Depuis sa confirmation à la tête du Syli, Kaba Diawara s’est montré comme un entraîneur inflexible. Tenant mordicus à un 3-5-2 qui a tant bien que mal fonctionné en quatre matchs (les deux matchs amicaux contre le Rwanda et les deux premiers matchs de la CAN), malgré les critiques. Celles-ci se sont exacerbées à l’issue du match contre le Malawi, le 10 janvier dernier ; allant des supporters aux journalistes en passant par les consultants et autres anciennes gloires du Syli. En cause, la fébrilité manifestée par les trois défenseurs centraux lors de ce premier match de l’équipe à la CAN. « Quand on joue avec trois derrière, on doit le faire avec des défenseurs qui peuvent porter le ballon vers l’avant, qui font des décalages. Pour l’instant, on n’en a pas. Il ne faut pas prendre le risque de jouer le 3-5-2 contre le Sénégal », avait même prévenu Fodé Mansaré, l’un des « aides » du sélectionneur guinéen. « Kaba n’a pas ces défenseurs pour respecter et faire appliquer ce schéma. Dites-lui que c’est improductif et suicidaire face aux grandes équipes », réagissait Kaïser de Kily, un lecteur de Guinéenews, abondant ainsi dans le même sens que Fodé Mansaré.
Droit dans ses bottes
Jeudi 13 janvier. En conférence de presse d’avant match, Kaba Diawara essaye de brouiller les pistes en disant qu’il ne savait pas s’il reconduire son système de jeu ou pas. En ce moment, beaucoup pensent qu’il va céder à la pression populaire. Mais c’était sans compter sur son inflexibilité. Vendredi 14 janvier, Kaba Diawara remet ça en changeant juste quelques hommes. Les trois défenseurs qui ont joué contre le Malawi sont reconduits contre la redoutable (sur papier) Sénégal de Sadio Mané. Même le très critiqué Saidou Sow est resté dans le trio défensif. Au milieu, Aguibou (blessé) et Mamadou Kané qui avaient démarré contre le Malawi ont été remplacés par Ibrahima Cissé et Moriba Kourouma. A l’attaque, Morgan Guilavogui remplace José Martinez Kanté. La suite, on le connaît : une prestation de haut niveau qui aurait pu se solder par une victoire n’eut été l’inefficacité devant le but adverse. La défense, quant à elle, a su maîtriser Sadio Mané et surtout Bouna Sarr, l’un des meilleurs sénégalais de la rencontre. En somme, le 3-5-2 de Kaba Diawara a été convaincant hier, comme lors du deuxième match de préparation contre le Rwanda, le 6 janvier dernier. Avec cette prestation, Kaba Diawara a fermé des bouches, mais il surtout montré qu’il est sélectionneur de conviction. Il reste maintenant à savoir pourquoi tient-il tant à cette disposition tactique ?
Une disposition à priori défensive
On reprochait à Kaba Diawara d’exposer la défense de son équipe avec le 3-5-2. Or, la plupart des entraîneurs qui l’utilisent ou qui l’ont utilisé, l’ont fait pour régler des problèmes défensifs. «C’est un système que j’ai utilisé à Bordeaux quand j’y suis arrivé [Je l’ai utilisé] parce que ça ne marchait pas, parce qu’on prenait beaucoup de buts », disait Françis Gilot après son passage au club français. Comme Gilot, Kaba Diawara a pris une équipe qui prenait beaucoup et en marquait peu (le Syli a encaissé 11 buts en 6 matchs des éliminatoires de la Coupe du monde 2022, soit au moins un but par match). Sous Didier Six, il n’y avait pas que les problèmes offensifs.
Les équipes italiennes (clubs comme sélection nationale) ont la réputation d’être défensives. Et beaucoup des entraîneurs de ces équipes ont un penchant pour le 3-5-2. A l’ère du 4-3-3 dans les autres grands championnats européens (Angleterre, Espagne, France, Allemagne), des entraîneurs l’utilisent souvent pour faire face à des crises (surtout défensives).
