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Amadou Barry, avocat d’affaires : « le fait d’apparaître sur une liste OFAC n’est pas un fait immuable…»

Avocat d’affaires au cabinet Thiam et Associés, Amadou Barry répond aux questions de Guinéenews sur les enjeux juridiques de l’apparition des hommes d’affaires guinéens d’origine libanaise Ali Saadé et Ibrahim Taher sur la de l’OFAC. Il précise que le fait d’apparaître sur une liste du Bureau de contrôle des avoirs étrangers du département américain du Trésor n’est pas un fait immuable. Et que, l’objectif premier de l’OFAC est de contraindre les personnes sanctionnées à arrêter les actes de terrorisme ou de soutien au terrorisme qu’ils effectuent.

Guinéenews : La semaine dernière, sur la base du décret exécutif  EO 13224, le Bureau de contrôle des avoirs étrangers du département américain du Trésor a désigné deux hommes d’affaires opérant en Guinée comme des financiers clés de l’organisation  » terroriste  »  Hezbollah. C’est quoi l’EO 13224 et que dit-il sur le terrorisme ?

Me Amadou Barry : La législation américaine autorise le Président des États-Unis à prendre des actes visant à règlementer des domaines de compétence fédérale (la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme sont de compétence fédérale). Ces actes sont appelés des Executive Order (EO).

L’EO 13224 a donc été adopté par le Président George W. Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Il permet au gouvernement américain de geler tout actif se trouvant sur son territoire ou transitant par les États-Unis et qui appartiendrait à des citoyens étrangers. Ces citoyens étrangers sont désignés par les autorités américaines en raison d’actes terroristes commis ou du risque élevé de commission d’actes terroristes. Obligation est également faite à tout citoyen américain ou société américaine qui entrerait en possession de tels actifs de les geler.

En d’autres termes, le gouvernement américain, par le biais du Bureau de contrôle des avoirs étrangers du département américain du Trésor (communément appelé OFAC) procède au gel de tous les actifs se trouvant ou transitant sur leur territoire ou détenus par des citoyens ou entités américaines au nom de citoyens étrangers. À titre d’exemple, une banque américaine auprès de qui un tel citoyen étranger désigné a ouvert un compte bancaire est dans l’obligation de geler et rendre indisponible ce compte et en faire état à l’OFAC.

En fait, il faut savoir que l’EO 13224 a mis en place un régime de sanctions avec une liste appelée Specially Designated Nationals List (SDNs List). Les deux hommes d’affaires opérant en Guinée figurent sur cette SDN List. Cette liste contient aujourd’hui des milliers d’individus et d’entités visés par des sanctions.

A part le gel des avoirs des deux hommes d’affaires, quel autre sort pourrait leur réserver les États-Unis ? Des peines pénales sont-elles envisageables dans ce cas ?

Tel que précisé précédemment, on peut s’attendre à ce que tous les comptes bancaires que les deux hommes d’affaires d’origine libanaises détiendraient, directement ou indirectement, auprès de banques américaines soient gelés et rendus inaccessibles par l’OFAC. Il en est de même, pour les biens immobiliers ou autres formes d’investissement qu’ils auraient aux États-Unis qui seront très probablement saisis.

Les relations que ces deux hommes d’affaires peuvent entretenir avec des citoyens ou entités non américaines (par exemple des banques ou citoyens européens ou asiatiques) pourraient également en pâtir. Il faut comprendre que l’EO 13224 a une étendue large et les sanctions peuvent être étendues à toute autre personne ou entité non américaine qui aiderait ou collaborerait avec des individus sous sanctions OFAC. En d’autres termes, une banque européenne ou asiatique ayant des intérêts à préserver aux États-Unis serait tentée de rompre toute relation avec des personnes sous sanctions. C’est pour cette raison que les banques mettent généralement en place des mesures de conformité (Compliance) afin d’éviter de violer des sanctions visant certains de leurs clients.

Sur le volet pénal enfin, il faut savoir que les sanctions issues de l’EO 13224 ne constituent pas une condamnation judiciaire (pénale). L’OFAC n’est pas un tribunal et n’est donc pas habilité à prononcer une condamnation judiciaire. Néanmoins, des poursuites devant les tribunaux américains ne sont pas à exclure, notamment en cas de violation de mesures prises à l’encontre des personnes sur la liste OFAC.

