Les Guinéens résidant en Angola sont confrontés à une situation préoccupante, marquée par un système d’arnaques et de corruption au sein de l’ambassade de Guinée pour l’obtention de documents administratifs tels que les extraits de naissance, les cartes consulaires et les passeports. Les témoignages recueillis révèlent un vaste réseau mafieux qui exploite sans vergogne la communauté guinéenne.
Le président du Bureau du Conseil des Guinéens Établis (CGE) en Angola, également vice-président du Haut Conseil des Guinéens Établis à l’Etranger, chargé des projets-investissements, Daouda Baldé, a tiré la sonnette d’alarme en adressant une lettre au ministre conseiller, chargé des affaires politiques de l’ambassade, Karamba Sako, le 4 juillet 2024, afin de discuter de cette situation. Toutefois, M. Sako a reporté la rencontre sous prétexte que « l’ambassade a reçu des instructions des plus hautes autorités pour les préparatifs de la visite d’une importante délégation guinéenne doit se rendre en Angola pour la finalisation de l’Accord relatif à la réouverture de la ligne aérienne Luanda-Conokry, effective en ce mois de Juillet 2024 et les opérations d’enrôlement pour le passeport biométrique de nos compatriotes. »
Une seconde demande de rencontre est envoyée à Karamba Sako, qui est le premier responsable de l’ambassade, le 10 juillet, mais il s’est trouvé que celui-ci est revenu à Conakry.
Face au « refus » de l’ambassade de rencontrer la communauté, une autre lettre a été adressée le 18 juillet 2024 au ministre des Affaires étrangères, Morissanda Kouyaté, pour alerter sur la gravité de la situation.
Dans cette correspondance, le CGE-A décrit une tension extrême au sein de la communauté guinéenne en Angola, en raison des pratiques frauduleuses entourant le processus d’enrôlement pour l’obtention de passeports biométriques et d’autres documents consulaires. Les membres de la communauté dénoncent une corruption systémique et des arnaques à ciel ouvert, perpétrées par certains responsables de l’ambassade depuis des années. Parmi les plaintes formulées figurent le paiement exigé pour obtenir un rendez-vous pour la collecte des empreintes digitales, l’achat de fiches de renseignements supposément gratuites, et le retrait des passeports contre rémunération.
Dans cette lettre, il était mentionné : « Par la présente, j’ai l’honneur au nom du Conseil des Guinéens Établis en Angola (CGE-A), de vous signifier la tension extrêmement vive qui prévaut actuellement au sein de notre communauté en Angola, liée au processus d’enrôlement pour l’obtention des passeports biométriques et des documents consulaires. Nos compatriotes dénoncent un vaste réseau mafieux érigé en système de corruption et d’arnaques à ciel ouvert, créés et entretenus par certains responsables de l’Ambassade de Guinée en Angola depuis belle lurette. »
Aucune réponse n’a été obtenue. Le 26 juillet, le bureau du CGE d’Angola a de nouveau écrit, sans succès.
Mohamed Savané, un Guinéen vivant à Huambo, à environ 1000 km au sud-est de Luanda, illustre bien ce climat d’abus. Après avoir perdu son passeport, il a contacté un employé de l’ambassade pour en obtenir un nouveau. Celui-ci lui a demandé de se rendre à Luanda et, après plusieurs échanges, lui a réclamé 300 dollars pour « faciliter » la procédure, en plus du coût officiel du passeport. N’ayant pas les moyens de payer cette somme, Savané s’est vu refuser toute aide.
