« Beaucoup de nos compatriotes n’y croient plus. Ils ne nous entendent plus. Notre parole est devenue pour eux une langue morte ». Ainsi parlait, en avril 2014, Manuel Valls, premier ministre sous l’ère de François Hollande, dans son premier discours de politique générale.
Quatre ans après, ce constat du locataire de Matignon est autant valable pour la France, que pour la Guinée. Un pays dit de démocratie où, depuis 2010, le débat d’idées, le débat subtil, le débat intelligent, le débat sur les projets de société s’est transformé en violence verbale, en polémiques inutiles, en débat de caniveaux, en débat personnalisé, en langue de bois et en mensonges.
Fini les temps où les Jean Marie Doré, Bâ Mamadou, Alpha Condé, Siradiou Diallo et Alpha Ibrahima Sow maniaient le verbe avec dextérité, haranguaient les foules avec éloquence, coinçaient l’adversaire avec des arguments bétons dans un style soutenu.
Aujourd’hui, avec l’avènement des radios privées et l’émergence des réseaux sociaux, nos politiques ont pris en otage l’espace public. Soit, ils parlent. Soit, on parle d’eux. Ils ne se taisent rarement. Ils se répètent, tous les jours et dans tous les médias. Et ils se plaisent avec.
Le pire est qu’ils ne veulent pas disparaître pour laisser les jeunes prendre la place au soleil. Assoiffés de gloire, ils veulent que leur moindre fait, geste ou parole soient médiatisés et connus. Qu’ils aillent à un baptême, à un décès, à un mariage, à un anniversaire, au chevet d’un malade, ils veulent être vus. Même quand ils offrent une rupture de jeûne, ils font des selfies.
En revanche, les sujets de société de l’heure, pourtant touchant directement les populations, sont reléguées au second plan, par leur bon vouloir. Ces problèmes au quotidien ne sont médiatisés que lors de l’une de leur visite de terrain. Quand il s’agit d’une inondation, d’un incendie, d’un accident de circulation. Là, ils arrivent, escortés des caméras. Ils veulent que le monde entier sache qu’ils étaient là et qu’ils ont compati.
Mais parmi eux, certains sortent du lot. Dans cet article (la suite arrive), nous tentons de disséquer le langage de nos politiques, chacun avec son style et ses astuces. Il s’agit des acteurs, qui paraissent, à nos yeux, éloquents, subtils, pondérés, cohérents, consistants et pointus. Une liste sélective, non exhaustive ou subjective, certes, mais jamais dans l’intention de nuire.
Dr Bano Barry, « Prudent, pondéré et pointu »
D’abord, Dr Alpha Amadou Bano Barry, sociologue, enseignant-chercheur, ex recteur, consultant, scientifique et débatteur. Depuis 2017, il est conseiller du président. Il est connu pour sa rigueur dans ses recherches, la pertinence de ses analyses, la connaissance du pays. Il a étudié à Macenta, Mali, Gaoual, Koundara, Tougué, Forécariah et Boffa. Donc, il a fait le tour du pays.
Avant de se prononcer sur un sujet, il s’assure que le sujet du jour est vérifié. C’est pourquoi, il peut appeler un contact pour avoir des suppléments ou chercher la copie d’une décision. Il réagit rarement à chaud. Et quand il réagit, il est sur ses gardes. Sinon, il parle après le tintamarre.
Il a le verbe facile, des analyses pointues et pertinentes. C’est pourquoi, quand il prend la parole sur un sujet donné, l’opinion le trouve captivant, intéressant et pointu.
Son discours est un mélange dosé de vérités crues placées entre les lignes et de subtilités. Parfois, en plein débat, il peut se taire une seconde, à la recherche du mot juste. Pour ceux qui le suivent, il se défend avec des arguments de manière structurée.
Sa meilleure prestation ? C’était, en mars 2017, face au docteur Ousmane Kaba, chez Espace FM. Agacé par les révélations de son interlocuteur, Dr Kaba se lâche : »tu mens ». Inadmissible dans un débat civilisé. C’est la preuve que le débat était houleux.
Lansana Kouyaté, le diplomate
Ensuite, Lansana Kouyate, ancien premier ministre, diplomate et leader du parti pour l’Espoir et le développement national (PEDN). Il a un discours soigné, le verbe facile et adorer ironiser. Il a de la suite dans les idées et une bonne lecture de l’actualité. Il sait démonter les arguments de l’adversaire. Il hausse rarement le ton.
Très à l’aise dans les questions internationales, il s’exprime aisément en anglais. Il a des formules parfois toutes faites et il sait donner de l’intonation à ses discours. Dans ses sorties médiatiques, il aime les tournures, les métaphores. Accusé de manœuvrer pour conquérir la Primature, il coupe court à la polémique de façon lapidaire. « Je ne redoublerai pas ma classe ».
