Dans une interview accordée à Guineenews©, Aliou Bah, le président du parti Mouvement démocratique et libéral (MoDeL), parle du refus du MATD de délivrer l’agrément de son parti, de ses ambitions pour le pays, des businessmen de la crise, des élections communales, entre autres.
Guinéenews© : Pourquoi avez-vous quitté le Bloc Libéral ?
Aliou Bah : Pour des raisons de divergences sur le fonctionnement interne et de positionnement du parti sur l’échiquier politique national. A un moment donné, il faut savoir partir quand l’espace d’épanouissement se rétrécit et que vos convictions sont heurtées.
Guineenews© : Beaucoup pensaient que vous seriez à l’UFDG, même avant votre départ du BL, puisqu’il y avait un rapprochement entre vous. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Aliou Bah : La seule proximité que je sache est liée à nos appartenances à l’opposition et nos convictions libérales en termes de vision pour le développement de la Guinée. Tout le reste n’était que des spéculations souvent basées sur la subjectivité, la suspicion et les raccourcis. Heureusement qu’il y a encore des Guinéens de valeur qui savent prendre de la hauteur pour ne pas s’adonner aux clichés. Malheureusement, certains ethno-stratèges s’adonnent à ce type d’exercice sur la base de leur propre mode de fonctionnement et de raisonnement qu’ils pensent nécessairement partagés. Sinon pourquoi ne m’a-t-on pas imaginé chez les autres libéraux de l’UFR ou du PEDN qui sont aussi de grands partis politiques et qui ont à leurs têtes des leaders bien connus ? Qui, plus est, nos compatriotes m’ont connu comme étant un homme libre dans ses prises de position et sa conduite.
Guineenews© : Vous dirigez aujourd’hui un parti sans agrément. Qu’allez-vous faire pour régler cette situation ?
Aliou Bah : Nous sommes en recours auprès de la Cour suprême et nous attendons sereinement sa décision. En effet, nous avons déposé un dossier de demande d’agrément en bonne et due forme auprès du Ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation (MATD) par l’exploit d’huissier de justice le 23 août 2018 enregistré sous le numéro 3011 contre un récépissé daté du 06 septembre 2018. Après expiration de tous les délais réglementaires (90 jours), nous n’avons reçu aucune notification de refus, d’approbation ou de réserve de la part des autorités compétentes.
Par conséquent, nous avons requis un cabinet d’huissier qui en a dressé un procès-verbal de constat de toutes les anomalies auprès du ministère. Sur la base de l’article 89 de la loi portant Statut de la Cour suprême, nous devrions observer un mois supplémentaire pour faire constater l’effectivité du refus implicite afin d’être dans les règles pour engager notre recours. Ce qui fut fait par l’entremise de nos avocats le 2 janvier 2019 auprès du greffe de l’institution. Il faut simplement regretter que ce qui devrait être une procédure administrative simple soit politisé de façon exagérée par le zèle des administrateurs publics qui n’ont aucun égard pour nos lois et aucun respect pour les droits et libertés de leurs compatriotes. Sinon les lois ont tellement évolué ailleurs que la création des partis politiques se fait sous le régime déclaratif. C’est-à-dire sans procédure lourde car il appartient surtout à l’électorat de décider du sort des partis politiques dans une démocratie. L’objectif du régime d’Alpha Condé est simplement d’étouffer toute forme de contradictions à son diktat. Que cela se passe sous l’autorité d’un Docteur en droit et opposant historique relève de la bassesse. De telles pratiques n’honorent pas sa gouvernance.
Guineenews© : Avec le MODEL, qu’allez-vous proposer aux Guinéens de nouveau, des propositions qu’on ne leur a pas d’abord faites ?
Aliou Bah : Nous avons décidé de créer ce parti politique pour non seulement contribuer au renouvellement de la classe politique mais surtout pour apporter de la qualité au niveau de l’offre politique. La distinction d’avec les autres partis politiques est notre conviction que la politique doit être faite qavec pour objectifs le bien-être des populations et que toute voie autre que celle-là va à l’encontre des droits fondamentaux de ces populations. Partant de cette conviction, nous mettons l’accent sur la pédagogie à travers laquelle nous expliquons aux citoyens les fondements de la République, leurs droits et leurs devoirs et en quoi ils sont responsables de sa bonne marche.
Nous sommes conscients de la nécessité de fédérer pour atteindre nos objectifs : un Etat réellement démocratique et respectueux des droits fondamentaux des citoyens. Voilà l’essence du projet politique du MoDeL. Nous pensons que ce qui a manqué fondamentalement à notre pays, c’est un Etat dans le vrai sens du mot et une conscience citoyenne. Rebâtir l’Etat est notre première priorité. Et pour cela, nous proposons un système politique qui nous sort du présidentialisme fort que nous avons vécu depuis le premier régime. Il faut éviter de personnaliser nos institutions et ramener la confiance entre elles et la population en renforçant les lois sur la redevabilité : gérer et rendre compte en étant exemplaire.
