Le mardi 02 octobre 2018, la Guinée a célébré ses 60 ans d’indépendance. Une indépendance obtenue grâce au concours des acteurs sociopolitiques du pays. Dans ce combat noble, les femmes ont joué un rôle très prépondérant en termes de mobilisation sociale. Pour mieux cerner cette partition des femmes non seulement dans le combat pour l’accession à la souveraineté nationale mais aussi dans la construction de la Guinée d’aujourd’hui, notre rédaction a approché quelques-unes d’entre d’elles. Ce sont entre autres, Hadja Houdoury Barry, veuve de feu Mamadou Diané, victime du camp Boiro, Hadja Djelo Barry, ancienne ministre du Travail et des Affaires sociales pendant la deuxième république, Hadja Rabiatou Serah Diallo, syndicaliste, ancienne présidente du Conseil national de la transition et actuelle présidente du conseil économique et social. Par ailleurs, ces icônes de la gent féminine n’ont pas manqué de poser un regard critique sur la situation sociopolitique actuelle du pays ainsi que sur la nouvelle génération de jeunes filles.
La route vers l’indépendance
Dans cette quête de l’indépendance, il y a eu plusieurs péripéties. Pour comprendre cette longue route vers notre souveraineté, Guinéenews a rencontré tout d’abord Hadja Houdoury Barry. Née le 12 juillet 1933 à Kankan et veuve de feu Mamadou Diané, président de la cour des comptes pendant le premier régime, elle a fait ses études primaires et secondaires en Guinée, notamment à l’école des jeunes filles de Conakry. Après l’école des jeunes filles, elle suivra une formation en santé pour devenir plus tard sage-femme.
C’est en 1955 qu’elle a commencé à travailler à Dakar avant de revenir servir son pays en novembre 1960 à la maternité de Madina pendant 5 ans, puis à la maternité de Kouléwondy. Elle sera affectée plus tard à N’Zérékoré où elle servira pendant 20 ans, suite à l’arrestation de son mari jusqu’à sa retraite.
En 1958, alors très jeune, Mme Diané Houdoury Barry, se souvient encore des combats qui ont conduit à cette indépendance et des premières années du premier régime: « Avant l’indépendance, j’étais au collège des jeunes filles de Conakry. Nous avons assisté aux travaux du PDG-RDA, du Bloc africain de Guinée. Pendant l’indépendance, j’étais à Dakar mais je suis revenue en novembre 1960 pour servir mon pays. C’est feu le président Ahmed Sékou Touré qui parlait au nom de la Guinée mais il n’est pas le seul à avoir mené le combat pour l’indépendance », relate fièrement l’octogénaire.
Hadja Mariama Djélo Barry:
Actrice dans la construction de la nation guinéenne pendant le deuxième regime, Hadja Mariama Djélo Barry, médecin de profession, ancienne ministre du Travail est des Affaires sociales y est allée de son mot. Avec un CV très riche, cette dame de fer doit sa carrière professionnelle à un bon encadrement de la part de sa famille mais aussi de ses supérieurs hiérarchiques. Après ses études primaires et secondaires en Guinée, elle a obtenu une bourse pour des études de Médecine à Bucarest. Par la suite, pour des raisons de famille, elle est revenue pour travailler et servir son pays en novembre 1975 où elle a fait ses premiers pas en médecine à la maternité de Donka auprès du professeur Bah Kaba. C’est ainsi que plus tard, Hadja Mariama Djélo Barry a dispensé des cours de Médecine à l’école nationale de la Santé et à la faculté de Médecine. Elle est fondatrice de plusieurs ONG dans le domaine sanitaire et éducatif.
Sur les péripéties qui ont conduit à l’indépendance et les premières années d’après, l’ancienne ministre des Affaires sociales, Hadja Mariama Djelo Barry relate: « Je savais qu’il y avait plusieurs partis avant l’indépendance, dont un créé par mon oncle Barry Diawandou, frère de lait à ma mère. Il y avait le parti de Barry 3, le PDG-RDA, la section guinéenne du RDA créé à Bamako. Pour l’indépendance, ces partis ont fusionné. C’est important de signaler que ces partis n’étaient pas du tout ethno. Donc ce problème ethnique ne se posait pas. Ils ont fusionné pour accéder à l’indépendance. En ce temps, il y avait une organisation sociale très intense : le mouvement des pionniers, la JRDA, l’Union révolutionnaire des femmes de Guinée, les réunions hebdomadaires. Au départ, tout le monde participait à tout. Mais très tôt, les parents ont commencé à s’inquiéter, à se dire que les enfants allaient échapper à l’éducation, parce que les mobilisations étaient faites au nom du parti et pour le parti. Et personne n’avait le droit de refuser. En 1961, à l’occasion de la grève des enseignants, ça s’est endurci avec ce qu’on a appelé le congé obligatoire. Tous les étudiants ont été renvoyés chacun dans sa préfecture. Etant très jeune, on n’a pas réalisé ce qui se passait mais les aînés ont commencé à s’inquiéter du tournant que prenait la gestion de la population qui a abouti à la restriction de toutes les libertés. Il y avait un porte-parole qui est le président Ahmed Sékou Touré mais ceux qui ont combattu pour l’indépendance étaient nombreux. Pendant cette période aussi, on avait la compagnie Air Guinée qui allait chercher les étudiants. C’était une fierté.»
