Spécialiste des investissements en Afrique à la Banque de développement du gouvernement américain connue sous le nom de « DFC » à Washington DC, Biro Condé dirige des investissements dans des projets énergétiques et d’infrastructures en Afrique subsaharienne dans le cadre de l’initiative PowerAfrica mise en place par le président Barack Obama en 2013. Guineenews lui a posé trois questions sur l’aspect énergétique de la volonté des autorités guinéennes de parvenir à une transformation locale de la bauxite en alumine.
Guineenews©: Monsieur Condé, quel commentaire faites-vous des nouvelles exigences des autorités guinéennes vis-à-vis des sociétés minières, notamment celles bauxitiques ? Pensez-vous que les conditions énergétiques sont réunies pour une transformation locale de la bauxite en alumine ?
Biro Condé : en effet, la récente exigence des autorités guinéennes à l’adresse des sociétés minières exploitant la bauxite de s’orienter vers la transformation locale de la bauxite en alumine soulève de nombreux débats. Il ne fait aucun doute que l’industrialisation du secteur minier donnerait une impulsion significative à l’économie guinéenne. Toutefois, une question cruciale liée à cette exigence de transformation locale d’alumine demeure à ce jour occultée dans les différents débats. La question de la capacité de production énergétique demeure fondamentale à la réussite d’une telle ambition d’industrialisation du secteur minier. À cet effet, un rapport détaillé évaluant la demande en énergie de l’industrie minière en République de Guinée jusqu’à l’horizon 2030 a été publié par PowerAfrica.
Guineenews©: Que dit ce rapport de PowerAfrica ?
Tout d’abord, il convient de retenir de ce rapport que sur la base des prévisions actuelles de production de bauxite, la Guinée devra doubler sa capacité totale de production d’énergie installée à plus de 1 400 MW afin de transformer 16% de sa production de bauxite en alumine en 2023. En outre, afin de transformer 64% de la bauxite produite en alumine et 1% en aluminium d’ici 2030, la Guinée devra rehausser sa capacité de production énergétique à plus de 6 000 MW.
Guineenews©: Sur quelle (s) base (s) cette demande d’énergie a-t-elle été déterminée par PowerAfrica ?
Les critères qui ont été pris en compte pour déterminer cette demande d’énergie se déclinent comme suit:
-L’exploitation de la bauxite est une activité fortement consommatrice d’énergie. La production de minéraux bruts (excavation, concassage, broyage) nécessite souvent des quantités importantes d’électricité, tandis que les étapes de traitement (traitement chimique, fusion par électrolyse) qui transforment les produits minéraux bruts en un produit apte à l’exportation peuvent nécessiter plus d’électricité que la production minière en elle-même. Il faut environ 4 à 5 tonnes de bauxite pour produire 2 tonnes d’alumine, donnant 1 tonne d’aluminium.
-La demande d’électricité estimée du secteur minier en Guinée en 2020 était d’environ 862,591 MWh par an. Cette demande nécessiterait environ 246 MW de capacité de production installée, soit plus de 35% de la capacité de production installée totale actuellement estimée en Guinée. Les prévisions annuelles de 2020 à 2030 révèlent le rôle dominant de la production de bauxite dans la demande d’électricité en Guinée.
Parmi les minerais que la Guinée produit actuellement, la bauxite représentait environ 53% de la demande totale d’électricité en 2020. Ce niveau de référence pourrait augmenter de plus de 58% de 2020 à 2030.
Par conséquent, cela nécessiterait plus de 316 MW de capacité installée d’ici 2030 pour l’extraction de la bauxite. La Société Minière de Boké (SMB) et la Compagnie des Bauxites de Guinee (CBG) représentaient près de 280,000 MWh sur les 462,484 MWh de demande d’électricité estimés dans ce rapport pour les opérations d’extraction de bauxite en 2020, nécessitant environ 82 MW de capacité installée pour SMB et CBG uniquement.
-Le réseau national n’a actuellement pas la portée géographique pour répondre à la demande du secteur minier. Les sociétés minières opérant loin du réseau existant utilisent quasi constamment des moteurs à diesel ou des génératrices stationnaires utilisant du mazout (HFO) ou du diesel pour combler leur besoin en électricité.
– La Jamaïque, un pays avec une longue histoire de transformation de la bauxite et d’une taille économique similaire à la Guinée, a transformé environ 64% de sa production nationale de bauxite en alumine en 2018. Cela a servi de référence dans cette analyse.
– Le minerai de fer pourrait remplacer la bauxite en tant que principal moteur de la demande d’électricité. Si les grands projets miniers tels que Simandou, Nimba et d’autres commencent la production dans ce délai approximatif de 2025, la demande d’électricité de minerai de fer sera supérieure à 850 MW de capacité installée d’ici 2030.
Dans ce scénario, où la transformation de la bauxite dans le pays reste aux niveaux actuels de 1%, la demande d’électricité augmentera d’environ 347% de 2020 à 2030 (contre une augmentation de seulement 41% si la production de minerai de fer reste à zéro et que la transformation de la bauxite dans le pays reste aux niveaux actuels de 1%).
En résumé…
En résumé, la Guinée devrait appréhender la demande en énergie du secteur minier à court, moyen et long termes afin de tirer pleinement profit de ses importantes ressources minérales. Cela devrait conduire à aligner ces activités minières à des plans d’investissements privés et publics de long terme dans le réseau et la capacité énergétique nationale. Une lecture du Rapport de PowerAfrica permettrait de comprendre davantage de quoi je parle.
Propos recueillis par Tokpanan DORÉ