Auteur de la célèbre formule en 2011, « son bilan est globalement nul », il est de tous les opposants qui avaient critiqué à l’époque le bilan de l’an un du président Alpha Condé au pouvoir, celui qui aurait provoqué l’ire présidentielle. C’était le début de leur divorce.
Puis, Aliou Condé, ancien ministre, actuel député, il est l’oreille voire l’un des conseillers les plus écoutés de Cellou Dalein Diallo, le chef de l’opposition. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le général. Pondéré, méthodique et technicien, il déteste les polémiques et le débat personnalisé.
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Aliou Condé, le technicien pondéré
Quand tout le monde sort les muscles pour attaquer l’adversaire, par médias interposés, lui cherche comment sortir de là. D’une loyauté extraordinaire, c’est lui qui aurait déjoué le putsch interne devant faire partir Cellou Dalein Diallo. Consulté par les frondeurs, il aurait dit non.
Sa force ? Il se base des chiffres, des lois et des arguments pour contraindre l’adversaire à reculer. Chaque fois que son parti veut démontrer que le droit est de leur côté, dans un contentieux, il est envoyé en éclaireur. Fort de son réseau, de son expérience et de sa connaissance du système, il ne cherche pas à s’afficher. C’est un homme de l’ombre, qui aide son leader.
Sa meilleure prestation ? C’était à la veille du scrutin présidentiel de 2015 face au porte-parole d’alors de la Commission électorale (CENI), feu Yero Condé. A l’époque, la polémique enflait. Fallait-il organiser l’élection présidentielle avant les élections communales ou l’inverse ?
Ce jour-là, invité de la radio Espace FM, de manière méthodique, le « général » démonta les arguments de la CENI, en présentant des pièces justificatives. Rien à faire, l’opposition avait raison.
Le jour où Cellou Dalein Diallo voudra un porte- parole, il n’a pas à chercher loin.
Tibou Kamara, habile, intelligent et cultivé
Il y a encore Tibou Kamara, ancien journaliste de profession, actuel ministre et homme de débat. Intelligent, habile, direct et agressif, il peut s’en tirer, même quand il est coincé. Il est à l’aise à l’écrit comme à l’oral.
Sous la transition, Dadis Camara l’a appris à ses dépens. Convoqué au plus fort moment des « Dadishow » pour des « explications », Dadis fut séduit par l’habileté de son invité. Séance terminée, l’hôte regagnera son domicile, sous escorte, sur demande de Dadis, alors qu’on voulait sa peau. Il le fera d’ailleurs son conseiller.
Sa plus belle prestation, c’est devant Me Alfred Mathos, agent judiciaire de l’Etat à l’époque, devant la défunte junte militaire au camp Alpha Yaya Diallo, lors des fameux » Dadishow ». Celui-ci l’accusa de « détournement ». Tibou lui conseilla alors, d’un ton ironique, d’ouvrir le dictionnaire, insinuant que l’agent ne connaît pas le sens des mots.
Cultivé et lecteur insatiable, le fondateur de « L’Observateur » sait agrémenter ses interventions par des citations des auteurs célèbres, parfois des politiques, pour rendre ses arguments plus convaincants. Il aime également revisiter l’histoire, rappeler un pan du passé, pour corroborer ses dires.
Adepte des piques acerbes, l’homme ne mâche pas ses mots et n’a pas peur du débat. Même si le vent n’est pas en sa faveur, il sait manier le verbe et tirer son épingle du jeu. Il est difficile à coincer.
Sidya Touré, très à l’aise dans l’économie
Il y a enfin Sidya Toure, ancien ministre, haut représentant du chef de l’État. Convaincant dans les questions économiques, il sait tourner le discours de son adversaire, en empruntant l’humour à l’ivoirienne. Il adore les piques, les flèches et l’ironie.
Quiconque veut jauger son talent oratoire n’a qu’à le convaincre à militer dans l’opposition. Ensuite, lui soumettre un sujet sur la gouvernance. En bon économiste, il sait mettre à nu les tares du système.
Il a une particularité. Il parle rarement mais chaque fois qu’il choisit de parler, il suscite la polémique le lendemain chez ses adversaires. Kassory Fofana nouveau PM ? Réponse de l’homme :
« Mon équipe de 1996 est bonne puisqu’elle a donné deux premiers ministres ». En treize mots, l’ancien premier ministre lance des piques à trois adversaires. Son allié Alpha Condé, son rival et premier ministre, Kassory Fofana et Cellou Dalein Diallo.
Prochainement, Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, Bah Oury, Amadou Damaro Camara et Faya Millimouno.