De prime abord, cela semblait simple à dire et facile à expliquer: un accident mortel suivi d’incendie dont le caractère spectaculaire a impressionné plus d’un ! Mais, bien souvent, dans le traitement des cas d’accident, les choses se passent différemment. Dans ce qui paraît, à première vue, aisé à déterminer se cache quelquefois un long écheveau à dévider. Ce cas de figure en est une parfaite illustration. Dans la première narration faite au conditionnel, en attendant le constat, nous avions fait cas, au-delà du bilan corporel qui a évolué entre temps, d’éblouissement, de vive allure, de non respect de la distance de sécurité, d’incendie consécutif à une collision en chaîne ayant poussé une voiture sous un camion en panne, sans aucun dispositif d’éclairage et de signalisation et de manque d’extincteur avéré.
Le caractère plausible de certaines des informations rapportées par nos sources sur les lieux du sinistre, n’avait pas empêché la gendarmerie routière en charge du dossier, aussitôt rendue sur les lieux, d’émettre quelques réserves. Soucieuse qu’elle est de toujours restituer la vérité des faits et obéissant à l’éthique et à la déontologie qui proscrit de déterminer une quelconque responsabilité sur les lieux d’un accident, elle avait fait table rase de tous les argumentaires et supputations émis par les parties et annoncé des enquêtes pour y voir plus clair.
Les résultats de ces investigations sont aujourd’hui disponibles. De nouveaux éléments ont fait leur apparition pendant que d’autres, précédemment évoqués, n’ont pas été retenus.
L’adjudant Abou Latè Dounamou chef de poste de gendarmerie routière et chargé de constat à Tanènè nous apporte l’éclairage nécessaire à la bonne compréhension de ce dossier d’accident tragique: «Avec l’accord de mes chefs hiérarchiques, je commencerais par vous dire que le nombre de morts est remonté à cinq au lieu de quatre, comme annoncé au départ. Quant aux blessés, actuellement hospitalisés, ils sont au nombre de quatre dont trois dans un état jugé grave. Nous regrettons toujours ces cas de décès et profitons de l’opportunité que vous nous offrez pour présenter au nom de notre commandement, nos condoléances aux familles éplorées et nos vœux de bonne guérison aux blessés.»
Et l’adjudant Abou Latè de poursuivre : « cet accident mortel de la circulation avec blessés graves et dégâts matériels importants est survenu le dimanche 10 mars aux environs de 20 heures dans la localité de Yeniya située à 15 km de Tanènè vers Boffa. Il a intéressé trois véhicules : une Renault 21 immatriculée RC 9927 R, une Peugeot 305 calcinée, non encore identifiée et un camion Renault RC 0786 O. A la date et heure sus indiquées, Kéléfa Sané, conducteur du camion en provenance de Boffa pour se rendre vers Tanènè à son bord 105 madriers et deux apprentis dans la cabine, suivi de Mohamed Kéita conduisant la Peugeot 305 calcinée, à son bord sept (07) personnes et Seydouba Camara, juste derrière dans la R 21 avec six (06) passagers.
Au cours du trajet, Seydouba Camara abordant à vive allure un tracé rectiligne sur une déclivité (petite colline) aperçoit devant lui trois véhicules dont deux voitures et un camion. Il dépasse la première voiture. Au même moment, venant en sens inverse, un camion non identifié surgit avec des feux antibrouillard communément appelés « chinois » et réputés hyper éblouissants.
Devant le danger, Seydouba Camara tente vivement de reprendre son couloir de droite et percute alors l’arrière de la Peugeot 305 dont la position sur la chaussée donne à croire qu’elle s’apprêtait elle-même à dépasser le camion. Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse pour dire qu’en rase campagne nous constatons que les gros véhicules à pleine charge ont de la peine à remonter ou descendre les côtes. Ils roulent alors très lentement, ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Bon nombre d’usagers sont tentés alors de les dépasser à tout prix, avec tous les risques y afférant. Donc, pour revenir à notre sujet, sous l’effet du choc désormais, la Peugeot rentre sous le camion et prend feu aussitôt. Malgré l’intervention rapide et déterminée des riverains et quelques usagers de passage, le feu n’a pas été maitrisé à temps. Il a progressé, se transformant en un immense brasier. Le camion et la Peugeot en flammes sont restés couplés sur la chaussée.»
