On se demande ce qu’il faut dire au sujet des 60 ans de colonisation reconnue par les historiens guinéens, puisqu’en 1890, le drapeau français fut planté pour la première fois sur le sol des « Rivières du sud » qui prirent l’appellation « Guinée Française », 8 ans avant l’arrestation de Samory Touré, les turbulences au Fouta Djallon ne prirent fin qu’avec l’arrestation de Alfa Yaya, en 1911. Cette date peut se vérifier dans les annexes du livre intitulé « Alfa Yaya, roi de Labé, Fouta Djallon » de Thierno Diallo…
En 1958, après le départ de l’administration coloniale avec ses cadres, il est resté quelques Français dont monsieur Surena qui avait une usine à Matam, et surtout monsieur Dori, un professeur qui nous donnait les cours de français, au CER (centre d’études révolutionnaire) de Wassou (Kindia), pour ne parler que des deux de nos connaissances, la Guinée était restée seule avec ses richesses naturelles, les mains vides, sans aucune expérience de gestion.
Il fallait battre campagne et faire miroiter le pays de cocagne aux Guinéens dans l’expectative de revenir au bercail pour la construction nationale. C’est sans compter avec les forces centrifuges soufflées par l’adversité extérieure pour causer la perte incommensurable en cadres et officiers, au prorata des liens socio-humains. Car, plus l’on était haut cadre et que l’on avait plus d’orgueil que d’obséquiosité, moins l’on fera long feu. Il était interdit de rechigner devant le « Fama ». Ceux qui l’ont fait ont mis le doigt dans l’engrenage.
Par contre, pendant cette période de 1968-78, on a déjà parlé de la Culture, avec l’inauguration du complexe du 28 Septembre, la pratique de tous les sports fit naître des talents : Boxe, haltérophilie, handball, basketball, volleyball, ping-pong, natation, football se développaient. C’est en football que la Guinée connut la consécration (5 finales, une qualification pour les JO (jeux olympiques) de Mexico, une finale perdue à la CAN et une autre perdue en club champion la même année, 1976 et 3 remportées). 1976 a été l’année la plus noire de la Guinée contemporaine. C’est depuis que la Guinée a déchiré son tissu sociale ouvertement, c’est encore depuis que son football a amorcé son déclin. Le triplé du Hafia-FC et la coupe des vainqueur avec le Horoya furent remportés ave le dernier beau reste de son football.
2 Octobre 1978-2 Octobre 1988 : la révolte des femmes de 1977 avec la suppression de la Police Economique obligèrent Sékou Touré de changer le fusil d’épaule. Et pour cause, tous les pays révolutionnaires nouvellement indépendants tendaient la main vers l’Est aux possibilités limitées. Sékou l’avait vite compris depuis la fin des années 6 : « toute aide qui ne nous aide pas à nous passer de l’aide n’est pas une aide ».
Après les communistes, après les Arabes, il se tourna vers l’Occident. L’offensive diplomatique de 1979 le conduira d’abord chez Houphouët Boigny, son aîné de toujours et son cordial adversaire politique. Celui-ci le reçut à Yamoussokoro. On dit que Sékou Touré en fut si émerveillé qu’il avait parlé de « la ville de Yamoussokoro », Houphouët l’aurait rectifié en précisant, le village de Yamoussokoro ». De retour, Sékou Touré aurait dit qu’il a mesuré combien le retard du ‘’NON’’ de 1958 a causé à la Guinée. Mea culpa ! De Gaulle 1-Sékou 1. Il faut tout recommencer.
Dans l’offensive, il sera médiateur entre l’Iran et l’Irak, en 1981, n’obtiendra qu’un cessez-le-feu d’à peine 24heures. A Bonn, il fit exactement comme Recep Tayyip Erdogan avec l’Allemagne, actuellement. Après avoir traité l’Allemagne de nazie, ils sont allés demander de l’aide. Mais comme les invectives ne font pas mal aux Allemands… Après, ce fut au tour de François Mitterrand, que Sékou avait traité de « franc-maçon », de souffrir de le recevoir pour vanter les relatons franco-guinéennes.
