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Sidya Touré se lâche: « Troisième mandat, « amoudanguima, amoulanma, amoulanfé »

Dans cette interview accordée à votre quotidien en ligne, à la veille de la journée du 13 janvier, marquant le début d’actes de désobéissance civile, à l’appel du Fndc, contre le changement constitutionnel, l’ancien Premier ministre, Sidya Touré, par ailleurs, président de l’Union des forces républicaines (UFR), se prononce sur l’actualité sociopolitique du pays, notamment la poursuite des manifestations des opposants au régime en place, les activités de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’affaire Elie Kamano, entre autres. Lisez :

Guinéenews.org : Monsieur Sidya Touré, vous êtes président de l’Union des Forces Républicaines (UFR), vous êtes de ceux qui prônent le respect des lois et des institutions de la République de Guinée. Vous êtes également de ceux qui exigent un fichier propre avant de prendre part aux élections. Cependant la CENI continue de dérouler son calendrier, en dépit de vos marches. Qu’en dites-vous ?

Sidya Touré : je crois que nous avons déjà qualifié ces futures élections, si on peut les appeler comme ça. Nous avions, l’année dernière, le résultat de l’audit du fichier de la République de Guinée. Sur 6 millions d’électeurs, on avait 3 millions qui n’étaient pas dédoublonnés. Il y avait 1 million 574 mille qui n’avaient pas d’empreinte digitale. Donc il était très clair que les 6 millions que nous avions sur le fichier ne correspondent pas à la réalité du nombre d’électeurs en République de Guinée. C’est pour cela qu’on a décidé que tout le monde puisse passer devant les machines pour que ceux qui existent soient reconnus, ceux qui n’existent pas s’inscrivent et ceux qui ne viennent pas soient considérés comme n’étant pas dignes d’y figurer. Ce, à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est tout le contraire de cela, à savoir un fichier qui est bâti sur des principes qui n’ont été respectés à aucun niveau. Vingt-cinq jours pour faire un recensement alors que la loi en prévoit 92 chaque année. Et cela faisait 5 ans qu’on n’avait pas fait de recensement. Donc nous estimons que ce qu’on vient de faire, le fichier qui va sortir de là ne corresponde pas à l’électorat guinéen, c’est un fichier manipulé auquel nous ne pouvons pas souscrire.

Guinéenews.org : Malgré tout ce que vous dites, la CENI maintient le cap. Elle a même publié un chiffre d’un peu plus de 8 millions d’électeurs. Qu’en dites-vous ?

Sidya Touré : Ce n’est pas la CENI qui maintient le cap. La CENI énonce des choses qui sont édictées ailleurs au niveau de la présidence, notamment les cartes d’électeur et autres ont été imprimés en Côte d’Ivoire. Il y a des gens qui s’occupent d’un certain nombre de choses et qui viennent dire à la CENI ce qu’il faut annoncer à la population. 8 335 000 électeurs par rapport à la population, ça veut dire que 70% des Guinéens figurent sur le fichier électoral. Je ne crois pas que vous aurez un tel taux, même en Islande. Habituellement, c’est moins de 50%. Donc cela vous donne un peu une idée que ce dont nous sommes en train de parler, à savoir qu’il ne s’agit pas d’un fichier électoral acceptable, c’est fait dans un objectif que nous connaissons tous, qui est le problème du 3ème mandat, et qui va nous sauter à la figure d’un moment à l’autre.

Guinéenews.org : En tant que président de l’UFR et membre du FNDC, vous avez récemment déclaré qu’il n’y aura pas d’élections en Guinée si ce n’est la présidentielle. Le président Alpha Condé s’est finalement prononcé sur le changement de la constitution guinéenne que vous entendez défendre jusqu’au bout. Comment réagissez-vous à cela ?

Sidya Touré: cela veut dire que nous sommes effectivement dans le cadre de ce que nous n’avons pas cessé de vous dire, à savoir que le seul objectif de Alpha Condé, c’est de s’octroyer un 3ème mandat. Et il le cherchera par tous les moyens. Les élections législatives, ce sont des peaux de banane qu’on a glissées, mais peut-être qu’il arrivera soit à coupler ces élections avec le référendum ou soit, je ne sais quel moment, il trouvera de faire un referendum. L’objectif c’est cela.  Pour quelqu’un qui finit son dernier mandat, le problème principal devrait être l’élection présidentielle du mois de juin 2020 ou peut-être au plus tard octobre 2020 pour mettre en place une alternance dans notre pays. S’il s’accroche à ces élections, je pense qu’il veut rester.

Guinéenews.org : de l’avis de maints analystes politiques, en refusant d’aller aux élections législatives, l’opposition s’est fait piéger par le pouvoir dont l’objectif est de copter des petits partis qui pourraient lui permettre d’avoir une assemblée nationale acquise à sa cause. Partagez-vous cet avis?

