En audience correctionnelle au Tribunal de Première Instance de Mamou, Carlos Corces Bustamante de nationalité espagnole, Guide de chasse, Mohamed Camara, son gardien, Mamadou Dia, le chef de division Faune et protection de la nature et Namory Kéita, ancien directeur national des Eaux et Forêts, poursuivis pour ‘’détention illégale d’arme à feu et des munitions, chasse, abattage d’espèces animales protégées et détournement de deniers publics’’, ont été fixés sur leur sort le mardi 15 janvier.
Carlos a été condamné à un an d’emprisonnement dont 4 mois fermes et 8 mois assortis de sursis et 2 millions de francs guinéens d’amende. Le président du tribunal a, par la suite, condamné Mohamed Camara à 6 mois d’emprisonnement dont 3 mois fermes, 3 mois assortis de sursis et 500 mile francs d’amende. Quant à Mamadou Dia, il a été condamné à 8 mois d’emprisonnement dont 2 mois 20 jours fermes et 5 mois 10 jours assortis de sursis et 1 million 500 mille francs d’amende. Enfin, Namory Kéita a écopé d’un an d’emprisonnement assorti de sursis et 5 millions de francs guinéens d’amende.
Carlos Corces Bustamante, arrivé en Guinée en 2009 et domicilié sur les îles de Room, avait, à l’ouverture de l’audience le jeudi 3 janvier dernier, plaidé non-coupable des faits portés contre lui. Il soutient avoir légalement importé son pistolet et ses munitions en Guinée. Il avait acquis son permis de port d’armes malheureusement qu’il a perdu. Il affirme qu’il détient ce pistolet pour se défendre contre les animaux féroces, et pour sa propre protection, car à Room il n’y a ni de gendarmerie ni de police. Il pratique la chasse professionnelle. Au ministère de l’Environnement, il dit avoir obtenu un permis de port d’armes et un permis de chasse.
Carlos avait signé en 2010 le contrat d’amodiation sur la réserve de Sabouya d’une superficie de 25 mille hectares pour une période de 5 ans. Les signataires sont Namory Kéita, à l’époque, directeur national des Eaux et Forêts et Mamadou Dia.
Au sujet des dépouilles d’espèces retrouvées dans la réserve de Sabouya (Crânes de Buffle, de Bongo et de Cobe de fassa) Carlos soutien que ces trophées ne sont pas protégées et ont été abandonnées par les braconniers. Il a indiqué qu’il a acheté à 200 mille francs le trophée de Bongo dans les mains d’un braconnier de Sierra Leone. Pour des faits de publicité, il a affiché les dépouilles dans son salon.
L’avocat de la partie civile, représentant l’État dans cette affaire, a brandi un document signé en 2017 dans lequel sont répertoriées les espèces partiellement protégées.
Quant à Mohamed Camara, il indique qu’il est un simple gardien des biens au domicile de Carlos à Sabouya où ont été retrouvés 3 fusils, un moteur, des têtes de trophées d’animaux accrochées au mûr. Il indique que Carlos était avec des blancs à Sabouya où ils ont abattu un phacochère qu’ils ont consommé.
Mamadou Dia, le chef de division Faune et Protection de la nature et Namory Kéita, tous deux sont poursuivis pour ‘’détournement de fonds’’ au préjudice de l’État. Le premier a reconnu en partie les faits et l’autre les a catégoriquement rejetés. Mamadou Dia souligne que la réserve existe depuis le temps colonial. Il a reçu 20 millions du loyer du contrat d’amodiation. Carlos a indiqué qu’il a versé 30 millions dans les mains de Mamadou Dia lors de la signature du contrat. Le montant au lieu d’être versé sur les comptes du fonds de réserve forestière, a servi, selon les explications de Mamadou Dia, à l’entretien des toilettes, à la réparation des pannes d’électricité et à la réparation d’un ordinateur de la direction nationale des Eaux et Forêts.
Namory, quant à lui, dément avoir reçu le moindre sou. Il soutient n’avoir jamais signé un contrat avec Carlos et ne reconnaît pas également la signature sur le document exhibé à la barre. Il n’a jamais été informé que la réserve de Sabouya est exploitée. La section de Mamou ne l’a jamais informé. Il soutient que c’est ‘’du faut et usage de faux’’.
Par contre, il reconnait avoir signé un contrat d’amodiation le 13 février 2015 pour la certification d’une réserve destinée à la conservation des espèces. Mais il affirme qu’actuellement, il n’y a aucune zone amodiée pour la chasse dans la règle de l’art en Guinée. La Guinée n’a pas de liste des espèces partiellement et intégralement protégées, signée par le président de la République.
Dans sa plaidoirie, l’avocat de la partie civile indique que ce procès est une honte. «Des commis de l’État qui trahissent l’État. Des fonctionnaires véreux venus pour tourner en dérisoire le tribunal. C’est le moment de démontrer que tout n’est pas permis », a-t-il lancé et d’ajouter : «c’est une usurpation de fonction en signant ce contrat sans l’aval du ministre. L’État a subi des préjudices énormes. L’exploitation de la réserve pendant 13 ans, depuis 2005. 390 millions soit 30 millions par an sont perdus. Depuis 2013, la Guinée, la plaque tournante de la criminalité faunique est suspendue de la CITES. C’était lors de la rencontre de Bangkok.»
