Première partie : la Guinée était trop jeune pour avoir 10 ans, en 1968
Le 25 Août 1958, quand Sékou Touré a dit à De Gaulle : «nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage.»
De Gaulle de répondre : «votre pays pourra prendre le chemin qu’il voudra, la France n’opposera aucun obstacle, elle tirera les conséquences…»
Les jours suivant ce 25 août 58, les conséquences promises furent immédiates : un commando de dépêché spécialement vida la Banque centrale, arracha toutes les installations électriques, sanitaires, d’adduction d’eau, incendia tous les documents administratifs…
Dans «les Carnets secrets de la décolonisation», il est dit qu’après la scène houleuse, Sékou Touré avait tenté avec insistance d’avoir un entretien avec De Gaulle, il voulait même embarquer avec le général dans son avion pour Dakar, mais De Gaulle avait refusé de l’emmener. Pathé Diallo aurait entendu Sékou Touré dire que « si les conséquences sont guinéennes, elles sont aussi françaises.» Sékou avait-il voulu un rabibochage ? Il y a un détail qui le fait dire puisqu’il aurait demandé à Pierre Cornut Gentille d’intercéder et De Gaulle aurait grogné : «ce n’est pas vous, le nègre!». Rancunier, il avait tourné le dos définitivement à la Guinée. A défaut de sa mère, on se contente de sa grand-mère, Sékou tendra la main vers l’Est. Cela n’était pas prévu, ceux qui avaient voté pour le ‘’Oui’’ à la Communauté et qui étaient de loin minoritaires, un peu plus d’une cinquantaine de milliers, reprenaient du poil de la bête. Le ver était déjà dans le fruit.
La proclamation de l’indépendance le 2 Octobre 1958 dans la liesse et la ferveur populaire était noyautée dans le mécontentement des cadres qui ne voulaient pas de l’indépendance totale et immédiate, qui ne manquait pas une occasion de le signifier. La première fissure.
La Guinée était trop jeune pour être une République indépendante qui pouvait voler de ses propres ailes. La France ne s’est pas opposée à l’indépendance, mais elle a tiré les conséquences d’isoler la Guinée. Des milliers de tonnes de bananes, d’ananas, de citrons, d’oranges en direction de la Métropole furent annulées et pourrissaient au quai du port de Conakry. L’appréhension de l’incertitude des lendemains qui tenaillait les dirigeants de l’époque nullement préparés à diriger un pays dans ces conditions, se confirmait.
Les premières commandes d’aides en provenance de l’URSS et de la Chine étaient souvent inappropriéeset inadéquates. Y avait-il sabotage, et de qui ? La question se pose, puisque la coopération avec le bloc socialiste était dénigrée à tout vent.
Dans cette atmosphère délétère, dès 1959, le premier coup d’Etat a été annoncé avec un certain Ibrahima Diallo, le frère aîné de Pathé Diallo. Ce dernier nous a à plusieurs occasions répété qu’il y avait bel et bien tentative de coup d’Etat. Tous les journalistes qui l’ont pratiqué ont dû entendre Pathé Diallo soutenir mordicus la véracité de ce complot. On se demande comment d’autres peuvent nier l’évidence.
En 1961, il y a ce qu’on a qualifié de « complot des enseignants ». Les soldats ayant combattu en Indochine venaient de rentrer au bercail sous la demande du gouvernement. Ils étaient reçus au Camp Alpha Yaya. C’est là que les élèves et professeurs mutins, ou supposés comme tels avaient été ‘’casernés’’ pour un ou deux jours. Plus tard, on entendait parler du « complot« Petit Touré ».