Sidya Touré : il faut qu’on soit sérieux. Je viens de vous dire que le fichier électoral qui était là par rapport aux 12 millions d’habitants de la Guinée était déjà un fichier en surnombre. On vient de vous en produire un qui va représenter 70% de la population guinéenne. Nous n’avons pas participé à son élaboration. Les élections, c’est une compétition. Une compétition a des règles qui sont fixées par le code électoral guinéen. Aucune de ces règles n’a été respectée. Vous voulez qu’on aille faire quoi dans quelque chose qui se joue à la présidence où on a déjà établi le nombre de députés qu’on doit attribuer à tel ou tel. Nous sommes tombés, si vous voulez, dans l’état néant. Alpha ne respecte aucune institution dans ce pays. Et nous allons payer très cher tout cela. Dans le cadre du développement de notre pays, nous le voyons déjà, mais nous allons encore nous en apercevoir quand il aura fini son mandat. On s’apercevra de ce qu’il a fait pour déstructurer définitivement ce pays. Donc les petits partis, les grands partis, l’objectif c’est pour travailler pour notre pays. Copter des partis pour faire quoi ? Le fichier n’est pas bon, nous n’avons pas été consultés, nos commissaires se sont retirés du processus électoral, le code électoral est bafoué tous les jours. On doit aller faire normalement, parait-il, l’affichage d’un fichier qu’on n’a pas vu. Le code électoral prévoit 15 jours minimum pour cela. Ils en ont prévu cinq. En cinq jours, vous prenez un camion ici, vous n’arrivez même pas à Yomou. Mais mieux que ça, tout ce fichier va être donné aux préfets non pas aux démembrements de la CENI. Nous ne sommes pas en train de parler des élections, nous sommes en train de parler d’autres choses.

Guinéenews.org : allez-vous attendre en observateurs de voir le processus arriver à son terme avant de réagir à la fin ?

Sidya Touré : nous recommençons déjà les manifestations à partir de ce 13 janvier. Tout va ensemble. Et nous serons-là pour répondre parce que nous estimons que notre pays mérite mieux que ça. Notre pays mérite mieux que le désordre qu’on est en train d’organiser, la pagaille qu’on est en train de mettre en place et, si vous voulez, l’appauvrissement qui est la conséquence d’une telle organisation, d’une telle gouvernance.

Guinéenews.org : la décision de l’opposition de continuer les manifestations pour empêcher la tenue des élections législatives a amené certains responsables du parti au pouvoir à accuser l’opposition d’armer des gens…

Sidya Touré : écoutez, moi je ne tombe pas dans du n’importe quoi. On sait qui a les armes. Les gens achètent des armes tous les jours. Ils font en sorte que des gens soient armés pour agresser les militants. Vous n’avez pas vu quelqu’un avec un fusil. Donc il faut arrêter de dire du n’importe quoi.

Guinéenews.org : parlons à présent de l’éducation, vous avez toujours insisté sur l’investissement dans le secteur de l’éducation qui est la base de tout développement dans un pays. Nous assistons aujourd’hui à un mouvement de grève du syndicat de l’éducation qui est en train de paralyser ce secteur. Quels commentaires faites-vous de cette situation?

Sidya Touré : ce pays, depuis l’arrivée de Alpha, est passé de grève en grève, de manifestation en manifestation pour que jamais, il n’y ait la possibilité de s’assoir pour faire un bilan correct des années de gouvernance qu’il a eues en Guinée. Sinon dans tous les pays limitrophes, les gens ont les mêmes problèmes. Pourquoi ils ne sont pas dans la rue tous les jours, pourquoi ils ne sont pas en grève tous les jours, pourquoi eux ils ont des routes, des autoroutes, des lampadaires, des échangeurs, des hôpitaux où on va se soigner d’ailleurs chaque fois que tu te lèves en Guinée, pourquoi ils ont tout cela  contrairement à nous? C’est parce que nous avons une gouvernance médiocre, parce que nous avons quelque chose qui ne fonctionne pas. Et ce qui est inadmissible, c’est de s’imaginer qu’on veut pérenniser cela. Donc les grèves sont inhérentes, il y a des grèves en France aussi. Mais tous les jours, ils sont en négociation pour chercher des solutions. Et quand ils trouvent une solution, ils l’appliquent. Vous ne pouvez pas faire en sorte que tous les jours, chaque fois que vous avez un accord qu’il soit politique, syndical ou autre, vous ne les appliquez jamais, parce que vous êtes le plus malin. C’est un état. Cela s’observe, cela se constate et cela entraîne tous les désordres que nous avons aujourd’hui dont le seul responsable est Alpha Condé et son gouvernement.

Guinéenews.org : Comme on a pris l’habitude de constater ces derniers temps, à Kankan nous venons d’assister à l’attaque du siège de l’UFDG par des personnes dites incontrôlées. A cela s’ajoute le cas de Guéckédou où Elie Kamano et douze autres artistes, partis célébrer les fêtes de fin d’année, ont été arrêtés et conduits en prison en attendant leur jugement. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?

