Le tissage est un métier artisanal pratiqué dans les communautés africaines depuis belle lurette. Elle consiste à tisser des étoffes de coton ou de soie. Léontine Dopavogui, activiste de la société civile, âgée de la trentaine et mère de quatre enfants est l’une des rares femmes qui exerce ce métier dans la commune urbaine de N’Zérékoré. Rencontrée par Guinéenews, elle a décliné les difficultés dans l’exercice de ce travail manuel.
Guinéenews : tout d’abord commençons par savoir comment a-t-elle eu l’amour de pratiquer le métier de tisserand qui tend à disparaître dans les sociétés guinéennes ?
Léontine Dopavogui : c’est par amour du métier que j’ai appris à tisser fin 2019, après mon emploi à l’université pour le développement communautaire. j’y étais assistante de direction. Quand nous sommes allées en congé, je me suis dit que je ne devais pas chômer avec ma jeunesse. C’est ainsi que je me suis mise à la recherche de quelqu’un qui pouvait m’apprendre. Heureusement, j’ai trouvé une dame ici à N’Zérékoré. C’est grâce à elle que j’ai appris ce métier.
Guinéenews : le tissage est un métier, autrefois réservé uniquement aux hommes. Cela peut-il être considéré comme un frein à son évolution ?
Léontine Dopavogui : c’est un métier qui n’était réservé qu’aux hommes. C’est la non-évolution peut-être et vu que nos mamans n’étaient pas motivées pour le métier. On disait souvent qu’il est masculin, donc destiné aux hommes. Les femmes étaient intimidées et mises hors du métier de tisserand. Ce qui fait qu’elles n’ont jamais eu le courage d’essayer même une fois à l’époque. Mais avec l’évolution, nous les femmes leaders, nous nous sommes dit que rien ne peut nous empêcher de le pratiquer. Je me demande personnellement qu’est-ce que les hommes peuvent faire et qu’on ne peut pas apprendre à nous les femmes. Avant, les femmes n’avaient même pas le droit de s’asseoir sous le hangar où on tissait. C’est ce que les vieilles femmes nous ont raconté. C’était carrément interdit aux femmes. Pourtant, il n’y a rien de mystique. Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce métier de tissage. C’est juste le courage. Aujourd’hui, j’arrive à aider mon mari pour certaines dépenses familiales. Je parviens à joindre les deux bouts avec ce travail que beaucoup de personnes négligent.
Guinéenews : quelles sont les difficultés rencontrées dans ce métier à N’Zérékoré ?
Léontine Dopavogui : nous sommes en manque de personnes ressources et de ressources financières. Pour le moment, je n’ai qu’une seule apprentie. Avec cet effectif, on reçoit assez de commandes mais, on a du mal à tenir les délais fixés à nos clients . Cela me fait de la peine. Il arrive parfois que je n’accepte pas certaines commandes qui ont des dates rapprochées. Parce qu’il se trouve qu’on a d’autres commandes. Il va falloir finir avec les précédentes commandes avant de commencer les nouvelles. Je constate qu’il y a plusieurs personnes qui sont intéressées par la tenue. Mais le manque de personnel fait qu’on ne peut pas en produire assez. L’autre difficulté, c’est le manque de coton surtout du bon. Il est rare de trouver du coton dans les marchés de N’Zérékoré. Ce que nous y trouvons, n’est pas vraiment solide. Parce que pour faire le tissage, il faut bien tendre le fil. Si ce n’est pas bien tendu et consistant, le tissu ne peut pas tenir. Et si tu tends d’une certaine manière, le fil se coupe. C’est vrai qu’il y a du coton au marché mais, ce n’est pas pour nous les tisserands. Ce sont des filles qui viennent de la chine que nous utilisons. C’est comme si nous ne pouvons pas en produire. C’est pourquoi, nous devons valoriser la cotonculture.
Guinéenews : qu’en dites-vous de la menace de disparition de ce patrimoine artisanal et culturel et sans oublier celle liée à l’importation des pagnes artisanaux en Guinée?
Léontine Dopavogui : c’est vraiment déplorable de voir ce métier disparaître à petit feu. Je dis que c’est l’une de nos valeurs culturelles et je ne souhaite vraiment pas que ce métier disparaisse comme ça un jour. Jetez un regard dans les pays voisins. Vous vous rendrez compte que c’est un métier qui est développé. Ces pagnes ont de la valeur dans les autres pays qui ne sont même pas loin de nous. Et dès fois, nos commerçants vont dans les pays voisins pour importer ces tenues chez-nous. Pourquoi ne pas valoriser ce que nous avons. Laisser pour nous disparaître, c’est vraiment une situation que je déplore. Et je lance un appel aux personnes de bonne volonté, les autorités pour nous assister afin que nous puissions développer ce métier. J’invite les femmes et jeunes à s’investir dans ce travail parce que c’est un travail non seulement générateur de revenus et c’est notre culture.
Entretien réalisé par Moussa Kounady Camara, dépuis N’Zérékoré pour Guinéenews.