Dernières Nouvelles de la Guinée par les Guinéens
Pub Elysian

CEDEAO, un Guinexit partiel est il envisageable?

La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, son instance suprême de décisions, serait elle devenue un obstacle aux aspirations démocratiques des peuples de l’Afrique de l’ouest ? La question mérite d’être posée lorsqu’on voit d’une part, la précipitation avec laquelle cette instance condamne et sanctionne les auteurs des coups d’État militaires, et d’autre part, l’indifférence avec laquelle elle regarde les coups d’État constitutionnels se dérouler, alors même que dans les deux cas, il s’agit de « rupture de la démocratie » au sens du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.

La raison qui explique la réserve des chefs d’État de la CEDEAO face à un coup d’État constitutionnel n’est plus un secret. Elle réside dans la réciprocité que tout président en exercice attend de ses autres collègues, s’il fait la même chose chez lui. En clair, il s’agit de construire un bloc de solidarité pour se protéger des aspirations démocratiques des peuples. Les rares pays, la Guinée Bissau et le Libéria qui essaient de se démarquer de cette pratique sont mal vus par la grande majorité de chefs d’État qui a horreur du changement. Tout ceci a fini par achever la construction du mur de défiance entre les chefs d’Etat de la CEDEAO et leurs peuples, comme en témoigne la sortie des populations pour huer la délégation de haut niveau de la CEDEAO qui a foulé le sol guinéen le 17 septembre dernier, soit un jour après la sanction par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la junte militaire qui a renversé le président en exercice, Alpha Condé, le 5 septembre.

Il faut rappeler qu’au départ, la CEDEAO est une organisation sous régionale qui a essentiellement une vocation économique (intégration des économies nationales, libre circulation des biens et des personnes, et aujourd’hui ambition de créer une monnaie unique). Dans les années 90, avec les guerres civiles du Liberia et de la Sierra Leone, elle a connu un virage sécuritaire à travers la mise en place d’une force d’interposition (ECOMOG) dont l’objectif était de réstaurer la paix et la sécurité dans ces deux pays. L’engagement de la CEDEAO en faveur de la paix et de la sécurité sous régionale a pris une dimension significative en 1999, lors de  l’adoption par ses Etats membres du Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des conflits. Mais aussi en 2001 lors de l’adoption du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au premier Protocole. Ce dernier Protocole a le mérite de faire un lien direct entre la sécurité sous régionale et la démocratie dans les Etats, d’une part, et d’autre part, entre la sécurité et la bonne gouvernance.

En 2005, le Protocole additionnel portant amendement du Protocole relatif à la Cour de justice de la communauté permettra à la CEDEAO de faire une ouverture sur le terrain des droits de l’homme. Il donne en effet le droit aux personnes physiques et morales d’attaquer pour illégalité les actes communautaires leur faisant grief, mais aussi la possibilité de porter devant la cour la violation de leurs droits droits fondamentaux par les Etats.

Outre sa compétence en matière économique, la CEDEAO a développé au fil du temps de nouveaux champs de compétences dans les domaines suivants: paix, sécurité, démocratie, et droits de l’homme. Il s’agit là d’avancées notables à mettre à l’actif de la CEDEAO.

Toutefois, le plus gros problème de l’organisation vient de la mise en oeuvre adéquate de ses instruments juridiques. Sur le plan de la démocratie en particulier, la Conférence des chefs d’État est carrément aux antipodes des aspirations démocratiques des peuples et ses prises de position jettent le discrédit le plus total sur l’organisation. Les chefs d’État ont tendance à transporter sur l’espace commun et sur les peuples, les pratiques antidémocratiques et méprisantes en matière de droits de l’homme, qu’ils ont dans leurs pays respectifs. En matière de respect de l’État de droit, la CEDEAO se comporte exactement comme la plupart de ses Etats membres qui violent le textes fondateurs.

Au regard justement des pratiques de la Conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO sur les questions de respect de la démocratie et des droits de l’homme, il est important que les choses changent et que la rupture de la démocratie puisse être imputée aux gouvernements qui piétinent  le processus démocratique dans leurs  pays. Si la rupture de la démocratie est du fait d’un gouvernement, celui-ci doit être condamné, comme l’est l’auteur d’un coup de force. En dehors d’un engagement ferme des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO dans ce sens, il ne serait pas superflu que la Guinée envisage sereinement sa sortie de cette organisation, du moins de ses instruments relatifs à démocratie et à la bonne gouvernance. Elle doit cependant continuer à faire partie de ses instruments à caractère économiques. La sortie partielle de la Guinée de la CEDEAO,  l’amènerait à ne plus être associée aux décisions controversées prises par ce « syndicat » de chefs d’Etat dans le cadre du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Mais ceci ne l’empêche nullement,  en tant qu’État souverain, d’avoir sa propre position sur la violation des droits humains et de la démocratie dans un Etat donné.

Parallèlement à cette sortie partielle, la Guinée devrait marquer sa forte adhésion au respect des droits fondamentaux et de la démocratie, en ratifiant le Protocole de Ouagadougou de 1998 sur la Cour africaine des droits de l’homme. Mais aussi en acceptant que ses citoyens et ONGs puissent saisir cette cour en cas d’allégations de violations de leurs droits garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. La Guinee a tracé en 1958, la voie de l’indépendance de l’Afrique. Aujourd’hui, dans l’espace CEDEAO, rien ne l’empêche, à travers une sortie partielle, de protester vigoureusement contre le mépris par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement du droit des peuples à être gouvernés selon les principes démocratiques.

Youssouf Sylla, analyste.
vous pourriez aussi aimer
commentaires
Loading...