A partir de 1963-64, les gamins qui étaient en 3ème année commençaient à retenir ce qui se passait autour d’eux, en Guinée. Faute de moyen pour se procurer les drapeaux, les enseignants apprenaient à leurs écoliers à colorier sur papier le drapeau des pays dont les chefs d’Etat venaient à Conakry. On massait les élèves sur les deux bords de la route pour agiter les drapeaux de papier munis de brin de balai pour donner de la couleur à la réception. Certains se rappellent encore avoir colorié et confectionné deux drapeaux: celui de l’Algérie de Ahmed Ben Bella et celui du Tanganyika de Julius Nyerere. Quelque temps après la visite de Ahmed Ben Bella, on a entendu aussi‘’Ahmed Sékou Touré’’…
En 1966, l’année la plus riche en évènements. D’abord c’était le mouvement d’ensemble pour le primaire, la tribune colorée pour le collège et le défilé pour lycée et université, ce fut le mouvement d’ensemble qui remporta le premier prix devant la tribune colorée et le défilé, ensuite, il y a eu le Congrès de Foulaya pour mettre les divergences depuis l’indépendance au grand jour sur le cumul des fonctions. La rumeur disait que Barry III s’était opposé ouvertement et publiquement au cumul des fonctions : « le secrétaire général du PDG ne doit pas être encore le président de la République ». Mais au lieu de cela, Sékou Touré fut élevé au rang de « responsable suprême de la Révolution, commandant en chef des forces armées populaires et révolutionnaires cumulativement avec président de la République et Secrétariat général du PDG. C’est Petit Barry, le principal et le plus grand éditorialiste de la Voix de la Révolution, qui se targuera, plus tard, d’avoir été le premier à lui attribuer tous ces superlatifs ronflants. Pendant les vacances de 1966, il y a eu le coup d’Etat au Ghana qui renversa Kwame Nkrumah et les échanges d’invectives entre Sékou Touré et Houphouët Boigny, et il ne fallait pas être vu avec un numéro de Jeune Afrique.
En 1968, lors de la réception de Kenneth Kaunda de la Zambie, entre mai et juin, Sékou Touré fut attaqué et renversé au carrefour Constantin par Tidiane Kéita, (chut ! je ne t’ai rien dit). On disait qu’un comploteur s’était jeté sur Sékou Touré, qu’il avait été abattu, que la maison du père de Tidiane avait été saccagée jusqu’à la fondation. Les éléments du cortège présidentiel ont été emmerdés jusqu’à celui qui faisait la flèche, ce jour-là, alors qu’il était à des kilomètres du lieu de l’agression.
On attribuait ce complot aux SS nazis, que Tidiane était un commando bien entraîné, mais qu’il était trop drogué. Au même moment ou presque, en France, chez De Gaulle, il y avait Mai 1968 : «De Gaulle, démissionne ! » A Dakar, Senghor était aux prises avec des étudiants. Il y avait grabuges partout.
Le 2 Août, la Révolution culturelle socialiste fut déclenchée, l’enseignement d’élite avec l’anglais et l’arabe passa le témoin à l’enseignement de masse et l’alphabétisation dans les huit langues nationales avec coefficient 8, plus élevé que le français et que les Mathématiques, un vrai casse-tête pour les enfants des fonctionnaires affectés d’une région à une autre, mais aussi et surtout pour les enseignants avec les programmes magiquement improvisés. Ce fut la départ du « génocide intellectuel » puisque ça n’a véritablement servi à rien, les langues nationales ne sont point des langues scientifiques, surtout actuellement, avec l’informatique et l’internet…
Avec l’enseignement de masse, il n’y avait plus de redoublants, les passages en classes supérieures étaient automatiques, les sortants des universités, des écoles nationales de la Santé, de l’ENAM, de la comptabilité, des ENI, du secrétariat, des IPS (CFP)… étaient immédiatement absorbés dans l’administration comme fonctionnaires de l’Etat. Les plus cons étaient envoyés dans l’industrie et l’administration, les supposés plus lucides étaient obligatoirement et sans appel envoyés dans l’Education. Des pléthores étaient à tous les niveaux, puisque personne n’était recalé. Dans les classes, les effectifs atteignaient parfois 70-80 élèves. Dans l’administration, on voyait 7 à 8 secrétaires pour une seule machine à taper. Au cinéma « le 8 Novembre » il y avait plus d’une quinzaine d’ouvreuses pour trois rangées du parterre, alors qu’au maximum 6 suffisaient ; à l’usine des tabacs et allumettes de ENTA, le nombre de travailleurs était inconnu ; la Fonction Publique était bondée à craquer et chaque employé venait avec des quantités de cigarettes à revendre à la maison, « la chèvre broute là où elle est attachée ».
Le 2 Octobre 1968, 10 ans après l’indépendance, la Guinée était désorientée, elle ne savait plus où était le nord. Politiquement, économiquement, socialement, elle en avait ras-le-bol jusqu’aux yeux. Cependant, dans le domaine sportif et culturel, elle avait la tête hors de l’eau devant les pays voisins
A suivre la période 1968-1978.