Le collectif #PasSansElles avec NanaGuinéenne, Synergie Féminine pour la Paix et le Développement, Feguiref et d’autres activistes pour le droit des femmes sont présentement à l’Assemblée Nationale pour demander la révision des articles 281 et 282 du nouveau Code Civil portant sur la polygamie. Avec le soutien du Forum des Femmes de l’Assemblée nous avons distribué une copie de la lettre ouverte adressé au Président de l’Assemblée Nationale de la République de Guinée aux députés, aux corps diplomatiques affectés en Guinée dont l’Ambassadrice de Grande Bretagne, les Ambassadeurs de France, des États Unis d’Amérique, Japon, Allemagne, aux différents consulats, aux représentants des différents partenaires techniques et financiers. Les membres du gouvernement dont la Ministre de l’action Sociale et de la Promotion Féminine et le Ministre de la Jeunesse ont reçu également une copie de ladite lettre. Enfin le Premier Ministre, M. Kassory Fofana a reçu la lettre et nous a rassuré de sa bonne prise en compte. Lisez !
DE LA REPUBLIQUE DE GUINEE
Conakry le 31 Décembre 2018,
Honorable Claude Kory Koundiano
Président de l’Assemblée Nationale
République de Guinée
Objet : Demande de révision des articles 281 et 282 du nouveau code civil
Monsieur le Président,
L’Assemblée Nationale dans sa session des lois du 29 Décembre 2018 a adopté les articles 281 et 282 du nouveau code civil quiprévoient ce qui suit :
《 Le mariage peut être conclu:
– Soit sous le régime de la monogamie ;
– Soit sous le régime de la polygamie limitée à quatre (4) femmes.
Faute pour l’homme de souscrire à l’une des options prévues au présent article, le mariage est présumé être placé sous le régime de la polygamie.
La déclaration d’option est faite auprès de l’officier de l’état civil et, en cas de mariage à l’étranger, auprès de l’agent diplomatique ou du consul territorialement compétent.
Lorsque l’option est reçue à l’occasion d’un mariage, son effet est subordonné à la célébration de l’union protégée.
Lorsque l’option est reçue en dehors du mariage, l’officier de l’état civil ou son délégué fait préciser au déclarant quels sont, au moment de sa comparution, ses précédents liens matrimoniaux et, le cas échéant, présente les actes de mariage correspondants.
L’option souscrite est reçue par l’officier de l’état civil avant, pendant ou postérieurement à la célébration du mariage》. (Article 281)
《 l’option de monogamie est irrévocable pour la durée du mariage.
Toutefois, pour des raisons graves ayant le caractère de force majeure, dûment établi par les autorités médicales, le président du tribunal compétent peut, sur requête autoriser le changement d’option》. (Article 282)
Considérant l’article premier de la Constitution Guinéenne qui assure « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, d’ethnie, de sexe, de religion et d’opinion »,
Considérant l’article 8 de la même constitution qui établit que : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les hommes et les femmes ont les mêmes droits. Nul ne doit être privilégié ou désavantagé en raison de son sexe, de sa naissance, de sa race, de son ethnie, de sa langue, de ses croyances et de ses opinions politiques, philosophiques ou religieuses »,
Vu les dispositions des articles 3 (alinéa 1) et l’article 18 (Alinéa 3) de la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples ratifiée par la République de Guinée qui stipulent respectivement que « toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi » et « L’ Etat a le devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales »,
Vu l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes à travers lequel tous les états-parties, dont la Guinée, « condamnent la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes, conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes et, à cette fin, s’engagent à :
a) Inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l’égalité des hommes et des femmes, si ce n’est déjà fait, et à assurer par voie de législation ou par d’autres moyens appropriés, l’application effective dudit principe ;
b) Adopter des mesures législatives et d’autres mesures appropriées assorties, y compris des sanctions en cas de besoin, interdisant toute discrimination à l’égard des femmes ;
c) Instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire ; … »
Les articles 281 et 282 du nouveau code civil, dont l’élaboration a été influencée par les religions Chrétiennes et Musulmanes, comme en fait foi l’exposé de motifs présenté aux députés de la République à la session de loi du 29 Décembre 2018, (i) sont incompatibles avec la Constitution Guinéenne (de même que les valeurs de la République guinéenne laïque qu’elle prône) et contraires aux dispositions des instruments de protection des droits des femmes ratifiées par la Guinée ; et (ii) renforcent les inégalités entre les hommes et les femmes déjà victimes de plusieurs formes discriminations.
