Dossier – L’université Gamal Nasser de Conakry en ruine : où vont les milliards versés par les étudiants étrangers ?
Louis Celestin
Bâtiments vétustes, des amphithéâtres dégradés, des vieux tables-bancs poussiéreux, des installations électriques cannibalisées, des toilettes dégueulasses dégageant des odeurs pestilentielles à couper le souffle, des plafonds éventrés et instables, des fenêtres arrachées, des cafards, rats, serpents et autres reptiles qui mènent une vie tranquille dans les coins et recoins des salles de cours, des caniveaux bouchés, des aires de jeux presqu’inopérationnelles, des espaces verts devenus des broussailles… Voilà le spectacle de désolation qui s’offre aujourd’hui à tout visiteur de l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry, la plus vieille du pays. Ce temple du savoir présente de nos jours un visage lugubre. Et pourtant, chaque année, au-delà de la subvention que lui alloue l’Etat, les étudiants étrangers paient des frais de scolarité estimés à plusieurs milliards de francs guinéens et dont personne ne sait la moindre destination.
Etat des lieux…
L’université Gamal Abdel Nasser de Conakry est comme une vieille fille de joie dont la peau a lâché sous l’effet du temps et qui présente un visage maquillé, saupoudré pour résister encore et encore… A l’entrée principale, Gamal présente de beaux jardins fleuris avec des préaux et des sièges bien décorés qui accueillent les étudiants et des organisateurs des cérémonies de mariage. Mais derrière ce beau décor de façade, se cache une broussaille à l’image d’une belle cité qui a perdu de sa superbe.
En effet, dès après le hall du grand bâtiment, vous foulez les pieds dans des jardins abandonnés et transformés en champs de manioc, de gombo, de patate douce et de piment. La moitié de la cour de l’université Gamal est squattée par les riverains qui se sont partagé des parcelles pour y cultiver les produits vivriers pour certains ou implanter des ateliers pour d’autres. Plusieurs bâtiments qui hébergent des départements se sont retrouvés en plein cœur des plantations.
Tenez ! Le centre d’Odontostomatologie, autrefois Fleuron de l’Université Gamal, un centre qui accueillait des malades à la recherche des soins dentaires, est aujourd’hui envahi par les champs de maïs et d’épinards. Les terrains de basket, de handball et de volley servent désormais de terrains de foot pour les bambins des quartiers de Landréah, de Madina-Sig et du Bloc des professeurs. Ils y jouent la journée, et fument du joint la nuit tombée. Le petit stade situé tout juste derrière le bâtiment M’Balia, sert de lieu d’entrainement des jeunes désœuvrés de Coléah et de Dixinn. Le grand caniveau qui relie le quartier de Madina à Landréah est devenu un WC public à ciel ouvert, un dépotoir, bouché par endroits par des carcasses de brouettes, des vieux matelas. Quand il pleut, les quatre bâtiments: Bissandougou, Zappa, M’Balia et 8 novembre sont inondés et par ricochet, toute l’université…
Les amphithéâtres, ils sont bondés comme le marché Avaria de Madina. Par manque de places, les étudiants prennent les cours assis à même le sol ou à travers les fenêtres.
Les chantiers toujours inachevés…
Engagés depuis une décennie, les chantiers de construction des bâtiments devant abriter les facultés de médecine et autres départements, trainent toujours. Bloqués pendant une bonne période pour faute de financement, ces chantiers ont repris un certain moment puis se sont arrêtés. Rencontrés, les ouvriers sont unanimes. « Tout est arrêté pour le moment. On nous demande d’attendre… C’est comme ça à chaque fois. Nous sommes habitués à cette interruption perpétuelle. Toujours à cause de financement. Donc on attend », affirment-ils.
En un mot, ces chantiers une fois terminés, l’université présentera un visage reluisant et les salles de cours seront désengorgées, nous apprend un enseignant optimiste.
Où vont les milliards versés par les étudiants étrangers ?
Les étudiants étrangers issus de plus d’une vingtaine de pays s’inscrivent chaque année à l’université Gamal Abdel Nasser à la faculté de médecine. Ces étudiants qui se rabattent sur la Guinée pour bénéficier de la qualité des études en médecine, déboursent chacun 5 millions 500 mille francs guinéens comme frais d’études. Ces frais sont assurés à 99% par les parents des étudiants. Et quand on sait que chaque année c’est la ruée des étudiants étrangers vers la faculté de médecine, il faut s’attendre à des milliards de francs guinées dans les caisses de l’université Gama Abdel Nasser. « Nous sommes plus de 300 étudiants inscrits cette année dans les universités et instituions supérieures du pays. Sur les 300 étudiants, la quasi-totalité est inscrite en médecine (de 3ème en 7ème année médecine, puisque depuis deux ans, il n’y a pas eu d’inscription) », nous apprend une étudiante camerounaise rencontrée au service pédiatrie du CHU de Donka. Même son de cloche au niveau de la communauté estudiantine ivoirienne où on apprend que sur 401 étudiants ivoiriens inscrits dans les universités guinéennes, une centaine s’est orientée en médecine. «Nous sommes plus d’une centaine à la faculté de médecine. Chacun de nous a payé 5 millions 500 mille francs guinéens. Il en est ainsi à chaque rentrée universitaire », nous a confiés KS, étudiant en quatrième année de pharmacie. A part ces deux communautés, il faut noter la présence des étudiants d’autres pays comme le Tchad, la Centrafrique, le Niger etc. Ce qui revient à dire que l’université Gamal Abdel Nasser brasse chaque année des milliards de nos francs.
