Tout porte à croire que l’alternance au pouvoir n’aura pas lieu au moyen des élections. Car, la candidature du président Alpha Condé pour un troisième mandat étant de plus en plus certaine, on voit mal comment celle-ci pourrait se solder par une défaite électorale. De même, le manque d’indépendance de la Ceni (commission électorale nationale indépendante), placé sous la tutelle du président, l’empêche d’organiser une élection transparente et objective. Il y a aussi tout un réseau de privilégiés qui n’a aucun intérêt à ce que l’alternance politique ait lieu. Pour eux, les élections ne sont qu’un mécanisme permettant de reconfirmer les positions de pouvoir, conçues comme des droits naturels inaliénables. Dans cette situation où le pouvoir et les fonctions politiques sont perçus comme un domaine privé, quel est l’intérêt d’organiser des élections ? Il y aurait même lieu de savoir dans une société des hommes forts comme la Guinée si l’organisation des élections n’est pas irréaliste, en ce sens que la personnalisation du pouvoir a longtemps érigé la violence en arbitre principal des luttes politiques. Or, que faut-il pour rompre ce cycle de la violence et par conséquent civiliser la vie sociale ?
Le gouvernement de fondation
Dans le contexte actuel, il faudrait, entre autres solutions, que les leaders politiques renoncent aux élections et s’engagent à penser les conditions nécessaires et durables pour une organisation raisonnable de la compétition politique. Ce qui suppose, comme cela a été proposé ailleurs, de mettre en place un gouvernement de fondation. En ce qui a trait à la composition d’un tel gouvernement, l’idéal est qu’il soit dirigé par une personne consensuelle et dotée d’une expérience politique. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une fondation et non d’une transition, rien n’empêche, a priori, que ses membres soient issus à la fois des leaders de l’opposition, de la société dite civile et du gouvernement actuel. L’important est que le gouvernement de fondation implique tous les acteurs politiques et représente également les quatre régions du pays. Un mandat de cinq ans pourrait lui être confié, étant attendu que sa seule mission est de jeter les bases morales et politiques de la future société guinéenne.
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L’objectif de ce gouvernement sera de faire de la Guinée une société politiquement constituée, c’est-à-dire fondée sur un contrat moral qui organisera la vie collective des Guinéens. Lequel contrat servira de fondement à la gouvernance du pays. Pour se faire, la classe politique pourrait travailler à partir de certaines considérations minimales qui font l’objet d’une adhésion générale et partagée.
Ce que partagent les Guinéens.
A priori, tous les Guinéens veulent vivre paisiblement, dans une société juste et égalitaire. De même, personne ne consent à se faire dominer par un autre, l’idée que la liberté est un bien bénéficie d’un large consensus. Ce refus de la domination impliquera alors une organisation des relations sociales de manière à permettre aux individus de ne pas être sous le contrôle arbitraire d’un autre et un exercice du pouvoir politique conforme au respect des volontés individuelles de ne pas subir la domination. Aussi, malgré la persistance de l’instrumentalisation politique du sentiment d’appartenance communautaire, on peut concevoir qu’aucune communauté n’est en droit supérieure à une autre et donc que toutes devraient bénéficier d’une meilleure représentativité dans l’espace politique. Enfin, les richesses naturelles étant communes, les personnes ou les communautés ont droit à une redistribution équitable des revenus issus de l’exploitation de ces ressources. Ce sont là des considérations préliminaires sur lesquelles s’entendent les Guinéens et qui renvoient à une dimension éminemment morale. Elles traduisent des attentes sans lesquelles la vie commune devient une jungle où triomphe l’arbitraire du plus fort. Ces considérations discutées et acceptées par tous deviennent le contrat moral destiné à organiser les relations sociales et les relations entre les gouvernants et les gouvernés.
Le rôle majeur du gouvernement de la fondation serait d’incarner dans des institutions ce contrat moral, afin qu’il ait force de loi. L’enjeu serait ici de placer l’organisation de la vie collective sous la tutelle d’un ordre juridique et l’affranchir, comme c’est le cas actuel, du pouvoir de l’autorité personnelle. C’est à ce niveau qu’il faudra œuvrer pour doter à cette nouvelle Guinée en train d’être fondée : des dispositifs effectifs de contrôle et de surveillance du pouvoir, un mécanisme opérationnel d’imputabilité politique, des organes indépendants qui veillent au respect du contrat fondateur du pays, et enfin rendre adéquats des outils qui permettent aux individus ou collectivités de contester les décisions politiques qui impactent leur vie quotidienne. Cette organisation institutionnelle du pouvoir serait la conséquence d’un vouloir-vivre ensemble, fondé sur le contrat moral. Une fois reconnue son caractère contraignant, se posera ensuite d’autres questions telles que l’organisation administrative du pays, le rapport entre la capitale et les sous-régions et surtout le choix du régime politique susceptible de satisfaire aux exigences du contrat moral fondateur de la société guinéenne…