En effet, avec cinq milieux de terrain dont trois dans un placement axial et deux autres excentrés, le milieu est densifié avec le 3-5-2, laissant ainsi peu d’espace à l’adversaire. Celui-ci doit donc cravacher pour franchir le milieu dense avant d’arriver aux trois défenseurs – qui bénéficient des replis défensifs des milieux latéraux. Si le plan fonctionne bien, le gardien devrait être moins sollicité.
Gagner la bataille du milieu pour mieux attaquer
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En plus d’assurer une bonne base défensive, le 3-5-2 est aussi une solution offensive. Comme indiqué un peu plus haut, avec Didier Six, le Syli en plus de prendre beaucoup, marquait peu. Depuis le 1er septembre 2021 et le match contre la Guinée-Bissau joué en Mauritanie, la Guinée n’a marqué 7 buts en dix rencontres. Et, le Syli n’a jamais marqué plus de deux buts. Il y a donc un problème offensif à résoudre. Quand l’Argentin Carlos Bilardo, l’inventeur du 3-5-2, mettait en place cette disposition tactique en 1986, sa philosophie était qu’il ne suffisait pas d’avoir des attaquants. Il fallait surtout des milieux pour les approvisionner en ballon. D’où la nécessité de gagner la bataille du milieu de terrain. Avec les cinq milieux, le 3-5-2 permet donc d’avoir beaucoup de joueurs disponibles pour le porteur de ballon.
Pourquoi ça ne marche pas toujours avec l’équipe de Kaba ?
« La disposition tactique à elle seule ne garantit pas la victoire d’une équipe. Il faut surtout des profils pour les mettre en pratique », analyse Mohamed Aly Kaba. Effectivement, en fonction des hommes que Kaba Diawara a utilisés, le 3-5-2 a tant bien que mal marché. Catastrophique contre le Rwanda (le 3 janvier), bon contre le même Rwanda (le 6 janvier), moins bon contre le Malawi (malgré la victoire), le dispositif a été excellent contre le Sénégal (en dépit du match nul). De fait, pour que le 3-5-2 fonctionne à merveille, il faut un énorme effort physique des milieux latéraux ; en ce sens, on ne peut rien reprocher à Issiaga Sylla que ce soit contre le Malawi ou contre le Sénégal. La cerise sur le gâteau : il est l’auteur de l’unique but du Syli dans cette CAN. En revanche, Mamadou Kané a semblé ne pas être bien à l’aise avec ce rôle de milieu latéral lors du match contre le Malawi. Son remplaçant Ibrahima Cissé, lui, l’a joué à merveille contre le Sénégal.
Le 3-5-2, c’est aussi trois défenseurs centraux infaillibles. A l’absence des vrais défenseurs latéraux, les trois défenseurs centraux doivent être les hommes à tout faire en cas de faiblesses des milieux latéraux et en général du milieu : en plus d’être bons dans les duels, ils doivent coulisser les ailes. Or, contre le Malawi, les trois défenseurs centraux ont commis d’énormes erreurs. Particulièrement Sow. Il a fallu des Malawites imprécis devant le but et aussi un impeccable Ali Keita pour ne pas encaisser de but. Lorsque le trio Conté-Camara-Sow s’est repris contre le Sénégal, les attaquants sénégalais ont vu en face une vraie défense.
Le plan tactique du 3-5-2 a également besoin d’un bon milieu défensif, capable de diversifier son jeu en prenant notamment la place d’un défenseur central lorsque celui-ci va coulisser. Amadou Diawara l’a généralement bien fait contre le Sénégal. N’eut été le fait qu’il avait pris un carton jaune, son remplacement par Mory Konaté à la 78ème minute par Mory Konaté n’avait aucun sens.
Quant aux deux attaquants, ils doivent être à mesure de proposer un maximum de solutions. Mohamed Bayo est jusqu’ici irréprochable dans ce domaine. Morgan et Martinez l’ont été moins.
Il faut aussi ajouter que si le 3-5-2 a marché contre le Sénégal, c’est parce qu’au milieu, Naby Keita – encore homme du match – a bien joué son rôle de meneur de jeu et que Moriba Kourouma a été l’un des meilleurs joueurs sur le terrain.
Dans tous les cas, Kaba Diawara s’est révélé comme un entraîneur inflexible, qui ne cède pas aux critiques, qui assume ses choix et tant mieux pour le Syli.