Interrogé sur la destination de ces montants perçus, un responsable d’université qui a voulu garder l’anonymat a tenu à nous préciser: « Laissez-moi vous préciser que les frais auxquels vous faites allusion, sont versés au niveau des commissions d’inscription et de réinscription mises en places dans les facultés. Ensuite l’agent comptable est chargé de verser les montants perçus au compte commun recettes universitaires Conakry, domicilié à la Banque Centrale de la République de Guinée. Et tenez-vous bien! Les reçus de versement sont photocopiés en trois exemplaires, visés par le secrétaire de faculté et déposés auprès du responsable de la formation payante, du secrétaire de facultés et du chef de département. »
Si l’argent n’a pas pris une autre destination et que c’est déposé à la Banque Centrale, comment peut-on expliquer le manque d’infrastructures et d’entretien de l’université Gamal Abdel Nasser ? A cette question, notre interlocuteur nie l’évidence : l’inexistence des infrastructures et le manque d’entretien des locaux de l’université. « Croyez-vous qu’on ne fait rien pour l’université ? Avez-vous visitez nos installations ? Nos amphithéâtres, les salles d’études et la cour de l’université ? Vous n’avez pas vu des réalisations ?», nous a-t-il interrogés.
Sur insistance du constat fait lors de notre enquête, notre interlocuteur nous a invités à revisiter l’université avec lui si nous le désirons. «Je vous invite à l’université. Je vais vous faire visiter nos salles d’études, nos amphithéâtres et d’autres infrastructures réalisées si vous voulez bien », nous a-t-il lancés.
Quant au ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Abdoulaye Yéro Baldé, il a été clair. Pour lui, les universités sont autonomes. Leur entretien dépend d’elles-mêmes. « Les universités sont autonomes depuis longtemps. Ce n’est pas au ministère d’aller balayer chaque matin la cour de l’université Gamal ! Ces institutions ont des services de nettoyage, de gardiennage et le service de maintien d’ordre ! Moi-même, j’ai fait la remarque plusieurs fois aux responsables de l’université Gamal. Ils m’ont fait croire qu’ils ont installé des poubelles, mais que les gens jettent volontairement des ordures par terre. Je vous apprends que le ministère est même intervenu une fois pour ramasser un tas d’ordures dans la cour d’université Gamal. Ces instituts ont créé des activités génératrices de revenus! C’était pour faire face à ces réalités-là ! »
Un cadre du cabinet contacté avant le ministre nous a renvoyés à la dernière conférence de presse organisée le 4 février. « Je crois que le ministre a présenté lors de la conférence du 4 février, les réformes faites depuis son arrivée ! Il avait tout dit à la presse ! Que voulez-vous encore ? », nous a-t-il interrogés avant de raccrocher le téléphone.
Effectivement le 4 février dernier, le ministre Abdoulaye Yéro Baldé a, au cours de la conférence de presse, présenté les prouesses de son département depuis 2010 jusqu’aujourd’hui. Il a parlé des reformes telles que le recensement biométrique des étudiants et du personnel d’encadrement, l’investissement de 410 milliards de francs guinéens dans la construction d’infrastructures et dans l’achat d’équipements, la construction de plusieurs infrastructures à usage administratif et pédagogique, à l’université de Labé et Conakry, l’aménagement des commodités dans toutes les institutions: voies d’accès, forage, panneaux solaires, connexion internet, dortoirs pour les étudiants à Labé, Boké et à Faranah. Sans oublier le passage en grades supérieurs de 1652 enseignants-chercheurs et chercheurs dont 258 au rang de magistrats. Enfin l’augmentation du budget de l’enseignement supérieur du simple au double. C’est-à-dire de 400 milliards à 900 milliards de francs guinéens entre 2011 et 2019.
Problèmes de logements et restauration : autres réalités auxquels sont confrontés les étudiants
L’université ne disposant pas de structure de logement des étudiants, ils sont logés dans les quartiers. Et faut trouver un lieu d’habitation pour un étudiant venant de l’intérieur du pays ou pour un étudiant étranger à Dixinn, Camayenne, Coléah et Madina qui sont des quartiers riverains à l’Université Gamal. Ceux qui réussissent à avoir un logement dans l’un de ces quartiers, l’ont obtenu à prix d’or. Non seulement le prix est élevé pour un étudiant, mais il y a aussi de forte chance qu’il fasse arnaquer par des démarcheurs sans scrupules avant de l’obtenir. Les maisons sont plus ou moins abordables dans la banlieue, mais cela n’arrange pas toujours l’étudiant. Il doit dans ce cas compter avec certains aléas : embouteillages sur la voie aux heures de pointe et les frais de transport.
Il y a aussi le problème de restauration. Actuellement, il n’existe pas de restaurants universitaires à l’université Gamal Abdel Nasser. Ce qui amène les étudiants à manger aux alentours toute sorte de nourriture qui se vend.
Il faut tout de même signaler qu’au-delà de tout ce tableau sombre, l’université Gamal Abdel Nasser reste toujours la référence des universités du pays d’où de nombreux cadres de ce pays sont issus. La motivation et l’enthousiasme des enseignants ainsi que la volonté d’apprendre des étudiants semblent avoir raison de toutes ces difficultés.