Le 2 Octobre 1968, 10 ans après l’indépendance, la Guinée était immature politiquement, économiquement, socialement. Sur le plan sportif et culturel, la percée était tous azimuts. Les Ballets Africains et Djoliba faisaient le tour du monde pour démontrer qu’au pays qui a dit ‘’NON’’ à la France, il y a de la vitalité. Dans ces tournées interminables, les artistes faisaient des mois sans revenir au pays, sollicités de partout. C’est lors d’une de ces tournées autour du monde, au Canada, que Bakary Cissoko trouva la mort.
Toutes les 28 fédérations du PDG avaient, chacune, son orchestre, son ballet, son ensemble folklorique, son chœur entièrement équipés par la Révolution pour se livrer à une compétition saine et fiévreuse lors des quinzaines artistiques, les meilleurs étaient retenus pour les festivals, pour se mesurer aux représentants des pays amis invités.
A côté des deux ballets, le Bembeya jazz National apportait sa contribution de manière prépondérante. La Voix de l’Amérique de Roger Guy Folly et George Colliner, les pays voisins sollicitaient le groupe de Demba et Sékou Bembeya. C’est lui qui sera l’ossature du Syli-orchestre qui décrochera la médaille d’argent au festival d’Alger en 1969 et sera sacré par la BBC meilleur orchestre africain de l’année 1973, en dépit d’une compétition rude avec les Zaïrois, c’est à lui que revient l‘honneur d’animer la cérémonie de clôture du festival de Lagos 80, le festival qui a réuni toute l’Afrique divisée alors entre les révolutionnaires du festival d’Alger et le festival des arts nègres de Dakar. C’est également en 1969 que Sory Kandia Kouyaté remporta son premier disque d’or. La culture était un dérivatif pour atténuer la misère, la révolution mettait les moyens, les artistes du peuple s’en donnaient à cœur joie pour atteindre la consécration et montrer ainsi que la Guinée vit.
En 1969, après l’attaque de Tidiane Kéita de 1968, les CUP –comité d’unité de production et les CUM, comité d’unité militaire, noyautaient l’armée pour éviter « toute velléité contre-révolutionnaire » ou tentative de putsch. C’était le début de la paranoïa. Les choses vont aller très vite. Le malaise faisait résonner les bruits de botte. Les parachutistes de Labé : Camara Aboubacar M’bèngue, Namory Kéita et Kouyaté Sangban vont refuser d’obtempérer à un ordre militaire, ils furent mis aux arrêts et l’inspecteur de police Boiro Mamadou fut chargé de les convoyer sur Conakry. On ne sait comment les parachutistes se sont retrouvés pieds et poings déliés pour vouloir détourner l’avion sur Bamako, et à l’opposition de Boiro, ils le larguèrent au-dessus de Siguiri, où Sékou Touré avait lâché un aigle, «symbole de la liberté », pendant sa clandestinité, dans les années 50. Par manque de carburant, l’avion fut obligé de se poser dans la brousse. C’est presque morts de faim et de soif que les parachutistes se rendirent et furent arrêtés par le garde républicain Mamadou Mara, qu’on retrouvera en 1977 sur la route retour de Bissau… La rébellion des parachutistes mis au jour le « Complot Kaman-Fodéba ».
Pendant les vacances de 1969, un meeting d’information fut convoqué sur l’esplanade du Palais du Peuple. Y a-t-il un historien dans la salle ? Sékou Touré, exhibant une veste de maréchal avec des boutons de manchette en or et une statue de De Gaulle en or massif. La veste serait venue, la veille, de France et destinée à l’investiture de Kaman Diaby comme président.
