Arrêt sur image: qui, de ce vieux camion ou de son propriétaire, va être le premier à en finir avec l’autre
La question n’est pas aussi simple qu’il paraît. Dans le langage courant du terroir, on entend des formules imagées du genre : « le véhicule ne meurt pas, c’est son propriétaire qui meurt.» «Dans la gestion d’une automobile, c’est la poche qui se vide.» C’est plutôt vrai tout ça, non ?
Tant que vous avez les moyens de réparer votre véhicule, il fonctionnera. Il vous en coûtera peut-être plus que ce que vous donnez habituellement à votre famille et aux autres. Mais, c’est une condition sine qua non. Vous ferez toujours l’effort nécessaire pour satisfaire à cette obligation qui constitue une condition essentielle au fonctionnement correct de votre véhicule. Quitte à vous endetter et tout le reste. C’est à peu près comme ça que ça fonctionne actuellement chez nous et peut-être même ailleurs. Comme nous l’avons souvent répété, nous devenons l’esclave de l’esclave technique.
Sous certains aspects, l’usage que l’on fait de l’automobile dans notre pays est très particulier. Il bouleverse même les pronostics des plus grands constructeurs qui fixent des garanties et déterminent une durée de vie à chaque modèle. S’il arrivait que l’un d’entre eux fasse un tour chez nous pour voir le parc automobile en circulation, il aurait la plus grande surprise de sa vie.
Il est admis que le parc soit vieillissant. Cela est connu de tous. Toutefois, on relève deux exceptions singulières qui interpellent. Elles se situent aux extrémités de la moyenne vieillissante. D’un côté, il y a les véhicules neufs, haut de gamme et de l’autre, de bien vieux modèles, dignes du musée ou de la casse. Ce qui surprend bien les gens, c’est de voir ces deux extrêmes se partager la route. Il n’est pas exagéré de dire que nos compatriotes adorent les belles voitures, les beaux carrosses. Nous ne ferons pas de la publicité, à les citer. On trouve à Conakry des voitures sorties d’usine, assez rares ailleurs. Même les blancs qui passent ou séjournent chez nous s’extasient à les voir. Ils n’en reviennent pas. Pour le fonctionnement correct de ces mécaniques, dernier cri, il en coûte forcément à leurs acquéreurs qui se doivent d’assurer l’entretien, la réparation, et la consommation de carburant et de lubrifiant. Mais, ils n’en ont cure. Pourvu qu’ils roulent et qu’on les voit !
A l’opposé de ces bijoux précieux, nous avons les vieux véhicules. Ceux là aussi existent en grand nombre et circulent, comme par miracle. Se basant peut être sur la théorie de Lavoisier qui soutient que « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » En tout cas, tous les moyens sont utilisés pour les faire fonctionner.
Ce vieux camion que vous voyez là, est un Zil. Une marque automobile de l’ancienne Union Soviétique. Il est arrivé en Guinée dans les années 60. L’image n’est pas des meilleures, loin s’en faut. Mais, il fallait faire vite pour ne pas subir le courroux du chauffeur qui n’aurait certainement pas apprécié ou permis, qu’on le photographie. C’est un monde un peu fermé où la méfiance n’est jamais loin. Quand vous vous intéressez trop à leurs camions, ils pensent que vous voulez vous en moquer. Regardez bien l’image et voyez l’état de la cabine : le siège du conducteur, le levier de vitesses, les pédales, le volant, etc. Tout est d’un autre âge ou digne d’un musée. Pourtant, rassurez-vous, ce camion n’est pas à pousser pour qu’il s’allume. Il démarre à la clé. Et comble de paradoxe ou d’analogie, sur la plupart d’entre eux qui servent essentiellement au transport du sable, il est écrit en grand format : Air Force One. Rien de moins !
Cette comparaison est tout simplement ahurissante. Peut être bien qu’au fond, elle n’est pas mauvaise en soi. Ses auteurs cherchent un modèle qu’ils prennent chez le plus grand de tous, les Etats-Unis. Baptiser leurs vieux camions, air force one, peut être vu sur deux plans. D’abord, la symbolique de la force, de la puissance et de la solidité. Ensuite, la réaffirmation de leur confiance totale en ces camions qui les font vivre et le rappel aux railleurs, que l’heure de leur arrêt définitif n’a pas encore sonnée. Quand on se compare à plus grand que soi, on est forcément tiré vers la réussite. Et tous les heureux aboutissements pour la circulation routière et pour le progrès des exploitants du secteur viennent avec. Pourvu que les autorités s’y intéressent et songent à les organiser et à les accompagner. Nous allons nous appesantir sur ce sujet pour en comprendre le fonctionnement.
En attendant, notons qu’il existe bien d’autres véhicules plus vieux que ceux dont nous avons parlé. Les Citroën, communément appelés ‘’Alakabon ’’ sont de ceux-là. Ils se raréfient en ville, au profit de la zone suburbaine ou de quelques préfectures de l’intérieur du pays. Ils sont de la génération des premières années de notre indépendance. On ne trouve plus ou, pour mieux dire, on ne fabrique plus leurs pièces de rechange. Aussi, se rabat-on sur la casse pour les dépanner, eux et tous les autres, avec des pièces d’occasion importées ou de seconde main. Et quand tout cela ne marche pas, on fait recours aux artisans de la place, comme les cordonniers qui fabriquent ce qu’il faut : silentblocs, joints, patins, tapis de plancher, caoutchoucs élévateurs de carrosserie, etc. Et le véhicule se ‘’réveille’’ encore, pour un temps.
Certains mettent de l’eau savonneuse à la place de l’hydraulique pour les freins, de l’huile vidangée dans le moteur, du plastique entre le pneu et la jante, des chiffons ou des cordages pour obturer un orifice ou retenir un élément. En somme, un vrai bricolage, une parfaite illustration du système D. Mais aussi un hommage certain à l’endroit de nos ouvriers et artisans pour leur grande capacité à s’adapter à ce manque de pièces de rechange, qu’ils surmontent avec tout le potentiel génial qui les caractérisent.