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Analyse du rapport coûts-bénéfices de l’option militaire de la CEDEAO contre le Niger, par Youssouf Sylla, analyste

La pression qui s’exerce sur les nouvelles autorités militaires du Niger pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel, au nom de la défense du principe d’accès au pouvoir par voie d’élections libres et transparentes est en soi défendable pour inscrire l’avenir du continent africain dans la démocratie. Pour le cas particulier du Niger, malgré tout ce qu’on peut reprocher à la gouvernance économique du président Mohamed Bazoum, aujourd’hui écarté du pouvoir, il convient de reconnaitre qu’il luttait efficacement contre le djihadisme, et pour l’instauration de la démocratie, aussi imparfaite soit-elle, dans son pays. Un pays historiquement miné par les coups d’Etat. Tel est le contexte général qui explique l’incompréhension d’un grand nombre, face au coup de force qui s’est produit au Niger, et qui amène les proches de Bazoum à parler d’un coup d’Etat pour « convenance personnelle ».

Niger, pays pauvre et fragile déjà

Pour autant, l’option militaire brandie par la CEDEAO pour déloger du palais présidentiel, les tombeurs du président Bazoum, est-elle la meilleure voie à suivre, en tenant compte du rapport coûts-bénéfices de la mise en œuvre de cette option ? Rappelons que le Niger, vaste territoire d’un peu plus de 25 millions d’habitants, est un des pays les plus pauvres de la planète, aux prises avec d’importants défis économiques, sécuritaires et humanitaires. En 2021, l’extrême pauvreté, y touchait plus de 10 millions de personnes selon la Banque mondiale. Pour ce qui est de l’Indice du développement humain (IDH), qui sert à mesurer les progrès réalisés à long terme par un pays dans les domaines de la longévité dans la bonne santé de sa population, de l’accès aux connaissances, et de la décence du niveau de vie, le Niger, au regard du classement fait par le Pnud en 2022, se classait à la 189e place sur 191 pays. Il devançait juste deux pays, tout aussi pauvres que lui, et minés par d’interminables conflits : le Tchad et le Soudan du sud. Sur le plan humanitaire, la Banque mondiale avance que le Niger fait face à un afflux de réfugiés fuyant les conflits au Nigéria et au Mali. En août 2022, le pays comptait 294 467 réfugiés et près de 350 000 personnes déplacées sur son territoire. Tout ceci, sans compter que depuis de longues années, le Niger est la cible privilégiée de djihadistes, qui ne manquent pas une seule occasion pour l’attaquer.

Ce sombre tableau d’un pays qui a tous ses indicateurs au rouge, alimente clairement le doute sur l’efficacité de l’option militaire envisagée par la CEDEAO contre les tombeurs de Bazoum. Au lieu d’arranger la situation, une action militaire risque de l’aggraver et de plonger le Niger dans un cycle de crises qui fera des vagues chez ses voisins.

Doutes sur l’efficacité de l’option militaire

Le recours à la force armée divise même au sein du parlement du Nigeria, où la chambre haute, le sénat, se montre plutôt favorable à l’option diplomatique. Il faut dire que le Nigéria, puissance régionale sur le triple plan économique, militaire et démographique, est le pays qui, à travers la voix de son président nouvellement élu, Bola Tinubu, assume le rôle du chef de file de la coalition régionale qui se montre prête à en découdre avec les nouvelles autorités militaires du Niger, si elles ne remettent pas en place le président Bazoum. Mais après l’expiration de l’ultimatum de la CEDEAO, le doute vient de s’installer dans la tête du président Bola Tinubu, qui préside en même temps la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO. Il estime finalement que la diplomatie est la meilleure voie à suivre dans la crise Nigrienne.

Outre le Nigeria, l’Algérie, cet autre géant d’Afrique du Nord, et poids lourd de la politique africaine, qui partage avec le Niger une frontière commune, se sent aussi concernée par la crise qui se passe chez son voisin du sud. Pour le président Algérien, Abdelmadjid Tebboune, une action militaire de la CEDEAO au Niger mettrait en péril la sécurité de son pays. Il opte lui aussi pour une solution diplomatique. Même son de cloche chez les américains qui savent par expérience comment de telles opérations sont compliquées à faire aboutir avec satisfaction.

A ces deux importantes réserves, s’ajoutent d’autres précédents en Afrique et dans le monde qui doivent faire réfléchir plus d’une fois la coalition va-t-en guerre de la CEDEAO. Tout d’abord il y a l’exemple de la Libye. Les faits montrent aujourd’hui que la relation entre le développement du djihadisme dans tout l’espace sahélo-saharien, et l’intervention armée franco-britannique qui a précipité l’élimination physique de Mouammar Kadhafi en octobre 2011 par ses opposants, est tout à fait indiscutable.

Ailleurs dans le monde, on constate que même pour des superpuissances militaires, comme les Etats Unis et la Russie, ce n’est pas chose simple de terminer une guerre telle qu’elle fut planifiée au départ. Il y a des parts d’incertitudes qui échappent complètement mêmes généraux les plus aguerris. Bref, on sait comment et quand une guerre commence, mais on ne sait jamais avec certitude là où elle s’arrêtera un jour et dans quelles conditions. Pour preuves, plus d’une année après le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, cette dernière avec l’aide militaire du camp occidental résiste encore aux assauts de la Russie, malgré ses importantes pertes sur le terrain. Aussi en Afghanistan, l’armée américaine qui était allée y combattre Al-Qaïda, s’est retirée, 20 ans après, en 2021, sur la pointe des pieds, laissant le destin des Afghans entre les mains des Talibans. Malgré une dépense colossale d’environ 2000 milliards de dollars dans la réorganisation de ce pays, le Gouvernement américain n’a réussi ni à le déradicaliser, ni à faire prospérer la démocratie et la bonne gouvernance économique.

Au final, lorsqu’on applique les recettes de l’analyse coûts-bénéfices à l’option d’une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO au Niger pour le retour à son poste du président de la République, Mohamed Bazoum, on se rend compte que les coûts d’une telle opération (pertes en vies humaines, risques d’enlisement du conflit, inévitable dégradation de la situation sécuritaire, humanitaire et économique déjà précaires, et perturbation de l’espace sahélo-saharien aux prises avec le djihadisme), l’emportent nettement sur les bénéfices qui peuvent en être tirés. Par conséquent, le recours aux négociations politiques et diplomatiques avec les nouvelles autorités militaires du Niger, semble être, en l’état, l’option la plus crédible pour tenter de résoudre la crise.

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