La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, relancée ces derniers jours avec une intensification des droits de douane américains, n’est pas sans conséquence pour les économies africaines. Safayiou Diallo, économiste guinéen, décrypte pour nous les implications de cette confrontation économique entre les deux puissances mondiales, avec un accent particulier sur les impacts potentiels pour la Guinée.
Selon Safayiou Diallo, cette guerre commerciale a pris forme en 2018, lors de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Le président américain avait alors instauré des tarifs douaniers massifs contre la Chine, provoquant une riposte immédiate de Pékin. « Ce bras de fer a repris de plus belle récemment, avec un relèvement des droits de douane américains sur les produits chinois, passant de 101 % à 125 % en une seule journée », souligne l’économiste.
Ce regain de tensions vise, selon lui, à réduire le déficit commercial des États-Unis, à relancer l’industrialisation du pays et à rééquilibrer les relations économiques entre les deux géants. « Les États-Unis font face à un déficit budgétaire énorme. Ironie du sort, une bonne partie de leur dette est détenue par la Chine », rappelle-t-il, soulignant l’interdépendance entre les deux économies.
Des effets en cascade sur l’économie mondiale
Cette confrontation entre les deux plus grandes puissances économiques pourrait entraîner une série de perturbations à l’échelle mondiale. « Ces deux puissances n’ont aucun intérêt à entrer en guerre, car elles sont interdépendantes. Un tel conflit aurait des conséquences à l’échelle mondiale, notamment une baisse de la croissance économique, un ralentissement global, voire une diminution des investissements directs étrangers (IDE). Cela pourrait également entraîner des effets néfastes, notamment une rupture — ou du moins une perturbation — des chaînes d’approvisionnement mondiales », explique Safayiou Diallo.
Le Fonds monétaire international (FMI) a d’ailleurs revu à la baisse ses prévisions de croissance. Déjà, en France, le taux de croissance revu de 0,9% à 0,7%. « Il faut savoir que le FMI, qui avait initialement prévu une croissance économique un peu plus forte, a revu à la baisse ses perspectives en raison de la situation actuelle. Cela est tout à fait normal, puisque ces prévisions sont élaborées sur la base de plusieurs modèles et hypothèses économiques », explique-t-il, avant d’ajouter : « Les investisseurs deviennent plus prudents, préférant observer l’évolution de la situation avant de s’engager dans de nouveaux projets ».
Une opportunité à saisir pour l’Afrique ?
Face à ce climat incertain, certains y voient une opportunité pour les pays africains, notamment la Guinée. « Ceux qui estiment que cette situation pourrait également représenter une opportunité pour la Guinée soulignent que la guerre commerciale actuelle affecte déjà de nombreux investissements américains implantés en Chine. Il existe un risque de délocalisation de ces investissements vers d’autres destinations, notamment l’Inde. J’ai appris, par exemple, que la société Apple dispose désormais d’une implantation en Inde. Depuis un certain temps — bien avant même l’intensification de la guerre commerciale — Apple avait déjà commencé à y délocaliser une partie de ses activités, à hauteur d’environ 11 % », souligne l’économiste.
Il estime que la Guinée pourrait tirer parti de cette situation en négociant des investissements structurants avec les partenaires chinois ou américains : « Tout cela montre que cette dynamique pourrait aussi profiter aux pays africains, y compris à la Guinée. En effet, si certaines activités ou investissements chinois venaient à être transférés en Afrique, cela constituerait une opportunité pour les États du continent. Dans le cas de la Guinée, si la Chine décidait d’y renforcer sa présence économique, l’État guinéen pourrait poser des conditions, comme le développement d’infrastructures en échange de l’exploitation des ressources naturelles — à l’image de ce qui a été entrepris dans le cadre du projet Simandou, dont la Chine a largement communiqué. Ce serait donc une logique gagnant-gagnant : ils exploitent nos matières premières, mais en retour ils investissent dans des routes, des ponts, des écoles, voire des centres de santé. Un tel scénario aurait un impact très positif sur l’économie guinéenne, et plus largement sur les économies africaines. Ainsi, si cette dynamique de relocalisation et de réorientation des investissements se confirme, ce serait une opportunité à la fois salutaire et stratégique, qu’il ne faudrait pas négliger. »
Une Guinée vulnérable malgré tout
Mais tout n’est pas rose. La Guinée demeure exposée aux risques liés à cette guerre économique. D’abord sur le plan monétaire. « Une appréciation du dollar entraîne automatiquement une dépréciation du franc guinéen. Ce mécanisme accroît l’inflation et nuit à la compétitivité de notre économie. Autrement dit, lorsque nous exportons nos matières premières ou d’autres produits vers les pays concernés, les prix ont tendance à augmenter — même légèrement — ce qui risque de décourager les acheteurs. C’est pour cette raison que nous continuons à produire la même chose, sans amélioration notable de la qualité. Or, lorsque les prix augmentent sans que la qualité ne suive, cela peut décourager les acheteurs. », avertit Safayiou Diallo.
De plus, l’économie guinéenne, fortement dépendante des exportations de bauxite vers la Chine, pourrait subir un contrecoup en cas de ralentissement de la croissance chinoise. « D’un autre côté, il ne faut pas oublier qu’à l’heure actuelle, notre principal partenaire commercial — à ma connaissance — reste la Chine, notamment parce que la Guinée exporte essentiellement de la bauxite, principalement à destination de ce pays. Dans le contexte actuel, si la guerre commerciale affecte négativement l’économie chinoise, cela pourrait entraîner un ralentissement de sa croissance. Et si une telle situation venait à se produire, il va de soi que la Chine pourrait réduire sa demande en matières premières. Or, une baisse de la demande chinoise aurait un impact très significatif sur notre économie, car cela risquerait de faire chuter notre production de bauxite », prévient-il.
Pour Safayiou Diallo, la Guinée doit anticiper ces risques et revoir sa stratégie économique : « Il est temps de diversifier nos partenaires commerciaux, de renforcer notre industrie locale et d’investir dans les secteurs à forte valeur ajoutée ».
Face à un monde de plus en plus instable, marqué par des tensions géopolitiques et des rivalités économiques, Safayiou Diallo appelle à une meilleure gouvernance et à une politique économique proactive.