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Bilan critique de l’expérience constitutionnelle guinéenne et perspectives d’avenir

*Par Youssouf Sylla.

Le Conseil national de la transition (CNT), organe investi de pouvoirs législatifs en cette période d’exception à ouvert le 21 février dernier le symposium sur le constitutionnalisme guinéen. Selon le Président du CNT, ce symposium est une étape « d’éclairage conceptuel et académique du constituant qu’est le CNT par une expertise académique nationale et internationale, sur l’historique du constitutionnalisme guinéen, les choix en termes de politiques et de pratiques constitutionnelles, les relations entre les pouvoirs et les mécanismes de devolution du pouvoir ». Pour se situer au cœur de ce débat, nous allons dresser à grands traits un bilan critique de notre expérience constitutionnelle de 1958 à 2021, et dégager les enjeux majeurs de la réforme constitutionnelle telle qu’elle se dessine en Guinée.

Bilan critique de notre expérience constitutionnelle

De 1958 à 2021, la Guinée a connu au total 5 constitutions. La première (10 novembre 1958), inspirée de la constitution de la quatrième Republqiue française, mettait en place un régime d’assemblée avec quelques ingrédients du présidentialisme. La deuxième constitution (14 mai 1982), était une réponse à l’orientation socialiste du régime et à l’extraordinaire concentration de tous les pouvoirs dans les mains du PDG, le parti unique, constitutionnellement placé au dessus de l’Etat. Les trois dernières constitutions (celles du 23 décembre 1990, du 7 mai 2010, et du 22 mars 2020), d’inspiration libérale ont introduit une rupture totale avec la constitution de 1982 sur le plan textuel. Mais sur le plan de l’exercice du pouvoir en revanche,  la rupture fut de moindre ampleur, compte tenu de la place prépondérante du pouvoir exécutif dans le système politique interne. Cette rupture inachevée n’a pas permis l’éclosion d’une véritable démocratie dans le pays , à cause principalement de la forte survivance de l’esprit autocratique dans la mise en œuvre des constitutions dites libérales. En effet, dans toutes les constitutions de la République, la relation entre le pouvoir présidentiel et son détenteur n’a point varié. Pour ses différents détenteurs, ce pouvoir devait être exercé à vie, d’où l’adaptation permanente du mandat présidentiel aux désidératas du chef de l’exécutif et la manipulation à son avantage, des élections politiques. Au fil des ans, l’esprit autocratique est parvenu à déstructurer la vie politique et institutionnelle du pays par la vassalisation de la justice, l’exercice d’une  violence étatique contre toute adversité politique, la manipulation ethnique et l’appropriation personnelles des ressources publiques. Bref, cet esprit autocratique est à l’origine de la grande désillusion démocratique et de la transformation d’un des plus riches d’Afrique, en une terre de désespoir pour ses millions d’habitants.

Enjeux majeurs de la réforme constitutionnelle .

Le chaos constitutionnel commande aujourd’hui d’envisager dans le projet de la nouvelle constitution, la sixième, une réorganisation avancée et osée de la vie politique et institutionnelle à travers deux grandes propositions: la première est l’eradication de la « monarchie républicaine » par l’ajustement du mandat présidentiel aux aspirations démocratiques des populations. La seconde  est la liquidation du « centralisme exécutif » par une répartition  du pouvoir exécutif entre le gouvernement central et les pôles régionaux du pays.

La fin de la monarchie républicaine suppose la limitation de la durée du mandat présidentiel dans le temps. Ce mandat doit être ramené à un délai « raisonnable » pour être en phase avec la tendance dominante en la matière dans les démocraties. La France et le Sénégal par exemple, à l’issue de différentes révisions constitutionnelles, ont ramené à 5 ans, cette durée qui était de 7 ans auparavant. Aux USA, la durée du mandat est encore plus courrte, 4 ans. L’autre moyen de mettre fin à la monarchie républicaine est de limiter à deux, le nombre de fois qu’un  candidat est en droit d’exercer successivement un mandat présidentiel.  Le flou sur cette question est aujourd’hui exploitée par exemple au Sénégal par ceux qui souhaitent voire Macky Sall briguer un troisième mandat après deux mandats successifs.

En ce qui concerne la fin du « centralisme exécutif », elle suppose la dilution du pouvoir exécutif dans la veine des pôles régionaux. Les raisons d’expérimentation d’un tel modèle sont nombreuses. Elles portent, entre autres, sur une répartition équilibrée de compétences entre l’exécutif central et les exécutifs régionaux. Les pôles régionaux doivent avoir des compétences propres en particulier dans les domaines du développement local et de la culture. Toutefois, comme c’est le cas dans nombre de pays, le gouvernement central aura notamment des compétences exclusives dans les secteurs de la défense, de la diplomatie, de la justice et de la monnaie. Il est normal au départ, que ce modèle puisse susciter quelques inquiétudes auprès d’un certain nombre de personnes au sujet par exemple du mode de distribution des revenus générés par la mise en valeur des richesses du sol et du sous-sol, compte tenu de leur répartition inégale sur le territoire national. Ces doutes devraient être levés par un système efficace et équitable de péréquation qui permet,  comme ailleurs, au gouvernement central de transférer les ressources excédentaires des régions riches vers les régions les moins riches. Le but final étant de favoriser le développement harmonieux de l’ensemble du pays et d’éviter à tout prix, les disparités. Ce modèle, inspirant du point de vue construction intellectuelle peut cependant se révéler très dangereux lorsqu’il est mal pensé et maladroitement mis en œuvre comme c’est le cas en Éthiopie, au Soudan ou encore au Nigéria.

Il convient de garder à l’esprit qu’en matière d’organisation constitionnelle dans une démocratie, il n’existe pas un modèle unique de référence. Il existe une large gamme de modèles  et de solutions (stricte séparation de pouvoirs comme aux USA, collaboration entre les pouvoirs comme au Royaume-Uni, organisation fédérale comme au Canada ou unitaire comme en France) qu’un pays souverain est en mesure s’adopter en tenant compte de son histoire, de sa géographie et de ses idéaux. Quelque soit le schéma constitutionnel adopté par la Guinée, celui-ci devrait réserver une place de choix à la protection de l’environnement et au respect des droits fondamentaux des citoyens.

A titre conclusif, disons que  la constitution la mieux élaborée ne contient aucune thérapie pour guérir la soif maladive du pouvoir. Pour preuve, les intangibilités constitutionnelles n’ont nullement dissuadé en 2001 et en 2020 nos présidents de faire sauter le verrou qui empêchait la modification de la durée du mandat présidentiel. Depuis l’orientation libérale du régime constitutionnel guinéen dans les années 90, ce regime est chroniquement malade non de l’absence des règles du jeu mais de la manipulation systématique de ces règles par les gouvernants qui devaient les respecter pour montrer l’exemple avant de les faire respecter par les autres. Ainsi, le facteur humain reste et demeure la clef de réussite d’une constitution. Un éminent constitutionnaliste disait à ce propos qu’ »il est facile d’imaginer une constitution mais difficile de la faire vivre ». Sans un nouvel état d’esprit des gouvernants, la nouvelle constitution aura le même sort que toutes nos constitutions libérales depuis 1990, bien écrites mais jamais appliquées.

* Youssouf Sylla est un Juriste qui vient de publier  chez l,’Harmattan, le « Droit guinéen de l’environnement ».

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