Le drame de l’éducation nationale guinéenne vient du fait que l’enseignement de l’histoire y est encore basé sur les récits produits en grande partie par des auteurs de souche colonialiste. Ces derniers ont la maladie de toujours privilégier leur lecture de l’histoire à la faveur des anciens oppresseurs. Une situation que le respect des mémoires, le refus de l’obscurantisme, et le besoin d’indépendance culturelle nous imposent de corriger par un sérieux travail de réécriture de l’histoire. Nous devons en effet rétablir dans l’histoire notre vérité, notre vision des faits à l’image des travaux de Cheikh Anta Diop, sans lesquels la thèse sur l’origine polycentrique de l’homme aurait sans doute été entretenue par l’occident.
Au-delà du rétablissement des vérités historiques, il est important que nos programmes d’histoire soient en grande partie centrés sur la Guinée ou tout au moins l’Afrique occidentale. Ils ne doivent pas uniquement restituer des récits, mais le faire du point de vue de notre contribution aux événements. Il est par exemple à déplorer que des chapitres entiers soient consacrés aux deux Guerres mondiales, sans que l’accent ne soit mis sur la participation des soldats guinéens. Il est inconcevable de constater qu’on n’évoque pas l’impact de cette participation sur l’issue des combats, ou sur le destin du pays et du continent, un temps dépeuplé de leurs bras valides et esprits vaillants. Il ne s’agit pas de renier l’importance d’enseigner les Guerres mondiales, mais il est inadmissible que l’intérêt d’une telle démarche ne porte que sur De Gaulle, Churchill ou Roosevelt, sans mentionner la bataille de Reims en 1918, le débarquement de Provence, le massacre de Thiaroye et le blanchiment des troupes en 1944. À tous ces combats, des guinéens ont certainement contribué eux aussi.
Enfin, il faut donner dans les cours d’histoire une place plus grande et plus inspirante aux réussites du pays, à ses héros, à ses héroïnes, à ses penseurs, à ses artistes, à son imaginaire, à ses cultures, à ses civilisations, à ses peuples, et aux récits dont elle peut être fière. Les jeunes dans nos écoles se voient trop souvent renvoyée l’image occidentale du continent. Celle d’une terre identique du nord au sud, sans relief d’aucune nature, arriérée et impénétrable au progrès. Cela est non seulement faux, mais aussi dévastateur. Car, comment demander à ces jeunes d’être l’avenir de leur pays lorsque tout ce qu’ils entendent et voient porte à croire qu’il n’en a pas un ? Donner une meilleure image de la Guinée aux guinéens est donc un enjeu capital. Il en va de la capacité de l’histoire à faire des récits passés des instruments d’ambition et de vision pour l’avenir. Et à quoi bon l’enseigner sinon ?
A côté des nombreux chapitres de notre histoire qui sont à réécrire, beaucoup restent aussi à écrire. Il est par exemple assez peu connu que les plus grands pratiquants de la traite négrière n’ont pas été les occidentaux mais bien les arabes, qui l’ont d’ailleurs pratiqué en premier pendant plus longtemps et dans des conditions encore pires que les Occidentaux. Le livre « L’appel De la Lune » de l’écrivain sénégalais Tidiane N’Diaye constitue une bonne référence en cette matière. Il est de la responsabilité des autorités en charge de la recherche et de l’enseignement de l’histoire de créer les conditions nécessaires à la construction d’une mémoire guinéenne et panafricaine.
Par le financement de la recherche, nous offrirons aux générations actuelles et futures une meilleure lecture de leur passé, une plus grande capacité à comprendre leur identité, à se l’approprier et à l’enrichir sans se renier de valeurs universelles. Par ailleurs, en matière de création de nouvelles connaissances, le nationalisme guinéen a également un rôle capital à jouer. Les nouvelles connaissances à créer devront mettre en lumière des faits encore méconnus : les innombrables apports et influences des cultures, connaissances, et civilisations noires africaines à l’histoire du monde et des sciences.