A la question portant sur l’impact résultant d’une collision entre des véhicules, le chef de poste, chargé de constat de la gendarmerie routière de Tanènè dira que celui-ci dépend de la vitesse desdits véhicules. Pour étayer sa thèse il cite l’exemple du choc contre la Peugeot: « Aussitôt qu’elle l’a heurtée et propulsée sous le camion, la Renault 21 a reculé à 17m, 56 du point de choc, comme repoussée par une force phénoménale invisible.»
Le bilan de cet accident est de cinq morts:
Aboubacar Barry, 56 ans, marchand, Kamanbanty (Dinguiraye),
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Elhadj Oumar Barry, 33 ans, marchand, Hafia (Ratoma)
Aissatou Lappy Diallo, 32 ans, Kolaboui (Boké) et deux autres personnes calcinées (un homme et une femme), non encore identifiées.
On dénombre aussi, comme dit plus haut, quatre blessés, dont trois dans un état jugé grave et des dégâts matériels importants sur les trois véhicules et leur contenu.
Nous avons évoqué le cas des extincteurs que personne n’a vu en action sur les lieux de l’accident. L’adjudant Abou Latè a réservé une longue explication à cette question: « nous, personnel de gendarmerie chargé du contrôle routier, avons reçu de notre commandement l’ordre de contrôler l’existence des extincteurs à bord des véhicules circulant en rase campagne. L’objectif est de protéger les automobilistes contre tout départ de feu sur un véhicule. Cette mesure ne semble pas bien comprise par bon nombre d’usagers qui obtempèrent malgré eux, sans trop y croire. On en rencontre qui achètent un extincteur sans savoir s’en servir ou qui nous montrent fièrement celui qu’ils possèdent depuis longtemps ou qu’ils viennent d’acheter et qui s’avère…vide, après contrôle!
Sur les lieux de cet accident, personne ne s’est présenté devant nous avec un extincteur, ni les conducteurs des véhicules en cause, ni les usagers de passage. Si cela avait été le cas au départ du feu, on aurait pu limiter sa progression et éviter d’atteindre le seuil fatidique où il faut l’intervention des sapeurs pompiers.
Il arrive que des personnes qui en disposent s’abstiennent d’intervenir pour diverses raisons. Des prétextes d’ordre mercantiles sont souvent évoqués. Ça m’a coûté tant, serais-je remboursé ou pas ?
En pareil cas, si ces individus sont découverts, ils tombent sous le coup de la loi pour non assistance à personne en danger.
Dans tous les districts situés le long de la route nationale n°3, les contacts de notre unité sont connus des citoyens conformément aux instructions de notre hiérarchie qui nous engage à instaurer un climat de confiance et une parfaite collaboration avec les populations. Cela fait qu’on nous appelle à chaque évènement. C’est ainsi que dès après l’accident nous avons été informés et avons rallié l’endroit sans tarder. Avant le départ, monsieur le maire de Tanènè et Abdoulaye Condé un membre du syndicat nous ont fourni deux extincteurs. A notre arrivée sur les lieux, nous avons compris que ceux ci n’étaient plus d’aucune utilité avec l’intensité des flammes. Il fallait changer de stratégie pour faire face à l’incendie qui se développait avec la centaine de madriers brûlant dans le camion. Là également le maire nous a appuyés en faisant venir un camion citerne d’eau qui a fait deux rotations. Ce qui a permis de réduire les flammes et limiter les dégâts. Ces opérations d’extinction de feu ont été menées par les gendarmes qui avaient la délicate mission d’orienter les tuyaux sous pression de la citerne, en direction des flammes.»
Pour conclure ce cas d’accident mortel suivi d’incendie, de blessés graves et de dégâts matériels importants, la gendarmerie routière « relève et retient à l’encontre de Seydouba Camara, conducteur de la R 21, le non respect de la distance de sécurité suivi d’une vitesse non adaptée à la circonstance en ces lieux. »
C’est le cas de le dire, le chauffeur Seydouba Camara, en tentant de dépasser une file de véhicules en marche, sur côte et de nuit, en rase campagne, a engagé sa responsabilité pleine et entière dans la survenue de cet accident.
Rien de ce qu’il pourrait dire pour se justifier ne saurait absoudre pareil comportement. C’est dur, mais c’est comme ça, souffrons-le!