte vérité.

La colère des ménagères

Aujourd’hui dans les marchés de Conakry  – et dans presque toutes les villes de l’intérieur du pays – des ménagères ne font plus preuve de retenue. Excédées par la forte hausse du prix des produits de première nécessité, des moyens de transports et d’autres dépenses de base, elles expriment leur colère et exigent que les pouvoirs publics prennent rapidement les mesures nécessaires pour enrayer  cette augmentation du coût de la vie.

«Tenez ! Un tas de gombo frais se négocie aujourd’hui à 2000 francs, le bidon d’huile rouge, celui d’huile végétale, le carton de sucre, l’alvéole d’œufs ne sont plus à la portée du panier de la ménagère. Le kilogramme de viande coûte actuellement 65 000 francs, le poisson on n’en parle pas. Tout coûte cher. Il faut faire de la gymnastique chaque jour dans les marchés pour joindre les deux bouts. Où allons-nous ? Qu’on nous explique réellement ce qui se passe », s’exclame dame Kadi, rencontrée au marché Niger, à Kaloum. Elle continue. « Normalement, lorsque les prix augmentent, le gouvernement devrait réagir rapidement en supprimant les droits de douane sur les aliments de premières nécessité. Mais jamais en Guinée l’Etat n’a songé mettre les populations à l’aise face à de telles situations».

 « Trop c’est trop ! Ça suffit ! Les prix augmentent  chaque jour. Un pays où on ne revoit jamais les prix à la baisse », s’exclame Mohamed Ly, “Et comme nous n’avons pas un cadre d’expression avec les autorités, nous allons nous exprimer  un jour à travers la rue pour montrer notre mécontentement. » Quant à cette autre dame croisée au grand marché de Madina, elle n’a pu contenir sa colère contre les autorités : «la vie est trop chère » et « nous avons faim … Ce n’est pas ce qu’on nous a promis lors des campagnes. Non. Le changement ne signifie pas souffrance…Wallaii-Billaii . Le changement ne veut pas dire exposer sa population à la souffrance. C’est mettre ses concitoyens à l’abri du besoin. C’est ce qu’on attend de nos autorités»

Les commerçants accusent le gouvernement

Lors de notre visite dans les marchés de Conakry, nous avons eu à échanger avec les commerçants sur l’augmentation des prix des produits de grandes consommations.  Comme il fallait s’y attendre, ils accusent tous la situation sanitaire qui secoue le monde depuis deux ans. Sans oublier bien sûr la fermeture des frontières de certains pays voisins qui approvisionnaient nos villes en produits de premières nécessités. « …Les clients nous accusent et pourtant ce n’est pas de notre faute. Depuis le mois de mars 2020, les marchandises n’arrivaient plus correctement. Ça met du temps avant d’avoir des marchandises. Le Covid-19 a été la principale cause des problèmes de cherté de  vie. Le monde entier en souffre jusqu’ici. On n’a pas de choix si ce n’est d’augmenter légèrement les prix. Les marchandises ne venaient plus et les stocks s’épuisaient. On était confronté à une crise ! D’où l’augmentation des prix des denrées ! L’importateur qui a du mal à avoir ses marchandises, pensez-vous qu’il va les bazarder à vil prix ? Il faut qu’il récupère ce qu’il a perdu ! C’est la triste réalité. Mais c’est ça la vérité malheureusement  », regrette ainsi Mame F. Dioum, vendeuse de condiments au grand marché de Madina.

Pour El hadj B. Barry, commerçant à Madina, boutique no 460, face à la gare routière de Siguiri, tout ce qui se passe aujourd’hui dans les marchés, est dû à la fermeture des frontières entre la Guinée et certains pays voisins. « Comment voulez-vous que les choses ne soient pas chères ? Avec la crise de Covid-19 qui n’a épargné personne, si le gouvernement ferme les frontières des pays qui nous ravitaillent en denrées de premières nécessités, c’est évident qu’on assiste à cette cherté de vie ! Déjà on a assez de problèmes avec le manque de voies de communications à l’intérieur du pays. Les produits vivriers sont difficilement acheminés sur les marchés du pays. Si on ferme les frontières, c’est multiplier les difficultés et faire souffrir les populations. Nous les commerçants, nous aussi nous sommes victimes », se lamente le vieil homme assis devant sa boutique.

Au marché de Kaporo où nous nous sommes rendus, c’est la même colère. Les clients et autres vendeuses de condiments sont unanimes. Selon eux, c’est l’Etat qui occasionne la flambée des prix. « C’est l’Etat ! Les gens ne sont pas responsables ! Un Etat qui est incapable de maitriser  et fixer les prix des marchandises, de mettre de l’ordre dans le commerce, livre sa population à la spéculation sur des prix  des produits de grande consommation. Pis, jusqu’ici , ni le Président de la République, ni son Premier ministre, aucun membre du gouvernement ne s’est rendu sur le terrain pour constater la réalité des choses. Comment nos autorités peuvent-elles, dans ce cas, contrôler les prix des produits d’alimentation», s’interroge Ibrahima Sory Bangoura, enseignant à l’École Primaire Publique de Kaporo, venu faire des achats dans une alimentation du marché.

