L’armée guinéenne a-t-elle été une armée populaire ou d’élite et disciplinée, la question se pose. Formée de bric et de broc, à ses débuts, elle s’est fait la main dans les différents conflits sur le continent. D’abord au Congo puis dans les différentes colonies lusophones d’Afrique. Elle subissait, à chaque décennie, une purge qui la décapitait.
Sous la Révolution, en 1969, alors que cette armée avait atteint une qualification qui n’avait rien à en vouloir à une autre armée en Afrique, le complot Kaman-Fodéba, qui déboucha sur l’agression du 22 Novembre 70, fit un ravage irréparable en son sein. On dira ce qu’on voudra mais, au temps de Kaman Diaby, les officiers avaient leur lettre de noblesse, l’armée de l’air bien disciplinée et professionnelle n’avait subi aucun accident aérien avec ses MIG. Après le complot Kaman-Fodéba, la Révolution préféra mettre les MIG sous silence à cause de l’influence du colonel Kaman Diaby. La milice populaire, par un entrisme dont la révolution avait le secret, noyauta l’armée par les CUM et les CUP (Comité d’Unité Militaire et Comité d’Unité de Production) des sortes de syndicats au sein des corps et camps militaires et paramilitaires. Les officiers étaient surveillés par les miliciens et la JRDA (jeunesse du Rassemblement démocratique Africain). Ainsi banalisés, les officiers perdirent de leur influence, ce fut le début de la descente aux enfers.
Ce n’est que le 22 Novembre 1970 qu’un seul MIG avait pu décoller une heure après que les bateaux portugais aient levé l’ancre. On se pose toujours la question de savoir pourquoi il n’avait pas bombardé ces bateaux, qui ne devaient pas être hors des eaux guinéennes.
En 1972, des MIG étaient allés à très basse altitude en Sierra Leone au secours du président Siaka Steven menacé par des putschistes. En 1974, les deux escadrilles recommencèrent à voler. Lors d’un exercice d’acrobaties aériennes, un des trois MIG qui formaient l’une des deux escadrilles fit défaillance et plongea dans l’océan, à un kilomètre de la Villa de Elu, devenue la propriété du couple Siradiou Diallo situé dans le quartier Limbantaye, derrière la Cité douane, puis un autre MIG fut signalé disparu, on ne sait plus où. La carrière des MIG prit fin, le BATA (bataillon des troupes aéroportées) prit de l’essor. A défaut de voler, on sautait.
A l’avènement du CMRN, ce qui restait de la hiérarchie militaire fut encore décimée. Après 26 ans de souveraineté, l’armée guinéenne ne comptait plus que deux colonels dans ses rangs. Pendant les 24 ans de Lansana Conté, la hiérarchie se reconstitua. Tous les lieutenants de 84 devinrent à leur tour colonels et généraux, mais en valaient-ils leur grade ?
On se souviendra que dans les années 93-95, le gang de Mathias Léno avait maîtrisé tout Conakry, il avait même séquestré le pilote de l’hélicoptère présidentiel. Les populations furent désabusées quand elles virent les « bandits saletés » à la télévision.
L’armée sous Lansana Conté a connu toutes sortes d’avanies et de déboires. En 1996, une jalousie entre l’armée et la police concernant les avancements, les militaires du camp Alpha Yaya bombardèrent le Palais des Nations, une autre purge avait eu lieu. En 2006, les bérets rouges du camp Alpha Yaya avaient revendiqué et obtenu des améliorations salariales. Les policiers de la CMIS de Cameroun voulurent en faire autant et furent attaqués en ‘’bonne et due forme’’. On ne connait pas le bilan de cet affrontement, comme on ne connait pas le bilan du massacre de 2007 devant le pont 8 Novembre par les mêmes bérets rouges.
Lansana Conté malade, l’armée devenait incontrôlée et incontrôlable. Des attaques à main armée leur étaient attribuées, des coups de feu retentissaient pendant toutes les nuits dans tous les quartiers de la banlieue. La hiérarchie militaire était devenue narcotrafiquante.
Quand le CNDD fit irruption, en 2008, il fit ménage à sa façon : toute la hiérarchie de l’armée fut balayée pour placer ses hommes. A titre exceptionnel, des lieutenants pouvaient être bombardés colonels. On a vu des adjudants détachés pour le gardiennage ouvrir et fermer des portails des villas, avec le grade de lieutenant puis de capitaine, alors que les portails qu’ils gardaient n’ont même pas changé de peinture.
Des soldats se promenaient avec les fusils en guise en ville, circulant en sens interdit avec arrogance, ne payaient pas le transport aux taximen. Un taxi arrêté pour surcharge par un capitaine de la police routière, de ce taxi, sortit un garçon de 20 ans avec son béret rouge sorti avec son fusil, le capitaine de police lui fit un garde à vous et pria le taximan de continuer avec des excuses. C’était le monde à l’envers… D’ailleurs, la rumeur raconte que le général Mamadouba Toto Camara a été sérieusement « bousculé » par des sous-officiers au camp Alpha Yaya qui était le QG de la junte. A l’investiture de Alpha Condé, l’ancienne garde du président de la transition, Sékouba Konaté, et la nouvelle garde de Alpha Condé se sont aussi bousculées pour une sorte de guerre de positionnement. L’attaque de la résidence de Alpha Condé à Kipé, occasionnera une autre petite purge.
Depuis 2012, la réforme de l’armée sous la baguette de Kabèlè Camara semble porter fruit. L’armée est dans les casernes, aucun coup de feu intempestif. Les attaques à main armée ont petit à petit cessé. Le 2 octobre dernier, à l’occasion de l’an 60, cette armée, comme si elle s’était cachée pour aller prendre un bain de jouvence, a réapparu au grand public dans une discipline et une splendeur peu commune.
La servitude et la grandeur militaire, c’est la discipline et le mutisme. Est-elle au service du peuple ou contre le peuple ? La question reste posée.