Pour en arriver à une condamnation pénale des deux hommes d’affaires d’origine libanaise devant les tribunaux américains, une action en justice devra être entamée par un procureur fédéral, relevant du bureau de l’Attorney General. Avant d’en arriver à une telle procédure, tout procureur veillera à s’assurer au préalable que les faits reprochés aux deux hommes d’affaires d’origine libanaise constituent des infractions pénales fédérales au sens du droit pénal fédéral (federal offense).

À la différence de nos systèmes de droit civil, le système pénal américain qui est de common law est une procédure accusatoire (par opposition aux procédures inquisitoires de droit civil). Le procureur qui poursuit est au même niveau que l’accusé. Il appartient au procureur de s’assurer qu’il détient tous les éléments constitutifs d’une infraction (sans le moindre doute). Le moindre doute bénéficierait à l’accusé. Dans ces conditions, rien ne garantit qu’un procureur initiera une poursuite pénale contre des personnes désignées sur une liste OFAC. Ce n’est pas parce que les deux hommes d’affaires opérant en Guinée sont inscrits sur une liste OFAC qu’il faudrait conclure qu’ils sont passibles de poursuites pénales aux États-Unis. Il faudra établir que ce qui leur est reproché en lien avec le terrorisme constitue une infraction criminelle fédérale au sens des infractions d’ordre fédéral.

L’OFAC lui-même rappelle sur son site internet que l’objectif premier des sanctions est de contraindre les personnes sanctionnées à arrêter les actes de terrorisme ou de soutien au terrorisme qu’ils effectuent.

La Guinée n’a pas trop attendu pour initier une action judiciaire contre les deux hommes d’affaires… Sur quelle base juridique la justice guinéenne pourrait-elle les poursuivre ? Ne serait-elle pas aller vite en besogne ? 

Notre pays dispose en effet d’un arsenal législatif visant à lutter contre le financement du terrorisme. Il y avait précédemment une loi votée en 2007 qui était destinée à lutter contre le blanchiment de capitaux. Le corpus législatif est demeuré muet quant à la lutte contre le financement du terrorisme jusqu’en 2021. Le parlement a adopté en 2021 une loi portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme qui abroge et remplace la précédente loi de 2007. En fait, cette nouvelle loi a élargi le champ d’application de l’ancienne loi pour inclure la lutte contre le financement du terrorisme.

Cette nouvelle loi est plus large et permet de caractériser la commission d’un acte de financement du terrorisme de façon plus simple. Une telle infraction pourrait par exemple être déduite sur la base de quelques éléments factuels. Le critère le plus important avec cette loi est la résidence en Guinée. Et ce, peu importe le lieu de commission de l’acte. Un individu qui serait résident en Guinée et justiciable devant les tribunaux guinéens pourrait être poursuivi pour des actes de financement du terrorisme ayant des ramifications extraterritoriales. Le cas des deux hommes d’affaires libanais pourrait très bien répondre à ce critère.

La nouvelle loi consacre et renforce des organismes nationaux de régulation, notamment la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) qui doit alerter sur toute transaction suspecte et saisir le Procureur de la République qui a la charge d’initier des procédures judiciaires. Les déclarations récentes du Procureur Général semblent aller dans ce sens puisqu’il a instruit d’engager des poursuites, par voie d’information judiciaire à l’encontre des deux hommes d’affaires opérant en Guinée.

Il est intéressant de noter que dans notre pays nous initions d’ores et déjà une procédure judiciaire devant les tribunaux, ce qui est bien différent aux États-Unis.

Qu’est-ce qui pourrait primer dans cette affaire : l’extra-territorialité de la loi américaine ? La collaboration entre la justice guinéenne et celle américaine ou uniquement l’action de la justice guinéenne ?

Il est trop tôt pour tirer une telle conclusion.

Tout d’abord, l’extra-territorialité de la loi américaine (EO 13224) est déjà effective et produira très certainement ses effets, notamment dans les relations que les personnes désignées peuvent avoir avec d’autres personnes ou entités dans le monde.

Pour ce qui est de la justice guinéenne, elle suit son propre agenda, selon ses propres critères et semble d’ailleurs plus en avance que les procédures américaines, dans la mesure où nous parlons en Guinée de poursuite pénale à initier devant les tribunaux guinéens. Aux États-Unis, nous n’en sommes pas encore à ce stade. Chaque procédure devrait de façon indépendante aller à son terme. Encore faudrait-il que nous parlions de poursuite judiciaire devant les tribunaux américains.