Pour cet enseignant, l’Etat est responsable de la cherté de la vie pour  son « indifférence » et le « manque de contrôle des prix ». Par ailleurs, les commerçants vont jusqu’à dénoncer les taxes élevées à la douane et aux impôts. « …Vous parlez de cherté de la vie. Pourquoi vous n’allez pas interroger les services des impôts  qui ont augmenté les taxes sur les marchandises ? Allez à la Direction de la Douane demander aux responsables, les raisons de la hausse des taxes à l’importation des produits de premières nécessités ! Nous sommes le dernier maillon de la chaîne. Quand on serre en haut, on est coincé et les clients sont étouffés. C’est très simple à comprendre messieurs les journalistes », ironise Mohamed K. Sow, grossiste au marché d’Anta.

Au ministère du commerce et à la chambre du commerce, on parle de la mauvaise foi des commerçants

Au ministère du commerce, Alhassane Koïvogui, conseiller à la direction du contrôle des prix, ne nous a pas fait attendre pour « cracher » ses vérités aux commerçants qu’ils soupçonnent d’être à la solde des politiciens. « La Guinée est dans la même situation que tous les pays du monde frappés par la pandémie de Covid-19. Cette crise sanitaire internationale a asphyxié tous les pays. Même les plus nantis ont souffert de ce mal commun. Mais vous savez, nos commerçants sont de mauvaise foi. Ils ont agi avec l’arrière-pensée politique. N’oubliez pas que les 75% sont militants des partis de l’opposition ! Ne pouvant plus fermer boutiques et magasins sous le faux spectre de mot d’ordre de ville-morte et que sais-je encore,  ils profitent pour augmenter, d’une manière fantaisiste les prix des denrées alimentaires. Tout ceci pour provoquer la colère des populations contre le gouvernement. C’est fait à dessein et ce n’est pas sérieux ! Sinon le poisson, la viande, le poulet du pays, le piment, le sel, l’huile, tous ces produits à notre portée, comment peut-on augmenter leurs prix ? Même le savon fabriqué localement a connu une hausse de prix », s’indigne le conseiller Koïvogui qui nous apprend que les dispositions sont en train d’être prises pour barrer la route à ceux qu’il qualifie de « commerçants véreux ».

A la Chambre du Commerce où nous sommes rendus, les responsables affirment être « sérieusement préoccupés » de la situation de cherté de vie due à la flambée des prix constatée sur les marchés. Refusant tout autre commentaire, ils n’ont pas voulu aller loin en acceptant de répondre à nos questions. Cependant, ils projettent nous rencontrer au « moment opportun », c’est-à- après « avoir consulté le ministère de tutelle et tous les acteurs impliqués dans le commerce ». Pour l’heure, rien n’est prévu pour freiner la hausse des prix des marchandises. Les Guinéens peuvent prendre leur mal en patience.

Pour Issiagha Camara, inspecteur financier  au ministère de l’Economie, interrogé sur le sujet, dira que la crise d’Ebola a été à la base de la cherté de la vie qui pèse sur les Guinéens. « Cette crise liée au Covid-19, inédite au niveau mondiale a secoué la Guinée comme tous les pays du monde. Heureusement d’ailleurs que la réactivité des autorités nous a permis d’éviter la catastrophe sanitaire. L’épidémie a eu un impact direct sur l’économie nationale. C’est grâce à l’action conjuguée du gouvernement et du secteur privé que notre pays a évité d’entrer en récession. Des mesures qui ont été prises ont permis l’assouplissement de la charge fiscale à travers des différés dans le paiement  de l’impôt, des factures d’eau et d’électricité. Les gens ne parleront pas de ça aujourd’hui ! Tout le monde est braqué contre le gouvernement. La crise sanitaire a eu des effets sur le fonctionnement des entreprises commerciales avec notamment des ruptures de chaines d’approvisionnement et des baisses d’activités. Donc la cherté de la vie dont vous faites cas n’est que la suite logique  de la crise sanitaire connue et vécue de tous », soutient le financier.

Mais attention ! On se rappelle comme si c’était hier. Les premiers mouvements de contestation les plus spectaculaires ont eu lieu en janvier et février 2007, lorsque des manifestations antigouvernementales ont suscité une répression qui a fait près de 200 morts et entraîné une profonde crise. Les revendications étaient certes politiques, mais économiques, motivées par le mécontentement envers le gouvernement et l’indignation de la population face à la détérioration des conditions de vie. Des manifestations sporadiques ont été organisées tout au long de l’année et à la mi-février 2008 où des émeutes causées par le prix élevé des aliments ont de nouveau éclaté à Ratoma avec ce que nous connaissions comme dégâts.

 Retenons que, les manifestants d’alors ont exprimé leur colère non seulement contre le prix élevé des aliments et de l’essence, mais également contre les pouvoirs publics qu’ils tiennent responsables de cette situation.

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