Après la première partie de cette interview exclusive, essentiellement consacrée à ses débuts et sa carrière solo, Mouctar Paraya Bah (MIC) nous parle, dans ce numéro-ci, de sa carrière professionnelle, ses morceaux phares, ses tournées à l’internationale, du piratage de ses œuvres sur internet par des inconnus, mais aussi et surtout de son regard sur l’évolution de la musique guinéenne en général, et celle pastorale en particulier. Lisez !
Guinéenews : quand est-ce que votre premier album est sorti et combien d’albums disposez-vous aujourd’hui ?
MIC : le premier album est sorti en 1991. Je l’avais enregistré à l’époque chez Doura Barry, dans une chambre. Dès le début, des jeunes artistes sont venus y participer car, ils ont trouvé mes mélodies formidables. C’est ainsi que le premier album, intitulé « Mouctar Paraya et le Foutah mélodie », est sorti en 1991.
Guinéenews : c’est dans cet album qu’on retrouve la célèbre chanson « Youmma », n’est-ce pas ?
MIC : effectivement. « Youmma » est un morceau de cet album. Bien qu’il ait remporté son premier prix en 1988, avant même la sortie officielle de l’album.
Guinéenews : quels autres albums avez-vous réalisés par la suite ?
MIC : en 1995, j’ai sorti l’album « Niokolo-Badiar », qui traite principalement de questions environnementales. Le morceau « Gambie », qui a eu un grand succès, en fait partie. En 2001, l’album « Wakilaré » est sorti, avec des morceaux comme « Bah mo Bah ». Puis, « Mélodies du Fouta » en 2005, où vous trouverez des titres comme « Mariama et Djiké Bonnetaké ». En 2007, nous avons sorti l’album « Bhouttou », suivi un an plus tard par « Keynan » en 2008. Cela fait donc six albums, et je suis en train de préparer le septième. En plus de ces albums, j’ai participé à des compilations et repris plusieurs de mes chansons avec des studios modernes.
Guinéenews : avec six albums à votre actif, notamment avec des morceaux toujours populaires, quelles sont vos retombées financières en cette ère du digital, à travers des plateformes comme YouTube et Facebook ?
MIC : je n’ai pas moi-même publié mes morceaux sur ces plateformes, et je n’ai aucun contrôle là-dessus. Au début, une page Facebook était gérée par un journaliste, qui a malheureusement été assassiné il y a longtemps. Depuis, je n’ai pas réussi à trouver une personne sérieuse pour gérer cette présence en ligne. J’ai entendu dire que ma musique était utilisée par quelqu’un à Dakar, mais je n’ai jamais reçu de paiement pour mes œuvres. Même aujourd’hui, mes morceaux sont recherchés, mais je ne suis pas rémunéré pour leur diffusion sur YouTube. Je ne comprends pas et je n’ai personne pour m’aider à résoudre cela.
Guinéenews : que prévoyez-vous de faire pour remédier à cette situation ?
MIC : c’est pourquoi « Beauté plus » m’a approché pour ouvrir une nouvelle page afin de voir ce que nous pouvons faire. Il n’y a pas de suivi, et je n’ai personne pour m’assister et m’assurer de profiter de mes œuvres.
Guinéenews : et qu’en est-il du Bureau Guinéen des Droits d’Auteur (BGDA) ? Tout va bien de ce côté-là ?
MIC : non, ça fait presque trois ans que je ne reçois pas mes droits d’auteur, malgré que j’aie ma carte de membre du BGDA.
Guinéenews : avez-vous cherché à comprendre les raisons de cette situation ?
MIC : j’ai demandé au représentant du BGDA à Labé, qui m’a dit qu’ils ne lui envoient pas les paiements. Je n’ai pas compris. Je dois me rendre à Conakry pour comprendre pourquoi je ne perçois pas mes droits d’auteur.
Guinéenews : mais auparavant, vous receviez régulièrement ces droits ?
MIC : oui, ils venaient pour verser les droits aux artistes.
Guinéenews : par exemple, pour un artiste de renom comme MIC Paraya, quel était le montant exact ?
MIC : pour une année, je ne recevais pas plus de deux millions GNF. C’est une somme dérisoire. Surtout compte tenu de la diffusion continue de mes œuvres. Même mes élèves et mes chansons diffusées à la radio ne génèrent aucun retour financier.
Guinéenews : vous avez sûrement effectué de nombreuses tournées. Pouvez-vous nous en dire plus et parlez-nous des concerts internationaux que votre musique vous a permis de réaliser ?
MIC : ma musique m’a beaucoup fait voyager à travers le monde entier. J’ai eu l’occasion de faire une tournée en Europe, notamment en Allemagne où j’ai donné des concerts à Dortmund et à Hambourg. J’ai aussi joué en Belgique et en France. Actuellement, je prépare une tournée en Amérique. En Afrique, j’ai visité la plupart des pays de la sous-région ouest-africaine, comme le Mali, le Sénégal où j’ai été membre du RAMDAL de Thione Balago Seck, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Sierra-Leone, la Côte d’Ivoire, etc.
Guinéenews : quelle est votre analyse de l’évolution de la musique pastorale peule aujourd’hui, avec de nombreux jeunes artistes émergents ?
MIC : je souhaite que les jeunes acceptent de créer davantage. Actuellement, il y a beaucoup d’interprétations, mais peu de créations originales. Il est important de revenir à nos instruments traditionnels comme la flûte, le violon et le djembé, chacun ayant ses spécificités régionales. C’est pourquoi j’envisage de créer une petite académie à Labé pour transmettre cet héritage avant de me retirer.
Guinéenews : avec ce manque d’innovation que vous observez dans la musique guinéenne, quel conseil donneriez-vous aux jeunes artistes qui souhaitent laisser leur empreinte ?
MIC : mon conseil est de prendre le temps de composer des textes éducatifs qui peuvent bénéficier à la population. Nous, artistes, sommes des messagers. Il est crucial de faire attention aux paroles et d’éviter le contenu vulgaire ou inutile.
Guinéenews : on sait que c’est votre marque de fabrique de ne pas utiliser de paroles vulgaires dans vos chansons ?
MIC : exactement ! La vulgarité n’a pas sa place… Si vous voulez réussir dans la musique, il faut être respectueux et réfléchi dans vos paroles. C’est ainsi que vous pourrez laisser une marque durable.
Guinéenews : nous arrivons à la fin de cet entretien. Combien d’années avez-vous passé dans votre carrière musicale ?
MIC : Je suis dans la musique depuis plus de 35 ans maintenant.
Guinéenews : cela fait de vous l’un des doyens de la musique pastorale, n’est-ce pas ?
MIC : oui, je suis considéré comme l’un des doyens, particulièrement dans le Foutah, étant même plus ancien que Lama Sidibé dans le domaine musical. Je me souviens qu’il venait me voir par la fenêtre lorsque je jouais dans l’orchestre de Mamou.
Entretien réalisé par Alaidhy Sow à Labé pour Guineenews.org