Le 28 septembre 1958, le référendum et les premières années du régime de feu Ahmed Sékou Touré :
L’indépendance de Guinée a été acquise 4 jours après le référendum du 28 septembre 1958 où la majorité des Guinéens ont dit non à la communauté française. Ce résultat obtenu à l’issue de ce vote était le fruit d’une longue sensibilisation du peuple guinéen par les leaders de l’époque, explique Hadja Mariama Djélo Barry. Cependant quelques années plus tard, l’étau a commencé à se resserrer et les difficultés devenaient de plus en plus insupportables pour les Guinéens.
« Le 28 septembre 1958, c’est le vote, parce qu’à l’époque, à l’école, on nous a sensibilisés pour porter des ardoises et dire non. On a circulé dans les quartiers et les chansons étaient conçues pour nous amener à intégrer cet état de fait dans le mental. On a eu l’indépendance mais très tôt l’étau s’est resserré autour de la population avec les différents complots, les arrestations. Moi par exemple, je suis une victime. Il y a eu beaucoup d’arrestations dans ma famille. Des cousins, des oncles ont été arrêtés mais j’ai été aussi formée par cette révolution. Et quand je suis revenue, j’ai bénéficié aussi de l’appui de l’Etat pour parfaire mes formations et pouvoir servir tranquillement. Il y a eu des périodes difficiles quand même. Par exemple, je me souviens toujours de mon mariage du fait que difficilement j’ai eu ma tenue de mariage parce que le marché était interdit après « Cheytan 75 » ; cela grâce à l’implication du président qui a été reconnaissant envers les activités que mon prétendant et moi menions en ce temps. Cependant, à cette époque, il y avait la sécurité et des voies de recours, il faut le reconnaitre. Alors qu’aujourd’hui, on ne peut pas se réjouir de cela. »
Quel est le rôle joué par les femmes dans la lutte pour l’accession à la souveraineté nationale
A l’unanimité, nos interlocutrices ont toutes salué la détermination et la bravoure de la femme guinéenne qui, selon elles, a participé à toutes les luttes pour la construction d’une nation guinéenne, de la période d’avant l’indépendance à nos jours.
Hadja Houdoury Barry: «les femmes ont joué un rôle très important dans l’obtention de l’indépendance et l’instauration de la liberté dans ce pays après la période coloniale. D’abord, le symbole c’est M’Balia Camara qui a été assassinée pour son œuvre dans la lutte au sein du PDG-RDA. Par la suite, nous avons eu beaucoup de femmes leaders telles que feue Jeanne Martine Cissé, Hadja Loffo Camara, Hadja Sophie et tant d’autres. Les femmes étaient à l’avant-garde. Tout le monde a entendu parler de ce que Hadja Mafory Bangoura a fait. Elle a lutté corps et âme. Et lorsqu’il y a eu l’agression c’est elle qui motivait les femmes à sortir. »
Hadja Djélo Barry : «elles se sont extrêmement battues pour l’indépendance. A Gaoual, par exemple, il y a un quartier qui porte le nom d‘une de mes tantes, Sakinatou Barry. Il y a M’Balia Camara pour ne citer que celles-là. Il y a beaucoup de femmes qui se sont battues pour aider l’Etat guinéen et qui continuent à se battre. Je pense qu’elles ont contribué à l’ensemble des changements qui se sont opérés en Guinée, y compris l’indépendance. Et quand elles se sont révoltées en 1977 après « Cheytan 75 », on a autorisé le marché. Chaque fois qu’il y a un mouvement de masse en Guinée et que les femmes protestent, l’Etat est obligé de revoir sa copie. Et aujourd’hui, vous avez des femmes cadres, des intellectuelles qui travaillent, qui ont eu la possibilité d’aller se former et de former leurs enfants surtout pendant la deuxième république. Avec la liberté de sortir, on pouvait avoir facilement un passeport et aller où on veut pour apprendre. Ce qui fait qu’aujourd’hui, parmi les jeunes, il y a une relève bien faite, des têtes pleines qui peuvent absolument servir ce pays. »
Hadja Rabiatou Sérah Diallo
Enfant unique, veuve et mère de 7 enfants, Hadja Rabiatou Serah Diallo n’a pas fait d’études supérieures mais a occupé des postes de responsabilité grâce à sa détermination, son expérience et à son sens d’écoute. Très tôt, elle s’est lancée dans la politique sur les pas de sa mère. Syndicaliste, elle a mené les mouvements de grève de 2006-2007 avant d’être élue présidente du conseil national de la transition (CNT) après la mort du président Lansana Conté. Actuellement présidente du conseil économique et social(CES), elle indique que les femmes ont été et restent encore incontournables dans la lutte pour non seulement l’indépendance, mais aussi pour le développement et l’instauration de la démocratie en Guinée.
