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Bah Oury : « la violence est devenue endémique en Guinée »

Telles par effet de contagion, les violences ont été enregistrées dans maintes localités du pays. De malheureuses scènes qui ont occasionné la mort de près d’une dizaine de personnes à Coyah, Dubréka, Kamsar et Kankan.

Et l’ancien ministre de la Réconciliation nationale a bien sa lecture de cette situation. Dans un entretien téléphonique accordé à votre quotidien électronique, Bah Oury situe la problématique dans son contexte avant de révéler « l’amateurisme notoire » avec lequel les autorités guinéennes gèrent L’Etat d’urgence sanitaire qu’elles ont institué.

Le leader politique le fait dans une interview dont voici un extrait.  Décryptage !

« La violence est endémique dans notre pays, notamment la violence d’État. Cela veut dire que la réforme des forces de défense et de sécurité qui a été engagée en 2010-2011 a montré ses limites et ses faiblesses. Parce que l’un des aspects les plus essentiels, c’était d’amener les forces militaires (gendarmes et policiers) à respecter les populations, à ne pas user de leurs armes contre les populations civiles.

Mais, il s’avère que de ce point de vue, c’est devenu une banalité que quelqu’un qui porte l’uniforme et qui est armé d’une kalachnikov tire sur les populations sans qu’il n’y ait une poursuite judicaire. C’est le premier aspect.

Le deuxième aspect, cela veut dire que les autorités gèrent le pays selon les humeurs. On ne peut pas envisager de mettre des barrières entre Conakry et Coyah d’une part, et entre Conakry et Dubréka de l’autre. La continuité territoriale, humaine entre Conakry, Dubréka et Coyah est une réalité qui est le fait d’une longue mauvaise qualité de la gouvernance en ce qui concerne une absence d’aménagement du territoire. Une ignorance totale des mécanismes de la décentralisation pour donner un réel pouvoir aux élus locaux qui auraient pu, dans le cas d’espèce, avoir des processus de négociation avec les populations, pour savoir comment s’organiser mieux pour faire face à cette pandémie.

Donc, les décisions viennent d’en haut. Ça tombe sur les populations sans contrepartie aucune, sans participation des élus locaux. Et en fin de compte, ça devient une espèce de dictature qui considère les populations comme étant pratiquement des personnes qui ne sont plus des citoyens, mais des sujets. Ça, la réaction des populations de Coyah et de Dubréka est manifeste en la matière.

Troisièmement, on est en train de payer une longue absence d’anticipation. L’Etat guinéen n’a pas été un Etat stratège. Lorsque vous êtes dans un pays, vous le gouvernement, vous devez envisager les mesures pour avoir la cartographie des risques humains et  des risques naturels pour se dire si telle chose se passe, comment allons-nous faire pour assurer la sécurité et sauver le maximum de vies possibles.

Il y a une absence totale de la politique de gestion des catastrophes dans le pays. Ce qui fait qu’après Ebola, il a fallu l’aide de la communauté internationale pour qu’on puisse avoir des mécanismes de juguler cela, mais ça a complètement désarticulé l’économie du pays et impacté négativement la Sierra Leone et le Libéria, sans compter les coûts humains qui ont été enregistrés. Là aussi, on ne s’est pas préparé et on est en train d’agir à l’aveuglette.

Un pays, il faut une anticipation. Il faut des infrastructures pour dire au cas où quelque chose arriverait, comment évacuer le maximum de populations ? Est-ce qu’on a développé à l’intérieur du pays des pôles de développement autonomes qui permettent de secourir les populations  afin qu’il y ait des centres d’accueil susceptibles de recevoir les populations sinistrées. L’Etat guinéen n’a jamais pensé à ces genres de choses.

Il y a un autre exemple que je vais souligner : actuellement, il y a une pénurie de pomme de terre à Conakry. Il y a des populations qui ont du mal à avoir de quoi vivre, alors qu’à Timbi Madina, la production de la pomme de terre est largement suffisante.

A Labé, le kilo de pomme de terre est à 5.000 francs. A Conakry, le même kilo se négocie à a 10.000 francs. Qu’est-ce qui empêcherait, dans le cadre d’une urgence sanitaire que l’Etat a décrétée, de dépêcher des camions pour acheter la production du côté de Timbi Madina pour ravitailler de manière plus tranquille et sereine, en pomme de terre, les populations de Conakry.

La même chose pour le cas des avocats du côté de Macenta. Les frontières avec la Sierra Leone et le Libéria sont fermées. Les productions sont en train de pourrir comme les productions vivrières en mangues, en tout qui pourrissent. Il n’y a pas un seul guinéen de se dire que tout est une perte: perte pour les paysans, perte pour les populations. Parce que là c’est une nourriture. Alors que d’autres ont faim, d’autres voient la nourriture pourrir en dessous des arbres.

Tout cela, un État stratège aurait dû utiliser comme moyens qu’il a à sa disposition pour évacuer les zones de production, le trop plein, pour ravitailler l’intérieur et faire en sorte qu’il y ait un certain équilibre pour assurer une certaine survie alimentaire aux populations sinistrées.

Et donc, quelques réactions que je peux avoir à ce niveau-là pour indiquer que la capacité de L’Etat reste très faible. C’est la raison pour laquelle nous sommes en butte avec un gros problème. Et, j’espère, avec l’aide de Dieu, qu’on arrivera à juguler cela sans que ça ne fasse trop de drames au niveau des familles guinéennes ».

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