Sidya Touré : ça encore, c’est symptomatique de ce que je viens de vous décrire. La Guinée forestière n’est pas une zone de non droit. Mais on fait en sorte qu’en Guinée, il y ait des zones où vous ne pouvez pas parler de la loi, vous ne pouvez pas évoquer la République avec tout ce que cela comporte d’obligation. Notre siège a été détruit à Kankan. On aurait pu dire aux jeunes gens il faut détruire le siège du RPG à Boké. C’est inadmissible. C’est la même chose qui vient d’arriver avec l’UFDG. C’est totalement inadmissible d’autant plus que j’ai vu des gens sur les réseaux sociaux en train de revendiquer cela. Il y a eu des tentatives de faire cela à Kindia. Le grand Imam s’était levé personnellement pour dire non, on ne peut pas se lancer dans des opérations comme cela. Parce que cela peut aboutir à une confrontation ethnique. Et on fait en sorte qu’il y ait des sources de conflit partout en République de Guinée. Toujours pour la même raison. Ne demandez pas qu’est-ce ce gouvernement a fait pour améliorer les conditions de vie des populations pendant dix ans. C’est surtout cela, jamais ne posez cette question. Donc tous les jours, on vous soulève des problèmes de ce genre. Elie Kamano va faire un concert chez lui le 31 décembre, mais qui ne fait pas ça dans son village ? Vous avez besoin d’aller lui dire où est-ce qu’il doit aller chanter ? Chacun chante là où il veut chanter. Donc c’est volontaire. Tout cela c’est simplement pour créer le désordre et surtout faire en sorte qu’on continue le processus qui est en train de se mettre en place dont l’objectif, je le dis encore une fois, n’est qu’une seule et unique chose, maintenir Alpha au pouvoir.

Guinéenews.org : lors de sa dernière visite à Kindia, le président de la République a dit que le gouvernement n’acceptera plus la pagaille. Il serait allé plus loin pour s’en prendre à des anciens ministres de Conté…

Sidya Touré : il a dix ans de plus que nous. Donc je ne comprends pas, si nous on est fatigué, dans quel état il est ? Mais ce n’est pas tellement la question. Il faut arrêter de parler de cela. Dix ans après, le discours d’Alpha ne peut pas consister à continuer à parler des anciens Premiers ministres de Conté. J’ai quitté la Primature il y a 20 ans. Lui, en dix ans, il n’a rien pu réparer de ce que nous avons, parait-il, gâté. Est-ce que vous entendez le Président Macky Sall en train de dire ceci n’a pas marché ici, c’est Wade qui a fait ou Abdou Diouf ? Même là où il y a eu la guerre en Côte d’Ivoire, où il y a eu un retard de sept mois avant que le Président ne soit installé, vous l’entendez dire que nous ne pouvons pas avancer parce que Gbagbo a gâté quelque chose ou Bédié a gâté quelque chose ? Il faut arrêter ce langage qui n’a aucun sens. Ce qu’il nous faut, c’est qu’est-ce Alpha a fait. S’il n’a rien fait, qu’il arrête de dire que la Guinée n’a pas pu avancer. Parce que nous étions-là, pendant les dix ans où il n’est pas Premier ministre, mais Président de la République avec le plein pouvoir, qu’a-t-il fait ? Qu’il nous les présente.

Guinéenews.org : au niveau de l’opposition, on accuse le chef de l’Etat de distribuer de l’argent pour uniquement se maintenir au pouvoir…

Sidya Touré : c’est pire que cela. On a ramassé la totalité des ressources de ce pays pour les placer à l’extérieur. Le peu qui reste ici est fait en sorte que les Guinéens se sont appauvris. Ça fait partie de la politique d’Alpha, le fait que les gens soient pauvres. Et à partir de là, comme il n’y a pas de programme, il n’y a pas de projet de société, il n’y a pas de bilan à présenter, on pourra acheter les uns et les autres avec de l’argent. Et ça, l’Etat seul en dispose. On a vu ici, quand nous avons voulu organiser les manifestations, des partis politiques qui sont allés pour 50 millions, d’autres vont aller pour 100 millions de francs guinéens, ça veut dire à peine 100 mille dollars. Ça, ça ne s’arrête pas parce que c’est la politique d’Alpha. Il n’a plus rien à nous dire. Ce qu’il veut, c’est de donner de l’argent aux uns et aux autres. Ça oui, il y a de l’argent disponible dans les quartiers, dans les bars, dans les villages, dans les CRD, les pick-up, les voitures. L’argent est disponible, mais simplement pour la période des élections. Après, vous reviendrez dans votre extrême pauvreté dans lequel ce régime vous a laissés. Et, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer. C’est pourquoi nous nous opposons à tout cela. Nous nous battrons jusqu’au bout. Troisième mandat, « amoudanguima, amoulanma, amoulanfé » (ça ne passe pas, ça ne marche pas, ça ne marchera pas ndlr).

Interview réalisée par Guilana Fidel Mômou

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