« Les femmes ont joué un grand rôle et continuent à le faire. D’ailleurs, pendant la première république, feu le président Ahmed Sékou Touré (Paix à son âme), connaissant le rôle et la force de la femme, il l’a fortement exploitée. Parce que la femme est très intelligente et elle analyse bien avant de s’engager. Et quand elle le fait, elle va aller jusqu’au bout. Donc, elles ont joué un rôle extrêmement important à l’avènement de l’indépendance, après l’indépendance. Et jusqu’à maintenant, elles s’activent dans la bonne marche de la Guinée, même si on ne nous reconnaît pas encore totalement, comme il se doit. Ce n’est pas le monde à l’envers de confier de grandes responsabilités aux femmes. Je n’ai pas participé à la lutte pour l’accession à l’indépendance parce que j’étais très jeune. Mais je suis allée à la réception du Général De Gaulle avec ma sœur. J’ai vu la mobilisation des femmes. C’est pourquoi d’ailleurs, dans les partis politiques et ailleurs, on utilise les femmes. Mais les femmes doivent prendre leurs responsabilités pour ne pas qu’elles soient reléguées au second plan. Quand je prends l’exemple de feue Hadja Mafory Bangoura, elle n’était pas instruite mais elle a su se battre. M’Balia Camara également. Elles se sont battues pour défendre la cause de la femme mais aussi pour l’intérêt supérieur de la nation. Et tant d’autres femmes. C’est pour vous dire que la femme guinéenne a toujours été brave ».
Quid de l’émancipation des femmes durant ces 60 ans
Hadja Houdoury Barry : «Disons que la place de la femme s’est améliorée légèrement parce que nous avons des femmes ministres, même si elles ne sont pas nombreuses, des femmes chefs de cabinet, directrices, préfets, etc. Mais on aurait souhaité que la parité soit plus visible entre hommes et femmes mais néanmoins on se réjouit du peu qu’on a. Mais jusque-là, on relègue les femmes à la deuxième place pour des connotations religieuses ou coutumières. C’est dommage. Mais je crois qu’à diplôme égal, si on donnait les mêmes chances à tout le monde, les femmes pourraient se montrer utiles. Evidemment, on est handicapée par la maternité qui fait que les femmes s’absentent souvent du travail. Mais je pense que si les conditions des femmes sont améliorées, elles pourront bien servir leur pays. Je demande aux hommes de soutenir les femmes, pas en tant qu’égales parce que Dieu ne nous a pas créé égaux, mais en tant qu’êtres capables de faire quelque chose de bien dans ce pays, si elles sont dans de bonnes conditions.»