D’où l’appellation MoDeL de notre mouvement politique. Nous ambitionnons un pays modèle à travers une gouvernance modèle. La formation académique et l’éducation citoyenne est notre deuxième axe de priorité en ce sens que nous entendons développer le génie de chaque Guinéen pour qu’il soit contributeur au développement national. Sans être esclave des idéologies abstraites et inadaptées, le social-libéralisme que nous préconisons est celui qui met les initiatives privées au centre de la création de la richesse nationale avec une administration de taille raisonnable qui va s’occuper du suivi et évaluation des règles du jeu.
Un parlement assez représentatif et fort pour légiférer qualitativement et surveiller l’exécutif à travers des commissions spécialisées disposant de véritables marges de manœuvre. Ce qui nous permettra de résoudre nos problèmes à la source.
L’agriculture, l’immobilier, les nouvelles technologies de l’information et la communication sont pour nous des secteurs qui peuvent, sous l’ère de la mondialisation, non seulement mobiliser de gros financements, mais aussi créer éventuellement des emplois et générer des recettes fiscales importantes pour permettre à l’Etat de faire face à ses obligations en matière de politique publique.
Pour nous, la politique n’est utile que lorsqu’elle a comme finalité la lutte efficace contre la pauvreté à travers des leviers viables de gouvernance. Et pour cela, le MoDeL a un projet de société en phase avec les réalités du moment. Nous avons choisi d’être pragmatiques dans notre projet de société. Et c’est pourquoi, toutes nos actions sont assorties d’un volet mise en oeuvre.
Guineenews© : Le mandat des députés a été prorogé par le président Alpha Condé. Quel est votre avis sur ce sujet ?
Aliou Bah : Je trouve dommage qu’on ne respecte pas nos agendas électoraux. L’Etat guinéen qui se comporte en allié du parti au pouvoir est à la base de tous ces dysfonctionnements. Car il lui appartient de veiller au respect des lois et au bon fonctionnement des institutions. Cette situation a été sciemment préparée pour favoriser le glissement de tous les calendriers électoraux en perspective, mettant le pays dans l’incertitude totale. Et ce sera surtout au détriment de ceux qui, par leurs calculs machiavéliques, croient pouvoir rouler tout le monde dans la farine. Je pense qu’ils finiront par en être étouffés car tous les scénarii deviennent possibles face à des dirigeants qui ne respectent pas leur serment.
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Guineenews© : Aujourd’hui, au lieu d’un troisième mandat pour Alpha Condé, on parle d’une IVè République. Ce qui mettra le compteur à zéro. Pensez-vous qu’il y a des moyens d’empêcher Alpha Condé de s’éterniser au pouvoir s’il en a l’envie ?
Aliou Bah : Ça se voit que les scénaristes de Sékhoutouréya travaillent à plein temps (rires). Quelles que soient ces manœuvres juridiques ou politiques et les noms qu’on leur donne, il faut que ce président quitte le pouvoir au terme de son dernier mandat en 2020. Après plus d’un demi-siècle de dictature, la Guinée n’en fabriquera plus. Et le contexte international est très défavorable à ce type de pratiques malsaines. Ne croyez pas aux agitations du petit clan d’opportunistes et de démagogues de l’Administration et du parti au pouvoir. Leur seul intérêt est d’entretenir la psychose en permanence pour encourager les vols, détournements d’argent public et obtenir des nominations honteuses. En temps d’accalmie, ils n’ont aucune possibilité d’exister. Donc, il leur faut créer des crises pour en profiter.
Dans un tel scénario, tout semble bien en place jusqu’à la dernière minute. Personne ne peut savoir exactement d’où peut venir le danger quand on s’écarte de la loi et des principes républicains. Et les premiers à vous lâcher sont généralement ceux qui vous ont conduit à cette impasse.
Une année après l’organisation des élections communales, on a peiné à installer les exécutifs communaux dans certaines circonscriptions. Pendant ce temps, d’autres ont déjà été installés il y a des mois. Comment comprenez-vous cette situation ?
Cette situation est similaire à tout ce que nous avons connu de cette mauvaise gouvernance du président Alpha Condé. Il faut juste ajouter que la politisation outrancière des élections locales à travers la dernière modification du code électoral a sacrifié le renforcement de la décentralisation et le développement à la base qui pourtant constituent le principal enjeu de ce type d’élections. J’avoue également que des hommes politiques mal inspirés et égoïstes ont été complices de cet état de fait.
Guineenews© : Quel commentaire faites-vous de la situation de la commune de Matoto ?
