La question mérite d’être posée compte tenu, d’un côté, de la facilité avec laquelle la cedeao s’accommode des pratiques anti démocratiques des chefs d’État en exercice, et de l’autre côté, de la promptitude avec laquelle elle s’éleve, comme c’est présentement le cas en Guinée, contre l’irruption de l’armée sur la scène politique. Une irruption qui n’a pourtant rien d’étonnant lorsqu’on sait qu’il y a un lien logique entre cette irruption et l’incurie des élites dirigeantes.
C’est en 2001 en effet, que l’ancien premier ministre, Maitre Lamine Sidime, a signé au nom de la Guinée, le Protocole de la Cedeao sur la « Démocratie et la bonne gouvernance ». Dans son article 1.c , ce Protocole déclare que » Tout changement anti-constitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ».
L’article 45 du même Protocole, mentionne à son tour qu’en cas de « rupture de démocratie par quelque procède que ce soit », la Cedeao, à travers la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, est en droit de prononcer des sanctions par graduation contre l’Etat fautif. Une des sanctions à cet égard est la suspension de l’État concerné de toutes les instances de l’organisation. C’est cette sanction qui a été prononcée hier, 8 septembre, par la Cedeao à l’encontre de la Guinée au cours d’une visioconférence placée sous la présidence du ghanéen, Nana Akufo-Addo, président en exercice de la Cedeao. L’organisation sous regionale suspend la Guinee de ses instances, à raison du coup de force qui a permis à la junte militaire de s’emparer du pouvoir le 5 septembre 2021, en écartant le président Alpha Condé. Elle décide en même temps de l’envoi d’une mission dans ce pays, le 9 septembre, pour prendre langue avec la junte militaire.
La décision de la Cedeao intervient à un moment où ce coup de force est pourtant très bien accueilli par une écrasante majorité des populations et les principales formations politiques du pays. Le parti du président déchu, à son tour dit prendre acte du coup d’État sans le condamner formellement. Mais exige la libération immédiate de l’ancien président.
La position hypocrite de la Cedeao dans l’interprétation de l’article 1.c de son protocole choque plus d’un. Alors qu’elle condamne l’irruption des militaires sur la scène politique, elle ne condamne jamais les changements anti constitutionnels, la manipulation des élections et le maintien par la force au pouvoir, dont se rendent coupables certains chefs d’Etat en exercice en Afrique de l’ouest. Face au changement anti constitutionnel intervenu en Guinee en 2020, la détention des leaders d’opinion pour avoir ouvertement critiqué la gouvernance du président Alpha Condé, et face à de nombreux cas de violation des droits humains rapportés par les organisations de défense des droits de l’homme, la Cedeao est restée de marbre. Sans lever le petit doigt. Ces pratiques déviantes et anti démocratiques n’ont jamais constitué aux yeux de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao, des cas de rupture de la démocratie au sens de l’article 45 du protocole, pouvant et devant justifier la sanction de la Guinée sous le président déchu.
La non condamnation par la Cedeao des dictatures exercées par les présidents en exercice d’une part, et la condamnation des coups de force de l’armée pour débarrasser leurs populations de tels régimes d’autre part, font perdre à la Cedeao sa crédibilité et sa pertinence auprès des populations africaines. La Cedeao se présente comme un syndicat, sinon un cartel de chefs d’État qui se protègent mutuellement contre leurs propres peuples.
On a malheureusement à faire à une organisation de chefs d’Etat et non à une organisation qui represente et qui défend les aspirations démocratiques des peuples de ses Etats membres. Coup de bluff ou pas, en suspendant la Guinée à cause du coup de force de l’armée guinéenne, la Cedeao vide de son sens son protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, tout en risquant de se rendre ridicule aux yeux d’une population qui aspire à plus de démocratie.