A cette occasion, Sékou Touré raconta en langue soussou toute sa lutte dans la clandestinité: comment il déjouait les tentatives d’assassinat à Wassou et un peu partout, disant et faisant comprendre au peuple que c’est Dieu qui décidera de sa vie, qu’aucun homme n’y pourra quelque chose. Ça marche. Le peuple le crut sur parole. Il raconta également comment il fumait une cigarette en deux ou trois fois, gardant le mégot par manque de moyen, le peuple s’apitoyait sur son sort… Il dira que Kaman et Fodéba sont à ‘’l’ombre’’, le peuple l’applaudit à tout rompre : « au poteau ! ».
L’année suivante, ce fut l’agression du 22 Novembre 70. Les premiers coups de feu résonnèrent dès après qu’une balle traceuse fut tirée de la mer vers l’intérieur des terres pour signifier que le débarquement était achevé. L’happenstance voulut que tout se passa devant témoins. La répéter serait fastidieux, mais il faut faire un arrêt pour relater un aveu de Jean-Marie Doré qui confia au journal ‘’Le Démocrate’’ qu’il était parti de Monrovia pour Paris avec le Dr. Charles Diané. En Suisse, ils auraient téléphoné à la femme de Siradiou Diallo, à Paris, pour demander des nouvelles de son mari. Celle-ci aurait dit que « Siradiou était allé en Afrique ». A ce moment précis, Alpha Condé poirotait à Paris, au courant de rien, alors que les bateaux « Bombarda », « Montante », « Hydra », « Dragon » étaient à Conakry, Siradiou était à bord de l’un d’eux. Il ne dira rien de cette expédition jusqu’à sa mort le 15 mars et ne sera enterré que le 26 mars, le jour de la mort de Sékou Touré. Vont-ils se rencontrer dans le « grand peut-être » pour s’expliquer… ?
En janvier 1971, le PDG organisa des meetings d’information à l’intention des lycéens et étudiants pour les préparer à la série de pendaisons du 25 janvier. A la permanence de Conakry II, Miriam Makeba chantera pour la première fois « Yanfantè » et « Djigui ». Quelques jours après, un petit matin, des cris réveillèrent les riverains du pont du 8 Novembre. En se précipitant à toutes jambes pour s’enquérir de la situation, une trentaine de personnes observaient interdites et bouché bée des hommes pendus. Le seul qui était habillé d’un ensemble marron était Baldé Ousmane, par respect pour sa signature sur la monnaie guinéenne, il a eu le droit de conserver ses habits. Les autres Barry III, Magassouba Moriba et Kéita Kara étaient en culotte et chemise bleues de prisonnier. Plus tard, on publiera dans le journal ‘’Horoya’’ la photo des enfants de Barry III, au bas de leur photo, un texte de motion de soutien au PDG et à son leader reconnaissait le fondement de l’acte…
La purge qui suivit fut de grande envergure, il y avait aussi des règlements de compte personnels. Le système du PDG était comme un grand panier de crabes qui ne perdaient pas une occasion de se donner des coups de pinces. Dans la « Cinquième colonne », tous les cadres en faisaient partie, hormis ceux qui étaient dans le sérail du Pouvoir. On parlait des services secrets français, des SS nazis, de la CIA et des appointements de 1500 à 4000 dollars par mois, selon la hiérarchie.
La période d’accalmie correspondait au rappel de Diallo Telly qui quittait le secrétariat général de l’OUA pour le Ministère de la Justice. Telly était un intellectuel qui ne se soumettait pas au diktat primaire de Ismaël Touré. Les choses étaient ainsi. On était en pleine guerre froide. Le Bloc soviétique était en offensive pour les victoires de libérations nationales. Les sabotages économiques et monétaires obligèrent la Révolution à changer le franc guinéen par le Syli, une dévaluation de 100 fg pour 10 Sylis, cette période coïncidait avec le premier choc pétrolier de 1973 et par-dessus les sanctions occidentales, les pays du bloc socialiste étaient à genoux. La stagflation donna naissance à « cheytane 75 ». Les Guinéens mangeaient du maïs, l’embargo empêchait les bateaux de riz et d’aides de parvenir. « En attendant l’arrivée du bateau », la pire période de la Révolution, cela concernait les commerçants malinkés. La machine à broyer du PDG n’avait aucun scrupule.