« Une fois à l’ambassade, j’ai remis au monsieur la copie de mon passeport ainsi que celle de mon visa permanent. Il m’a demandé de l’attendre dans le salon. Peu après, il est revenu pour me dire qu’il avait parlé avec le chef, mais que le traitement était temporairement suspendu. Après quelques échanges, il m’a dit que si je pouvais payer 300 dollars, il les remettrait au chef et ils m’aideraient. Je lui ai demandé si les 300 dollars étaient pour le passeport. Il m’a répondu que non, que c’était pour son chef. En plus, je devais payer le prix du passeport, qui, selon lui, était de 160 000 kwanzas. Comme je n’avais pas de carte consulaire, il m’a demandé d’ajouter 5 000 kwanzas sur les 160 000. Il a précisé que les 300 dollars étaient nécessaires en dollars, car ils en avaient besoin de cette devise. J’ai trouvé que 300 dollars étaient excessifs, surtout que je voulais un passeport valable cinq ans. J’ai proposé de payer 200 dollars. Il est allé discuter avec son chef et est revenu en me disant que son chef avait décidé que je devais retourner en Guinée pour obtenir mon passeport là-bas, car je n’avais pas les 300 dollars. Il a ajouté qu’en faisant un aller-retour entre l’Angola et la Guinée, je dépenserais plus d’un million de kwanzas juste pour les frais de transport, donc 300 dollars, ce n’était rien. Quand j’ai dit que je ne pouvais pas payer ce montant, il m’a informé qu’il ne pouvait rien faire pour moi. Il m’a rendu les copies de mes documents et est sorti sans même me regarder », a expliqué Mohamed Savané.
Les pratiques de corruption vont bien au-delà des passeports. Selon d’autres témoignages, les frais pour divers documents administratifs sont démesurément majorés arbitrairement et dans une opacité totale. La carte consulaire, autrefois à 1500 kwanzas, coûte désormais entre 5000 et 6000 kwanzas. L’extrait de naissance, auparavant à 5000 kwanzas, peut atteindre 50 dollars. En outre, des employés angolais de l’ambassade, officiellement payés entre 800 et 1000 dollars, ne reçoivent en réalité que 100 à 200 dollars, le reste étant détourné.
Daouda Baldé, soulignant les difficultés, explique : « Vous savez combien de fois l’immigration est dure en Angola. Cette fois-ci, pour la première fois, les autorités angolaises ont ouvert un petit couloir pour permettre aux étrangers de se faire régulariser. Il y a 17 mille Indiens, tous presque régularisés. Ceux de la Guinée-Bissau ont été tous régularisés. Les Erythréens, plus de 25 mille, et toutes les autres nationalités. Et la Guinée est la 2e communauté la plus importante après celle de la RDC. La communauté guinéenne est bien impliquée et travaille activement. Mais si on fait un tour dans les centres de détention, vous verrez que 60 à 70% sont des Guinéens. Donc le passeport est nécessaire, mais les gens n’ont pas les documents pour pouvoir voyager et revenir. Pour obtenir un passeport, il faut se rendre sur le site Louba, où un récépissé est délivré. Cependant, lorsque vient ton tour, tu ne seras jamais appelé. Ils ont instauré un système où il faut traiter avec des personnes tierces. »
Daouda Baldé se dit préoccupé par cette « pratique honteuse » alors que les autorités du pays font tout pour la diaspora guinéenne : « Le CNRD et le Gouvernement ont mis des moyens colossaux pour que les Guinéens établis à l’étranger puissent être respectés partout ils sont. Mais des individus sont en train de saper ces efforts. »
Le prix des documents administratifs n’est jamais affiché à l’ambassade, comme le souligne Ibrahima Kandia Baldé : « Tout se négocie. La carte consulaire est facilement déchirable, car c’est du papier volant et le prix est fixé selon la tête du demandeur. Ensuite, il y a des gens qui font fait plus de 10 ans, notamment le chargé des finances de l’ambassade, alors que normalement, quelqu’un ne peut pas faire plus de quatre ans dans une ambassade. »
Les documents adressés au ministre Morissanda Kouyaté sont-ils arrivés à destination, sachant que c’est l’ambassade qui doit les transmettre ? Au début de cette affaire, un autre employé, saisi par la communauté guinéenne, affirme avoir envoyé un courrier à Conakry pour mettre fin à cette pratique, mais lui non plus ne sait pas si son courrier est arrivé. « Vous êtes Guinéen et vous connaissez les Guinéens », a-t-il ajouté, comme pour dire que son courrier pourrait avoir été bloqué quelque part.
Joint au téléphone par Guineenews©, Karamba Sako, ministre conseiller, chargé des affaires politiques de l’ambassade de Guinée en Angola, a demandé à être rappelé le lendemain. Depuis, il n’a répondu à aucun appel et n’a pas donné suite.
Lire ci-dessous ce témoignage sonore à couper le souffle :