Hadja Mariama Djélo Barry: « Avant l’indépendance et pendant le premier régime, la femme était mise au devant de tout mais elle était plus utilisée au niveau des mouvements sociaux, des partis politiques, mais une poignée émergeait pour servir de guide pour certaines jeunes femmes. A l’époque aussi, on avait de brillantes femmes comme les Daraba Saran, les Tété Nabé, les Fofana Hawa, des femmes qui ont occupé des postes de responsabilité. Par exemple, on a eu la première femme pilote et nous aussi on avait l’ambition d’être comme ces femmes ou plus qu’elles. Au niveau du gouvernement par exemple, il y avait un seul poste réservé aux femmes durant toute la période de règne de Sékou Touré. Et une bonne partie de la deuxième république, c’est le poste des Affaires sociales. Il fallait que l’une meure ou qu’elle soit arrêtée pour qu’il y ait une autre. Il a fallu que Loffo soit arrêtée, exécutée pour que Mafory Bangoura vienne. Il a fallu que cette dernière meure pour que Hadja Jeanne Martin Cissé vienne. C’est après qu’elle a été évincée par la prise du pouvoir par l’armée pour que moi j’accède à ce poste. Après les deux premières années du régime de feu Général Lansana Conté, on a commencé à attribuer des postes importants aux femmes guinéennes, comme l’Education, les Postes et Télécommunications, les Affaires étrangères, etc. On peut dire qu’il y a une légère amélioration mais la discrimination et le sexisme dans l’emploi sont encore réels car si vous comparez le nombre de femmes ministres et secrétaires générales, comparé au Bégin, en 1995 la chute est vertigineuse, même si à l’assemblée nationale ça peut aller mais je pense qu’il y a beaucoup de femmes compétentes dans ce pays. D’ailleurs, je suis très heureuse de constater que la relève est bien préparée. Je pense qu’il y a des jeunes femmes aujourd’hui qui peuvent accéder à des postes de responsabilité. »
Hadja Rabiatou Serah Diallo: « Je peux dire que la femme est émancipée mais jusque-là on peut dire qu’il reste beaucoup à faire. L’ignorance, les coutumes, la religion, tout cela bloque encore l’épanouissement total de la femme. Mais il y a des femmes battantes. Parmi elles, de très jeunes femmes telles que les femmes qui sont dans les associations pour lutter contre les violences faites aux femmes que j’apprécie d’ailleurs. On a toujours lutté pour l’émancipation de la femme mais il y a des failles, même dans l’administration, car difficilement on confie des postes de responsabilité aux femmes ou qu’elles participent aux prises de décision. Dans les grands villages par exemple, c’est quand la femme atteint la ménopause qu’elle participe à la prise de décision. Ce n’est pas normal. C’est une lutte permanente. Donc il ne faut pas baisser les bras.»
L’indépendance et le brusque divorce avec la France
La République de Guinée a été la première ancienne colonie à se séparer de la France après un siècle de colonisation et de domination. Un avantage et une fierté pour les Guinéens qui pouvaient, à partir de l’instant, décider de leur sort.
Hadja Mariama Djélo Barry: « être indépendant, s’exprimer librement, c’est un avantage. C’est extrêmement important d’échapper à la colonisation, à la ségrégation et surtout de décider de son sort, d’avoir l’hymne national, son drapeau, de parler au nom d’un pays. C’est extraordinaire, vraiment. »
La Nation guinéenne après 60 ans d’indépendance:
Si les Guinéens étaient unis et se sont donné la main pour combattre la France et accéder à l’indépendance, le tissu social s’est détérioré au fil des ans. 60 ans après, la nation guinéenne laisse place au régionalisme et à l’ethnocentrisme. Une situation que regrette l’ancienne ministre des Affaires sociales.
Hadja Mariama Djélo Barry: «ce que je déplore, c’est l’ethnocentrisme. Nous, on n’a pas connu cela quand on était jeune. Aujourd’hui, tu ne peux pas avoir une réflexion sans qu’elle ne soit interprétée. L’instauration et la culture de cet ethnocentrisme me font très mal au cœur. Pour la simple raison que la Guinée est effectivement une famille, car c’est exceptionnel de voire une famille d’une seule ethnie de bout en bout. C’est ce brassage ethnique qui fait que jusqu’à présent il n’y a pas eu de guerre civile jusqu’à présent en Guinée. C’est vrai, il y a eu « Cheytan 75 », la situation particulière du Foutah en 1976 où on a privé les Peulhs de bourses parce qu’ils étaient Peulhs. C’est effectif. Mais après, c’est revenu à la normale. Je déplore en même temps ce qui s’est passé en 1985 avec les Malinkés. Ça n’a fait que faire revenir à la situation de 1976. Donc, si à chaque fois c’est contre une partie, on ne peut pas s’en sortir. Et actuellement, j’ai l’impression qu’on revient à cela. C’est devenu obsessionnel, ancré malheureusement au niveau des jeunes, même pour ceux qui vivent en dehors du pays. Vous voyez les Peulhs ont une radio, les Soussous également et ainsi de suite. Chacun dit et fait ce qu’il veut, au lieu d’éduquer la population pour qu’il y ait l’unité nationale. Or, on a besoin de cette nation guinéenne car il n’y a pas de nation présentement et ça fait très mal au cœur. »
Hadja Rabiatou Sérah Diallo: «aujourd’hui, la Guinée a 60 ans. Il faut évaluer et voir qu’est-ce qui a marché et c’est quoi le manque à gagner. Mais il faudrait surtout qu’on cultive la paix, car c’est ce qui peut nous propulser vers le développement, sans oublier la solidarité.»