Il faut reconnaître un fait constant en Sékou, ce que beaucoup ignorent, c’est que Sékou Touré était profondément attaché à la France parce qu’il s’exerçait à bien parler le français, il se creusait le cerveau à trouver des formules nouvelles de dialectique, n’employant que rarement les clichés… Un homme qui parle bien votre langue est un homme qui ne vous déteste point, retenez ça ! A la mort de De Gaulle, la Voix de l’Amérique avait déformé le message de condoléances que Sékou avait envoyé à la France : « malgré les vicissitudes de l’histoire, la Guinée apprécie hautement l’œuvre bienfaitrice…», c’est tout ce qui reste dans cette mémoire qui flanche dangereusement. On ne sait ce que la Voix de l’Amérique avait déformé et Sékou s’était gendarmé si fort que les Claude Pouillon et ses camarades ont rectifié illico dare-dare pour éviter le risque, tenez-vous solidement, «créer l’irréparable entre la Guinée et les Etats-Unis ». C’est du Sékou, bien sûr, mais était-ce du bluff que les gars de la radio la plus écoutée de l’époque ont rectifié le tir, le lendemain. Tout ça pour dire que Sékou tenait plus à l’éthique de ses relations avec la France…
En 1983, l’offensive diplomatique fut stoppée nette à cause du conflit du Sahara Occidental. Sékou avait pris parti pour le Maroc contre l’Algérie et contre la Libye, une histoire. Le sommet de l’OUA de 1984, le vœu ardent de Sékou de présider l’organisation continentale capota irrémédiablement. On dit que Kadhafi avait promis un an de carburant gratuit à tout pays qui boycotterait le sommet de Conakry en 1984. « Nous allons faire éclater l’OUA (organisation de l’unite africaine) ! ». Elle n’éclata pas mais elle mourut de sa mort naturelle. C’est encore Kadhafi qui la réanimera en 1999, longtemps après…
Auparavant, il y avait eu élection en France. Sékou soutint publiquement Valéry Giscard d’Estaing contre François Mitterrand : « Mitterrand est un franc-maçon ! », martelait-il. Finalement, c’est Mitterrand qui battra Giscard à plate couture, raz-de-marée, disait-on. Sékou se démystifia aux yeux de sa population, il n’était pas infaillible ni un messie. A la télévision offerte par le même Kadhafi, après le JT (journal télévisé) et les émissions de distraction, dès que Sékou apparaissait avec ses slogans : « pour la Révolution !!! » tout le monde désertait.
Les routes et rues de Conakry étaient quasiment impraticables. Seules l’autoroute et la route de Donka tenaient encore. La fin du règne approchait. Des signes prémonitoires se précisaient. La croyance populaire disait que Sékou ne mourrait pas, il disparaîtrait. L’enfoncement du bus bondé de travailleurs de ENTA dans la boue du bas-fond Dabondy-Bonfi, en 1979, avait fait une vingtaine de morts, officiellement, mais personne ne croyait à ce bilan, puisque les bus de ENTA emportaient au minimum 80 personnes ensardinées. C’est encore là qu’au début du premier mandat de Alpha Condé, un camion de ciment était allé aux pâquerettes, quel était le vrai bilan ? Et dans les deux cas, votre témoin ubiquiste y était, mais il était quasiment impossible de savoir la vérité, des évacuations par solidarité dans la précipitation compliquaient le décompte exact.
En décembre 1983, un violent tremblement de terre fit 300 morts à Koumbia, disait-on. Des avions apportant des aides se relayaient à Gbessia-Conakry, cela redorait, tant soit peu, le blason bien terni de Sékou, qui avait pris subitement un terrible coup de vieux. Le 20 mars 1983, il présidera une rencontre avec la jeunesse JRDA (jeunesse révolutionnaire africaine) et lui avait fait un signe d’adieu significatif. Il se rendra ensuite à Alger et se verra opposer une fin de non-recevoir de l’Algérie à sa proposition de solution au règlement du conflit du Sahara occidental. Dans la nuit du 22 au 23 mars, Sékou fut frappé par une attaque cardiaque et vomit du sang sur l’escalier, infarctus du myocarde, selon les hautes confidences. Un avion médicalisé fut envoyé par le Maroc pour une évacuation sur Cleveland. Le lundi 26 mars, avant d’entrer au bloc, Sékou plaisanta avec les docteurs, disant que le lundi n’est pas bon pour lui. C’était vrai. Il ne se réveillera pas. La nouvelle courut comme une trainée de poudre : « Tu as appris la mort de Sékou Touré ? » ; « Ne me dis plus ça, je n’ai rien entendu ! »
L’arrivée du cercueil donna l’occasion au peuple de verser des larmes chaudes et de se lamenter à perdre connaissance. Une petite rumeur fit changer les idées : le cercueil était trop court, et l’on se rappela qu’il avait dit qu’aucun Guinéen ne dira « voilà l’ancien président de la Guinée » ou « voilà la tombe de Sékou Touré ». Faute d’information, toutes les supputations étaient permises. Les plus malveillantes disaient, pour salir sa mémoire, qu’il s’était transformé en monstre velu et poilu. D’autres disaient que le cercueil était vide. Cette dernière version fut la plus plausible, puisque, la quinzaine de chefs d’Etat qui étaient venus rendre un dernier hommage au défunt, notamment le père-Bush, alors vice-président de Ronald Reagan, Félix Houphouët Boigny, son éternel pot de colle, Samuel Doe et autres, aucun n’a été autorisé à voir le corps. Houphouët et Sammuel Doe du Libéria ont insisté mais les Marocains qui montaient la garde autour du cercueil, les empêchèrent : « Haram ! ».
On n’attendit pas longtemps pour entendre des tiraillements sur la succession. Le Premier ministre Lansana Béavogui, qui avait annoncé le décès de Sékou, l’héritier constitutionnel, aurait pris une claque de Ismaël Touré pour avoir revendiqué l’héritage constitutionnel. Les militaires balourds et lourdauds ne savaient sur quel pied danser. « Entendez-vous, sinon l’armée va prendre le Pouvoir ! » Une convocation maladroite adressée aux plus gradés leur mit la puce à l’oreille pour passer à l’action, le 3 avril 1984. Tous les caciques du PDG (parti démocratique de Guinée) et la hiérarchie militaire qui restait après la purge furent arrêtés ?