Sur l’action civile, l’avocat plaide la condamnation solidaire des prévenus au paiement d’un milliard à l’État pour tout préjudice subi.
Dans ses réquisitions, Elhadj Sidiki Camara, le Procureur a indiqué que pour Carlos, il y’a un concours d’infractions: ‘’détention illégale d’armes, chasse, abattage d’espèces animales protégées’’. Il a requis contre lui, 18 mois de prison dont 12 mois fermes et au paiement de amende de 15 millions de francs. Une interdiction du territoire national de façon définitive, la confiscation de tous les trophées.
Pour Mohamed Camara, le gardien de Carlos, le Procureur a retenu contre lui, l’infraction liée à la chasse. Il a requis 1 an ferme et 80000 francs d’amende.
Pour Mamadou Dia et Namory Kéita, le Procureur a sollicité de requalifier les faits en ajoutant ‘’la complicité’’. Il a requis contre eux, 6 mois prison dont 3 mois fermes et un mandat de dépôt contre Namory Kéita.
Lors de la plaidoirie de la défense, Me Bérété a exigé à ce que soit dit le droit et rien que le droit. Il ne préfère pas de gratuité. Il a mis au défi quiconque de présenter une preuve de remise de 20 millions à Namory avant d’ajouter que l’administration est à terre. Il a demandé au tribunal de rejeter la demande non fondée de l’avocat de la partie civile au paiement d’un milliard de francs. Faute de faire établir les faits contre Namory, l’avocat sollicite la relâche.
Quant à Me Justin de la défense, il affirme que ce contrat d’amodiation met à nu l’irresponsabilité de l’État. «Carlos, un chasseur professionnel, a demandé à notre administration de lui délivrer des documents pour exercer légalement ses activités. Il a investi en Guinée en construisant un hôtel à Room. Interdire son séjour en Guinée, ce sera terrible pour notre économie. Tout investisseur avant de venir chez nous, va consulter notre environnement juridique (les actes qui ont été pris) », a fait remarquer l’avocat qui a exhibé des documents établis par l’État pour justifier son séjour à Sabouya. Il a enfin demandé d’accorder des circonstances atténuantes à Carlos et une relâche pure et simple de Mohamed Camara.
L’avocat de l’État a répliqué en ces termes : «nous n’allons pas tenir compte de certaines défaillances pour renier tout ce que l’État a fait. Ce n’est pas un procès contre l’État mais contre les commis de l’État ».
Mamadou Dia qui n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat pour sa défense a précisé : « Grâce aux expériences acquises dans les autres pays, nous fournissons des efforts pour améliorer la situation de chez. Mais nous sommes souvent bloqués.»
A l’issue des débats contradictoires dans cette affaire, le président du tribunal a requalifié les faits poursuivis sous les qualifications de ‘’détention illégale d’armes de petit calibre et munitions, de chasse et abattages d’espèces animales protégées et de détournement de deniers publics’’ en délit de ‘’détention illicite d’armes de petit calibre, chasse et abattage d’espèces animales protégées, recèle des trophées d’espèces animales protégées, usurpation de fonction, faux commis dans un contrat administratif’’.
Après avoir prononcé les peines citées plus haut, Abdoulaye Conté, le président du tribunal a ordonné la confiscation des dépouilles des espèces, le pistolet et munitions saisis sur Carlos. Il a ordonné la restitution des 3 fusils de chasse à Carlos. Il a par la suite ordonné l’interdiction de séjour à Carlos dans la réserve de Sabouya pendant 5 ans. Il a enfin rejeté de la demande de son interdiction du territoire guinéen.
Sur l’action civile, le président du tribunal a condamné Carlos a payé à l’État guinéen la somme de 180 millions de francs guinéens au titre des dommages et intérêts pour l’exploitation illégale de la zone d’intérêt cynégétique de Sabouya de 2009 à 2016. Il a condamné Namory Kéita et Mamadou Dia à payer à l’État guinéen, représenté par son agent judiciaire la somme de 60 millions de francs guinéens au titre des dommages et intérêts pour les préjudices résultants des délits d’usurpation de fonction et de faux.
Quant à Carlos Corces Bustamanté, Mohamed Camara, Mamadou Dia et Namory Kéita, ils ont été solidairement condamnés à payer à l’État guinéen, représenté par son agent judiciaire la somme de 300 millions de francs guinéens pour toute autre cause de préjudice confondu.
Après le verdict, les défenseurs de la nature qui attendaient des peines plus lourdes ont exprimé leur surprise. Tamba Fatou Oularé, officier média au projet GALF (Guinée Application de la Loi Faunique), un projet partenaire au ministère de l’Environnement dans la lutte contre la criminalité faunique, se dit très surprise de cette décision : « l’affaire a été biaisée depuis au début. Car, la diligence dans laquelle l’affaire a été gérée, dénote un débarras total du tribunal. Ensuite, le procureur avait fait un faible réquisitoire et la conséquence est visible dans le verdict du juge. C’est un sentiment de frustration et de déception qui animent les défenseurs de la nature, surtout que la Guinée est toujours sous la sanction de la CITES (la convention internationale sur le commerce des espèces de faune et de la flore sauvage menacées d’extinction) depuis 2013. Or, les experts de cette convention sont en route pour la Guinée. Ils seront là d’ici fin janvier 2019 pour évaluer l’état d’avancement des efforts de la Guinée en termes de respect des recommandations de ladite convention. »