5 septembre 2021-5 septembre 2024. Cela fait trois ans que le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), avec à sa tête le Colonel Mamadi Doumbouya, préside aux destinées de la Guinée. Dès les premières heures de la prise du pouvoir, l’ancien commandant du Groupement des forces spéciales a acquis le soutien populaire à travers des discours forts et rassurants. Dans la foulée, des consultations nationales ont été menées avec l’ensemble des couches sociopolitiques et professionnelles pour tenter de donner un caractère plus inclusif à la transition. Trois ans après, que peut-on retenir des actions politiques du CNRD ? La synergie des médias en ligne fait le diagnostic.
Après neuf mois d’exercice au compte de son nouveau mandat issu d’une réforme constitutionnelle controversée, le Président Alpha Condé s’est vu renversé au matin du 5 septembre 2021, par le Colonel Mamadi Doumbouya, commandant du groupement des forces spéciales. La question du troisième mandat et la « mal gouvernance » ont été les maitres mots pour légitimer le coup de force.
Au lendemain des évènements de la prise du pouvoir, les nouveaux dirigeants du pays, ont décidé de l’interdiction de sortie à l’ensemble des membres du gouvernement déchu. Leurs documents de voyage confisqués et les comptes bancaires gelés. Au même moment, des consultations sont organisées pour définir le contenu de la transition.
Ainsi, le 27 septembre 2021, une charte de la transition est publiée et approuvée par la presque totalité des organisations sociopolitiques. Les dispositions relatives à la non candidature des membres des organes de la transition, au respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens et la fixation par consensus de la durée de la transition, sont entre autres les garanties qui ont rassuré les acteurs sociopolitiques quant à la bonne foi du CNRD de mener à bien cette période transitoire.
En octobre de la même année, le Colonel Mamadi Doumbouya, prête serment en qualité de Président de la transition, Chef de l’Etat. Un mois après, un gouvernement civil composé de vingt-sept (27) membres est constitué, dirigé alors par l’ancien fonctionnaire international Mohamed Beavogui.
L’une des mesures phares est la création en décembre 2021, de la Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières (CRIEF). Des poursuites sont enclenchées contre plusieurs anciens dignitaires pour des faits présumés de détournement de deniers publics. Il s’agit entre autres de l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, l’ancien Président de l’Assemblée nationale Amadou Damaro Camara et l’ancien ministre de la défense Dr Mohamed Diané.
Dans sa volonté d’organiser une transition inclusive, des journées de « Vérité et Pardon » sont organisées sur toute l’étendue du territoire national et dans les ambassades guinéennes à l’étranger. Ces assises nationales menées entre le 22 mars et le 29 avril 2022 ont impliqué l’ensemble des couches sociales à l’exception du RPG qui a décliné l’offre du dialogue.
Toutefois, au terme de six semaines de travaux menés par les membres du Comité national des assises, dirigé par des chefs religieux, un rapport assorti de 45 recommandations est remis au Président de la transition.
L’opération de récupération des domaines de l’Etat constitue un autre domaine d’intervention des autorités de la transition. A ce titre, la Cité ministérielle de Donka et bien d’autres résidences spoliées sont retombées dans le portefeuille du Patrimoine bâti public.
En juillet 2022, alors qu’il venait de rentrer de l’immersion gouvernementale à l’interieur du pays, le Premier ministre Mohamed Beavogui s’est rendu en Italie pour des raisons de santé. Le ministre du commerce Docteur Bernard Goumou a été désigné pour assurer l’intérim. Un mois après, celui-ci a été confirmé dans la même fonction. Son prédécesseur aurait rendu démission sans que cela ne soit communiqué à la place publique.
Fraîchement confirmé, Docteur Bernard Goumou, Premier ministre chef du gouvernement, en prélude au dialogue politique, a effectué en octobre 2022, une visite aux partis politiques. La démarche a débouché sur l’ouverture du cadre de dialogue inter guinéen en novembre, après plusieurs tentatives sans succès au temps de son prédécesseur.
Ce dialogue devrait permettre d’harmoniser les divergences de vue sur la conduite de la transition. Placé sous l’autorité du Premier ministre et piloté par trois facilitatrices guinéennes, ce dialogue s’est déroulé finalement sans la participation des coalitions politiques du RPG-arc-en-ciel, de l’ANAD et du FNDC politique. Les efforts du gouvernement pour faire venir les acteurs autour de la table n’ayant pas abouti.
Ces coalitions avaient pour revendications la non prise en compte de leurs préalables dont entre autres : le respect des dispositions de l’article 77 de la charte de la transition, la déclaration des biens des membres de la transition, l’arrêt des harcèlements judiciaires et la levée de l’interdiction des manifestations et la mise en place d’un dialogue sous la supervision de la CEDEAO et de la communauté internationale.