Après avoir versé des larmes de crocodiles, après s’être lamenté à perdre connaissance de la disparition de ‘’Fama’’, la prise du Pouvoir par le CMRN (comité militaire de redressement national) fut accueillie par une explosion de délivrance populaire plus grande que précédemment. Les portes du camp Boiro furent ouvertes au public pour des frissons et sueurs froides, et pour des affabulations aussi, le propre de l’homme.
Les gens et journalistes politiques engagés du PDG rasaient les murs, d’autres animateurs cranaient et se présentaient autrement que de coutume, en costume et cravate : « KhamètokiWouya » (il y a différentes façons de voir un homme). La palinodie, quoi !
Le deuxième départ était faussé dès le commencement : les prétendants pour le Pouvoir ne manquaient pas, Il n’y avait plus que trois colonels dans l’armée, le plus âgé était à N’zérékoré, Idrissa Diallo déclina le poste. II ne restait que Lansana Conté et Diarra Traoré, l’on confia le brassard à l’aîné pour éviter que Diarra et Facinet se chamaillent. Lansana Conté gardera. Peut-on exclure qu’il ne jouait pas à cliver les deux autres ? Facinet Touré fume encore, faudrait le lui demander, n’est-ce pas Tham ?
Le sujet est intéressant, puisqu’en 1985, après un remaniement ministériel qui démit Diarra de la Primature pour l’Education et Facinet Touré des Affaires Etrangères, des murmures de coup d’Etat parcouraient tous les milieux. Diarra Traoré avait fait positionner des chars de combats à tous les carrefours. Le coup était très mal ficelé par, accuse-t-on, les Houphouët et Eyadema, qui convoquèrent un sommet de la CEDEAO. Lansana Conté et Facinet devaient se rendre à Lomé. Celui qui dit que Lansana Conté est un dadais, est dadais lui-même. Ayant préparé ses arrières, il se rendit à Lomé avec Facinet Touré.
Ce 4 juillet 1985, encore une fois, on était en compagnie du vieux Barthélémy, un policier à la retraite, le mari de Thérèse Kéita, la sœur d’un compagnon d’étude en Allemagne, Jean-Pierre. Barthélémy était gardien de la maison en chantier de Diarra Traoré à Hamdallaye, à côté de l’IPS CEPERTAM et de l’usine de matelas. Diarra était avec le vieux gardien dans le magasin de ses matériaux de construction, sa jeune femme Thérèse eut une conversation avec les gardes du corps, ils étaient une dizaine à lapider les lézards sur le mur nu. Thérèse leur confia ses appréhensions sur la rumeur insistante que Diarra Traoré va faire un coup. L’un des gardes du corps la rassura : « D’ici 22 heures, le Gouverneur sera président » ‘’Gouverneur’’ était l’appellation de Diarra, quand il était gouverneur à Boké, nous semble-t-il. Le soir, bien avant 22 heures, la radio annonça « Moi, Diarra Traoré… l’autre est désormais un citoyen à l’exile. » La résistance populaire commença par Boulbinet et traversa tout Conakry. Le lendemain les bruits de destruction étaient partout. Sur la moto Simson, on était allé voir la famille de Jean-Pierre et de Barthélémy à Hamdallaye. Des personnes étaient sur la toiture, en train de démolir pour récupérer des fers à béton, d’autres creusaient les carreaux de sol….
A la suite, Lansana Conté rentre au bercail et convoque une information sur l’esplanade du Peuple pour le remercier d’avoir bien veillé au grain. Le peuple lui réclama de l’électricité «oui, mais il faut payer les factures, puisque ce n’est pas de l’urine qu’on met dans les groupes ! ». Le peuple était douché. Conté le réanima : quand l’autre s’était bombé le torse pour prendre le Pouvoir et me mettre en exile, comme si c’est lui qui m’avait envoyé, ses gens ont chanté et dansé. Vous avez chanté et dansé sur leurs maisons. «Wofatara ! » (vous avez bien fait !), le peuple s’anima. Et à l’intention des défenseurs des droits de l’homme : «…c’est le moment, parce quedemain matin, ce sera trop tard ! » On était dans les environs de 19-20 heures, le temps était trop court…
La deuxième fracture sociale en Guinée venait de se produire.
Le 20 juin 1990, son discours-programme restera comme un planning pour l’ouverture démocratique et les frontières. Jacques Chirac dira que « la démocratie est encore un luxe pour l’Afrique ». Sous-entendez que la Guinée était encore trop jeune pour la démocratie. Cela a été décidé bien avant la Conférence de la Baule de 1988 avec François Mitterrand, réélu pour un second septennat. La conférence de Baule conditionna l’aide publique à l’ouverture et à l’alternance politique. On assistera à la ruée d’opposants de tous poils pour venir locher le Pouvoir de Lansana Conté….