Pour ralentir le flux d’accès à l’université, qui risquait de déverser tous ses étudiants dans la Fonction Publique, l’on institua les treizièmes années pour envoyer les élèves en campagne agricole de 1975 avec les FAPA, BMP et BAP (Fermes agro-pastorale, brigade motorisée et brigade attelée de production. Des millions de sylis mis dans cette campagne agricole furent sabotées et pillées systématiquement par la vague de jeunes gens qui quittaient la Guinée et qui emportait tout. Beaucoup fuyaient avec les bœufs, les tracteurs, les charrues et autres matériels… Lors des CNR, conseils national de la Révolution, les Telly mettaient en exergue les erreurs de la Révolution. L’incident des colis débarqués de Air-Afrique qui se rendait Addis-Abeba fut une humiliation pour Diallo Telly, cela a fini par creuser le fossé entre lui et Sékou. Devant le sabotage et l’échec de la campagne agricole, devant les attitudes galantes de ceux qui se félicitaient de ce fiasco, il y aura « le racisme peul. Nous allons croiser le fer avec le racisme peul », cela aboutira à l’arrestation de Telly. Le montage était quand même grossier de faire monter à un arbre un cireur de chaussure avec un pistolet artisanal pour descendre Sékou Touré.
Un concours de circonstances malheureuses. Telly l’avait ignoré ces circonstances, il l’a payé cash. La répression fut que tous les cadres peuls perdirent un à un leur poste et leur bourse d’étude. On avait cousins et cousines dans ce lot.
Du « complot Petit Touré » en passant par celui de Kaman-Fodéba jusqu’à l’agression du 22 Novembre, toute la hiérarchie militaire fut décimée, elle était composée principalement de Malinkés. Le seul facteur qui fait dire que les Peuls ont été ciblés, réside dans le fait que Sékou Touré, au pied du mur par les sabotages économiques et monétaires, on parlait des caisses de faux billets déversées sur la Guinée, devant l’échec de la Campagne agricole de 75-76, et exaspéré jusqu’au délire, avait déclaré publiquement qu’il va « croiser le fer avec le racisme peul «. Dans cette guerre des orgueils, DialloTelly ne pouvait pas sortir victorieux et ne faisait rien pour l’éviter pour faire comme le pot de terre et le pot de fer. Siradiou Diallo tirera plus tard la leçon qu’il ne « mettra plus le doigt dans l’engrenage ». La Révolution de Sékou Touré ne faisait pas de distinguo.
Cette victimisation à outrance n’a plus sa raison d’être, c’est elle qui incite à la confiscation politique en Guinée. Il faut une conférence « Vérité et réconciliation » comme au Rwanda et en Afrique du sud.
Le dernier fait majeur de cette période fut la révolte des femmes de Conakry. En août 1977. Les femmes de Guinée ne voulaient plus préférer la pauvreté dans l’esclavage, elles sont sorties pour le faire savoir. Le syndicaliste des Transporteurs Sény «La Presse » et Sankoumba Diaby, le grand mécanicien, pour ne citer qu’eux, trinquèrent, à leur tour.
Le 2 Octobre 1978, 20ans après l’indépendance et la discorde, la Guinée renouait avec la France de Valéry Giscard d’Estaing. Elle avait blanchi sous le harnais de la Révolution, qui ne lui a rien rapporté économiquement, contrairement aux pays voisins fortement sponsorisés par une sorte de ‘’Plan Marshall’’ pour rendre la pilule de l’indépendance plus amère à la Guinée.
A force de courir en rond pendant 20 ans, il fallait revenir à la case départ.
Que se passera du 2 Octobre 1978 au 2 Octobre 1988, 30 ans après ?