Aliou Bah : La situation de Matoto n’échappe pas à ce même ordre de raisonnement. A ce rythme, aucun partenaire au développement crédible n’appuiera les collectivités locales en termes de financement ou de renforcement de capacités. Les budgets communaux étant maigres et les transferts de ressources négligeables, je pense que les populations seront les plus affectées par cet imbroglio, et elles ont le droit de se demander d’ailleurs à quoi cela sert-il de voter désormais.
Guineenews© : Aujourd’hui, l’opposition est divisée. Il y a le groupe de Cellou et celui de Sidya. Ne pensez-vous pas que cette division fera l’affaire d’Alpha Condé ?
Aliou Bah : Le manque d’union au sein des forces du changement en général et de l’opposition en particulier constitue un préjudice réel pour notre démocratie qui a besoin d’un contre-pouvoir et d’une alternative crédible. Mais il faut comprendre aussi que le fait, sur la base du principe, que le président sortant ne sera plus candidat en 2020, il est logique que chacun estime que ses chances soient réelles pour arriver enfin au pouvoir d’autant plus que cette échéance représente une dernière chance pour la plupart des acteurs majeurs du paysage politique guinéen au regard de leur âge et du caractère obsolète de leur offre politique. Disons que c’est de bonne guerre en attendant la transition générationnelle qui est un processus irréversible dans toute société.
Guineenews© : Vous dites que vous êtes de l’opposition. Est-ce que vous serez avec Cellou, Sidya ou en solo ?
Aliou Bah : Nous sommes de l’opposition car nous ne nous reconnaissons pas à la gouvernance actuelle que nous critiquons objectivement en proposant des alternatives. L’opposition est une position politique qu’il faut assumer avec conviction, responsabilité et courage. Elle n’est pas le visage d’un homme encore moins l’identité d’un parti. Il est tout de même normal que des plateformes de concertation et de mutualisation des efforts et stratégies se créent en son sein selon les courants et les intérêts politiques de circonstance. Mais j’avoue que c’est toujours absurde d’entendre certains politiciens dire qu’ils quittent l’opposition pour des raisons égocentriques. La politique du ventre et le nivellement du débat par le bas n’honorent pas la classe politique guinéenne et sa vaillante population. Nous méritons mieux. Évidemment, lorsqu’on fait de la politique un métier, étant donné qu’elle est une vocation, celui qui est au pouvoir vous tient par la force du décret et de l’argent. Il y va de soi.
Guineenews© : Le retour de Cellou à Conakry a conduit à des violences. Des policiers sont allés à son siège pour y jeter des gaz lacrymogènes. Un mot là-dessus ?
Aliou Bah : La violence d’Etat a toujours été la réponse aux revendications politiques et sociales en Guinée. Le cas particulier de cette énième barbarie sur le président de l’UFDG et ses militants est condamnable au premier degré. Ceci prouve que nous ne sommes plus dans le schéma d’adversité politique propre à une démocratie. Alors, il faut que chacun prenne la juste mesure de la situation pour comprendre la nécessité de prendre enfin les dispositions conséquentes. Ce cas d’ailleurs révèle plusieurs aspects inquiétants pour la paix et la stabilité de notre pays. Il y a d’abord son caractère discriminatoire et disproportionné car beaucoup d’acteurs politiques tiennent des activités en permanence sur le terrain sans que rien ne leur arrive.
Ensuite, tout porte à croire que les extrémistes du pouvoir ont décidé de passer à la vitesse supérieure pour éliminer toutes formes de contradiction et toutes possibilités d’alternance en dehors de leur cercle politique. Nous avons vu beaucoup de pays basculer à cause de ce type de comportement des autorités. Je pense que la Guinée est véritablement en danger car la frange de la population qui ne partage pas le point du vue du pouvoir se trouve exposée face à la stratégie de répression planifiée par le couple État-RPG.
Guineenews© : Vous venez d’être sélectionné par le Quai d’Orsay pour un programme leadership de personnalité d’avenir pour un séjour à Paris allant du 10 au 17 mars. Pouvez-vous nous en parler brièvement ?
Aliou Bah : C’est d’abord une fierté pour la jeunesse guinéenne et pour notre parti le MoDeL. Effectivement, j’ai reçu cette notification au courant du mois de novembre 2018. J’ai été reçu en audience par monsieur l’ambassadeur de France en Guinée et son conseiller politique pour discuter des détails. Au regard des caractéristiques du programme, je me sens très honoré d’avoir été sélectionné d’autant plus qu’il y a eu plusieurs icônes mondiales qui en ont bénéficié pendant leur jeunesse.
Je m’y rendrai pour mener des activités au niveau des institutions politiques et administratives françaises et pour rencontrer des personnalités issues de plusieurs milieux différents. Cela est important en termes d’expérience et de création de liens pour celui qui porte de grandes ambitions pour son pays.
Je remercie au passage les autorités françaises pour cet honneur car la Guinée et notre parti le MoDeL vont tirer pleinement profit de mon séjour dans le cadre de ce programme.