En effet, hommes et les femmes étant égaux devant la loi selon la constitution, une loi qui instaure une inégalité en droits entre citoyens guinéens est, par conséquent, anticonstitutionnelle.
De plus, l’article 281 du nouveau code stipulant que le régime matrimonial par défaut serait la polygamie, laissant à l’homme, seul, le droit de souscrire à l’option du mariage, sans demander l’avis de la femme, fait d’elle une partie inférieure au contrat de mariage, est irrationnel considérant que la femme est la partie au contrat de mariage la plus souvent affectée par cette décision.
Par ailleurs, pour continuer à se faire respecter dans l’arène internationale, notre pays doit se conformer à ses engagements internationaux envers ses pairs. L’entrée en vigueur de cette loi va entrainer le retrait de notre pays en tant qu’Etat-partie aux conventions des droits de l’homme susmentionnées et déjà ratifiées par notre pays qui, se distinguera par le mauvais exemple.
La polygamie interdite en 1983, mais toujours pratiquée, demeure une atteinte à l’émancipation des femmes. Les articles 281 et 282 en plus de légaliser la polygamie, l’érigent en régime matrimonial par défaut, avec la monogamie comme option soumise au choix de l’homme. Ce qui dans un pays laïc à faible niveau d’éducation fera de la polygamie le régime majoritaire, posant ainsi les germes d’un manque d’épanouissement du genre féminin et des enfants issus de ces ménages, d’une précarité économique des familles, d’une inégalité de traitement au sein de la cellule familiale qui devient une institution sous forme de discrimination, de limitation de la liberté d’expression et souvent d’oppression de certains de ses membres (femmes et enfants, dans la grande majorité des cas). Il est évident que ces inégalités domestiques entraveront la participation des femmes au même titre que les hommes, à la vie sociale et économique de notre pays. L’amélioration de la condition féminine tant prônée ne pourra se concrétiser tant que les causes sous-jacentes de la discrimination et de l’inégalité de traitement ne seront pas éliminées, y compris la promotion de la monogamie.
Un des arguments avancés par certaines personnes pour encourager la polygamie est qu’elle permettrait à toutes les femmes de se trouver un homme, avec l’illusion qu’il y a plus de femmes que d’hommes. Pourtant, selon les données du Groupe de la Banque mondiale, la Guinée compte plus d’hommes (50,13%) que de femmes depuis 2010, ce qui met à nue l’argument selon lequel il faut encourager la polygamie en vue de permettre au nombre supplémentaire de femmes de trouver des conjoints.
Monsieur le Président,
Les dispositions articles 281 et 282 du nouveau code civil représentent ainsi, en plus de leur nature anticonstitutionnelle, un recul conséquent et inacceptable des droits des femmes en République de Guinée.
Par ses motifs, nous demandons à la commission des lois de l’assemblée nationale de réviser les articles précités, non-conformes à la Constitution Guinéenne. Si toutefois, l’Assemblée nationale n’est pas en mesure de tenir une session extraordinaire à cet effet, nous demandons la prise en compte de ces motifs pour saisir la Cour Institutionnelle dans les conditions prévues par la loi, afin d’assurer la primauté effective de la constitution et éviter le risque de promulgation d’une loi non-conforme à la Constitution de la République de Guinée.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de notre très Haute Considération.
Le Collectif Pas sans Elles, Le Club Des Jeunes Filles Leader, NanaGuinéenne, Agir pour le Futur ensemble, Synergies féminines pour la paix et le développement, Feguiref, Réseau RECEFED et Green Fingers.