En ce qui concerne la collaboration, il faudrait préciser que les États, soit en vertu de conventions de coopération judiciaire qui les lient, soit en vertu de requêtes entre États, peuvent être amenés à collaborer, voire échanger des informations. Aux États-Unis, une poursuite judiciaire n’est pas encore initiée à l’encontre des deux hommes d’affaires. Les mesures prises par les autorités américaines sont adoptées de façon autonome sur la base de leurs investigations. D’ailleurs, l’EO 13224 conclut en précisant que la décision d’inscrire une personne sur la liste OFAC est prise de façon souveraine sans aucune formalité préalable, ni aucune obligation de notification des personnes sanctionnées.

Les deux hommes d’affaires réfutent les accusations. Comment peuvent-ils convaincre les États-Unis et la Guinée de leur innocence ? Peuvent-ils intenter une action judiciaire contre le Bureau de contrôle des avoirs étrangers ? 

Il faudrait garder à l’esprit que le fait d’apparaitre sur une liste OFAC n’est pas un fait immuable. Toute personne inscrite pourrait en être retirée, en raison par exemple de changements de circonstances. Des personnalités reconnues à travers le monde ont déjà figuré sur une liste OFAC avant d’en être exclues. Le cas le plus récent concerne l’ancienne procureure de la Cour Pénale Internationale, Madame Fatou Bensouda. Elle y a été inscrite par un EO du Président Trump avant d’en être récemment exclue à l’arrivée au pouvoir du Président Joe Biden.

En ce qui concerne les recours dont disposent les deux hommes d’affaires, il faut savoir que les législations qui gouvernent ces sanctions OFAC permettent elles-mêmes une sorte de recours administratif (Request for Reconsideration également appelée Petition for Review). Il s’agit d’une requête directement adressée à l’OFAC, lui demandant de reconsidérer sa décision sur le fondement d’éléments et documents justificatifs pouvant être fournis. Il s’agit d’une procédure longue, nécessitant souvent l’intervention d’un avocat auprès des autorités américaines. En pratique, l’administration américaine est peu réceptive face à ce genre de requête.

Sur le volet judiciaire, il est toujours possible d’intenter un recours contre l’administration américaine. Une personne qui estime que l’OFAC a pris une décision arbitraire à son encontre peut toujours saisir un tribunal fédéral des États-Unis pour contester et faire annuler une telle décision. En pratique, les cas portés devant les tribunaux montrent que le juge fédéral américain accorde une certaine déférence aux décisions prises par l’OFAC et renverse très rarement de telles décisions.

De façon générale, quelles sont les méthodes de financement du terrorisme ? Si les accusations de l’OFAC sont fondées, pourquoi la Guinée n’aurait jamais su que ces deux hommes financent le terrorisme à partir de son territoire ?

L’expérience récente prouve que le financement du terrorisme à l’échelle internationale est protéiforme. Il a la capacité de s’adapter à l’évolution du système financier international.

Dans la zone sahélo sahélienne par exemple, il est désormais établi que des contrebandes de toutes sortes sur différents produits, allant du commerce illicite de pierres précieuses aux prises d’otages contribuent au financement du terrorisme.

Il a également été longtemps suspecté que certaines œuvres de charité à vocation religieuse, voire certains lieux de culte pourraient servir de canaux de financement du terrorisme.

Enfin, diverses activités classiques allant du financement de l’immobilier au commerce pourraient être des vecteurs de financement du terrorisme.

Concernant la connaissance par nos autorités des actes récemment révélés à l’encontre des deux hommes d’affaires, la question devrait être posée à nos différents organismes de régulation et de contrôle. Il faut néanmoins garder à l’esprit que les actes de cette nature s’adaptent et s’améliorent au fil du temps de sorte que les différents organismes de contrôle peuvent avoir un temps de retard dans leur outil de lutte. Enfin, et il est important de le souligner, les deux hommes d’affaires concernés par ce dossier doivent, au même titre que tout autre justiciable, bénéficier de la présomption d’innocence. Je me garderai donc d’affirmer qu’ils ont commis une quelconque infraction tant qu’une décision de justice définitive n’aura pas été rendue sur la question.

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