Outre ces revendications, les travaux du dialogue se sont poursuivis jusqu’en décembre 2022. Au total, 35 recommandations y ont résulté et ont été soumis à l’attention du Président de la transition. Dans le souci de la mise en œuvre desdites résolutions, un Comité de suivi composé des différentes parties au dialogue a été créé à la Primature.
Parallèlement aux travaux de ce comité, un autre cadre d’échange a été ouvert sous la médiation des chefs religieux. Il n’a pas permis de rapprocher les positions des coalitions opposées à la conduite du CNRD. Nonobstant, les activistes du FNDC ont pu recouvrer leur liberté grâce aux bons offices des religieux après plusieurs mois de détention pour des faits de manifestations non autorisées.
Courant de la même période, un chronogramme dynamique a été établi avec la CEDEAO fixant la durée de la transition à 2 ans. Ce fut l’aboutissement de longues tractations qui ont conduit à des manifestations ayant entrainé de graves conséquences, malgré la mesure d’interdiction.
Durant ces deux dernières années, la conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO a tenu plusieurs sommets pour statuer sur les transitions en cours en Guinée, au Mali et au Burkina Faso.
Visiblement, la diplomatie souterraine du CNRD l’a emporté sur les nombreuses sanctions et recommandations imposées aux autorités guinéennes.
En avril 2023, à l’occasion d’une rencontre avec les partenaires sur le niveau d’exécution du chronogramme de la transition, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, a levé un coin de voile sur les implications du retour à l’ordre constitutionnel. Selon Mory Condé, le budget pour l’exécution des dix (10) points du chronogramme s’élève à plus de 5 000 milliards de francs guinéens, soit 600 millions de dollars US. La levée de fonds pour le financement de ce budget est désormais l’objectif recherché par le gouvernement de la transition.
Un climat politique en pleine détérioration
En 2024, le climat politique en Guinée a connu une détérioration significative, plongeant le pays dans une incertitude profonde. Les ambitions politiques des autorités de la Transition ont évolué, semant le doute et la confusion parmi les citoyens.
À la fin de l’année 2023, le président de la Transition avait promis un référendum pour courant 2024. Cependant, à seulement trois mois de 2025, aucune communication officielle n’a été faite sur ce sujet crucial. Pire encore, des rumeurs circulent selon lesquelles le Colonel, désormais Général, aurait l’intention de se présenter à la prochaine élection présidentielle. L’avant-projet de la nouvelle Constitution, présenté par le Conseil National de Transition (CNT), ne mentionne aucune interdiction pour les membres du CNRD, y compris son président, de se porter candidats. Cette question a même été éludée par le président du CNT. Parallèlement, certaines voix, potentiellement manipulées, s’élèvent pour soutenir la candidature du Général.
Au niveau local, les conseillers communaux élus en 2018 ont été remplacés par des délégations spéciales. De plus, plusieurs nouvelles communes ont été créées dans la région du Grand Conakry, pour dit-on, rapprocher l’Etat des citoyens.
L’autre élément à noter, c’est l’évaluation récente des partis politiques. Cela a permis de clarifier le nombre exact de partis existants et de déterminer ceux qui sont en règle. Cette initiative vise à rationaliser la vie politique et à renforcer la transparence.
Atteintes aux droits de l’homme
Sur le plan des droits de l’homme, la situation s’est gravement détériorée. Plusieurs médias ont été fermés et des leaders politiques ainsi que des activistes de la société civile, souvent des voix dissidentes, sont contraints à l’exil. Deux membres du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), Foniké Mengué et Billa Bah, sont portés disparus depuis le 9 juillet 2024. De plus, plusieurs jeunes ont été tués par balles sans qu’aucune enquête n’ait été ouverte pour identifier les auteurs de ces assassinats.
Innovations constitutionnelles
Malgré ce climat tendu, l’avant-projet de la nouvelle Constitution propose plusieurs innovations importantes. Tout d’abord, le bicaméralisme parlementaire avec la création d’un parlement à deux niveaux, composé d’une assemblée et d’un sénat, chargés d’approuver toutes les nominations à des hautes fonctions civiles et militaires.
Ensuite, l’encadrement des pouvoirs du Président par la limitation des attributions du Président de la République et la clarification de ses relations avec les pouvoirs législatif et judiciaire pour éviter un présidentialisme renforcé.
De plus, le renforcement de l’indépendance judiciaire est proposé par la révision de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature et la réduction de l’influence du ministre de la Justice afin de garantir une justice plus indépendante.
Par ailleurs, la réorganisation de l’espace partisan introduit la candidature indépendante aux élections nationales (à l’exception de la proportionnelle), afin de réduire l’hégémonie des partis politiques et de recentrer les citoyens au cœur de la vie politique. En outre, l’éducation gratuite jusqu’à l’âge de 16 ans est instaurée.
Enfin, le service militaire obligatoire est institué à partir de 18 ans, selon les règles définies par l’État.
Contrairement à la Constitution de 2020 où le Président de la République est élu pour un mandat de 6, dans l’avant-projet de la Constitution, le Président de la République est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois.