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Le réveil « chaotique » de l’Afrique, par Youssouf Sylla, analyste

A la différence de la Chine, dont le réveil était redouté par les occidentaux, le réveil africain produit certes quelques ondes de choc, mais ne fait point trembler le monde. L’Afrique n’est pas encore un grand « enjeu mondial » même s’il n’est pas exclu qu’elle puisse le devenir un ces jours. Cependant, chacun veut bien voir l’épilogue du cheminement de ce continent, surtout l’influencer à sa manière.
La question qui se pose n’est pas tant de savoir si l’Afrique s’est bien ou mal réveillée, mais de s’interroger objectivement sur le sens de ce réveil, et sur les suites à réserver à cette nouvelle dynamique, afin d’offrir aux africains une meilleure perspective dans leur pays et dans leurs relations avec le monde extérieur. Ceci, d’autant plus qu’on a en mémoire le profond désenchantement qui suivit le réveil qui a permis de briser dans les années 60, les chaines de la colonisation, et la grande désillusion qui résulta de la fièvre démocratique qui s’empara du continent dans les années 90, à travers les fameuses « Conférences nationales » qui eurent lieu après la chute du mur de Berlin.

Le sens du réveil

Quelle que soit sa forme, ce réveil résulte d’un profond mal-être des africains par rapport au sort qui leur est réservé. Il porte en lui un immense besoin d’appropriation par les africains de leur propre destin, jusque-là confisqué. C’est en cela que ce réveil, qui se propage comme un nuage dans le ciel de l’Afrique de l’Ouest surtout, se traduit par une contestation de l’autorité, surtout si elle est soupçonnée d’être au service des intérêts extérieurs. Mais aussi par une forme de remise en cause d’un type particulier de démocratie à deux vitesses, qui n’arrange pas tout le monde. Bref, le réveil africain est consécutif à l’inconséquence et à la crise de l’« État post colonial » qui s’est montré, des années 60 à nos jours, incapable de créer et de diffuser la prospérité dans les sociétés, d’offrir aux populations la justice, l’égalité et l’équité, et surtout de faire espérer aux jeunes un avenir meilleur. Cet État a plutôt exposé les jeunes à tous les travers sociaux au lieu de les protéger, hypothéqué l’avenir du pays au lieu de le préserver par une gestion saine des ressources publiques, et annihilé tout espoir de mieux vivre.
Les ingrédients de ce réveil se sont accumulés ces deux dernières décennies, avant de se manifester bruyamment dans certains pays, sous l’effet conjugué de certains facteurs comme l’insupportabilité sociale des régimes tentaculaires, liberticides, et corrompus, et le bilan très mitigé des forces armées françaises dans leur lutte contre le djihadisme dans le Sahel.

En Afrique francophone, l’une des puissances extérieures qui n’a peut-être pas évalué à sa juste mesure la proportion qu’allait prendre ce réveil, est la France. En effet, son analyse du contexte africain semble être en décalage avec l’évolution des mentalités dans le continent. Pourtant l’Afrique a beaucoup changé : sa jeunesse est hyperconnectée, grâce à l’internet, le savoir y est de plus en plus démocratisé, les idéologies panafricaines qui donnaient l’impression d’être en état d’hibernation y refont surface, la contestation des autorités, la transgression des interdits, et l’audace, y deviennent des signes de liberté.

Positiver le réveil africain

Tirant les leçons des résultats inespérés des réveils des années 60 et 90, le réveil en cours en Afrique de l’Ouest, et la dynamique qu’il induit, devraient plutôt conduire à les percevoir et à les aborder, en termes d’opportunités à saisir, pour faire évoluer les États en interne et dans leurs relations avec le monde extérieur.
Sur le plan international, la dynamique en cours devrait conduire à la mise en place d’une stratégie intelligente de diversification des partenariats dans un monde qui s’annonce de plus en plus multipolaire. Il n’échappe à personne, depuis le début de la guerre Russo-Ukrainienne en 2022, que les rapports de force entre les puissances connaissent un important basculement dont on ignore encore l’issue. La conduite des affaires internationales n’est plus dominée par les puissances occidentales, parmi lesquelles on compte la France. On assiste à l’émergence ou à la réémergence d’autres acteurs non occidentaux avec des ambitions hégémoniques affichées et assumées. Il s’agit de la Chine et de l’Inde sur le plan économique, et de la Russie en particulier, sur le plan militaire et sécuritaire.

La diplomatie africaine doit se frayer un chemin dans ce monde en construction, après avoir tiré les leçons des conséquences fâcheuses de la dépendance exclusive d’une seule puissance. On pense ici à la « dépendance structurelle » de certains pays d’Afrique francophone de la France, tant sur le plan de la défense, de l’économie et des finances, selon le schéma conçu par le Général Charles de Gaulle dans les années 60, et instrumentalisé avec un cynisme inégalé par son homme de main, Jacques Foccart.
Ce serait pourtant le comble de la naïveté de croire qu’en quittant avec fracas la gueule d’un loup, on se portera mieux dans gueule d’un autre. Dans ce cas, l’exercice d’émancipation et d’affranchissement n’aurait servi à rien. Il ne faudrait jamais perdre de vue que dans les relations interétatiques, ce qui prévaut par-dessus tout, ce sont les intérêts. C’est seulement pour promouvoir leurs intérêts géostratégiques, économiques et culturelles que les puissances, anciennes ou nouvelles, s’intéressent et s’intéresseront à l’Afrique. La philanthropie n’y joue aucun rôle, à part cacher une ambition de puissance. S’il y a un continent qui doit comprendre cette leçon, en tenant compte de son passé lointain et récent, c’est bien l’Afrique !

Ainsi, pour l’Afrique francophone, la tentation d’un divorce total avec la France devrait céder devant l’ultime tentative de rééquilibrage total en en profondeur, à la lumière de nouvelles circonstances, des relations avec la France, dans l’intérêt bénéfique des deux parties. Il y a beaucoup à faire dans le cadre de ce rééquilibrage, sauf que les quelques initiatives qui existent en la matière, viennent encore de Paris. On voit rarement émerger en Afrique, en dehors des moments de grandes convulsions politiques avec la France, une ambitieuse « stratégie » de redéfinition des relations Franco-Africaines.
L’ambition de l’Afrique de se positionner en tant qu’acteur crédible dans ses rapports avec ses partenaires, traditionnels ou nouveaux, exige qu’elle positive son réveil par le travail en interne, en vue de casser définitivement son statut non enviable de victime perpétuelle de l’histoire. Car l’Afrique a tout pour offrir une perspective différente et heureuse à son peuple : les richesses naturelles les plus convoitées, une élite de haut niveau qui demande d’être enrôlée, et surtout la force de travail de sa jeunesse. La mobilisation en interne autour d’idéaux partagés est d’autant plus nécessaire qu’il influencera positivement la qualité, la cohérence, et crédibilité de son action internationale.

Au final, le caractère chaotique du réveil africain n’est pas aussi mauvais qu’on serait tenté de le penser. C’est souvent du chaos que nait l’ordre. « Ordo ab Chao » dit la devise maçonnique, autrement, « l’ordre à partir du chaos ». En Afrique de l’ouest, c’est probablement dans ces grands bouleversements socio-politiques et sécuritaires que le nouvel ordre naîtra.

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