Par Youssouf Sylla, analyste-juriste, à Conakry
Paul Kagamé est membre d’une famille de l’ethnie tutsi qui avait trouvé refuge en Ouganda pour fuir les persécutions des hutus au Rwanda. Il n’avait que quatre ans à l’époque. Son pays d’accueil lui ouvrira ses portes. Après ses études secondaires, il rejoindra la guérilla de Yoweri Museveni qui réussira à s’emparer du pouvoir en 1986, en Ouganda. A titre de récompense, Museveni fera entre autres de lui le responsable des services secrets de l’armée. En 1987, Kagamé s’implique dans la vie de la diaspora rwandaise en Ouganda, prenant une part active dans la mise en place d’une organisation politico-militaire, le FPR (Front patriotique rwandais) dont le but est de chasser du pouvoir, le président hutu, Juvénal Habyarimana, un inconditionnel de la France dans la région.
La tension entre Kagamé et la France remonte donc à l’époque de la lutte que le FPR menait pour renverser Juvénal Habyarimana. Cette tension s’est aggravée après les attaques militaires (les premières) du FPR contre le régime de Kigali en octobre 1990, avant d’atteindre son sommet en 1994, au cours du génocide des tutsis par le pouvoir hutu.
Depuis son installation à la tête de son pays en 2000, les relations entre le Rwanda de Paul Kagamé et la France sont on ne peut plus exécrables. Autant, il accuse la France de complicité dans le génocide des tutsis, ethnie dont il fait partie, autant la France l’accuse d’être responsable du fait déclencheur du génocide de 1994. En effet, le juge Jean Louis Bruguière en mars 2004 accuse Kagamé d’être responsable de l’attentat qui a ôté la vie au président hutu, Juvénal Habyiarimana. Prenant mal sa mise en cause personnelle, Paul Kagamé rompra le 24 novembre 2006, les relations diplomatiques entre son pays et la France. C’est en décembre 2007, lors du sommet Europe-Afrique que Nicolas Sarkozy tentera de renouer le dialogue avec Kigali en évoquant des erreurs et des faiblesses dans le cadre du génocide rwandais. Il a fallu attendre 2009 pour que les relations diplomatiques reprennent entre Kigali et Paris. Ce réchauffement se traduira par une visite de Sarkozy à Kigali en 2010, la première d’un chef d’État français depuis le génocide. Kagamé rendre la pièce de monnaie en 2011, en effectuant à son tour une visite d’Etat à Paris.
La dynamique timidement initiée par Sarkozy est renversée par Kagamé sous François Hollande. A l’occasion de la commémoration du 20e anniversaire du génocide des tutsis, Kagamé s’en prend directement à la France, l’accusant de complicité dans le génocide. Selon l’homme fort de Kigali « Les puissances occidentales aimeraient que le Rwanda soit un pays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui présenterait l’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais c’est impossible. Prenez le cas de la France. Vingt ans après, le seul reproche admissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide».
Pour la France, l’attaque était si forte qu’elle a dû annuler sa présence à la commémoration du 20e anniversaire du génocide qui devait se tenir au Rwanda.
Avec Emmanuel Macron, les relations entre les deux pays sont entrain de connaître une certaine relance. Macron hérite certes d’un lourd héritage laissé par ses prédécesseurs, mais il a préféré prendre le taureau par les cornes, en réalisant sa promesse de mise en place d’un comité d’historiens français auquel sera ouvert toutes les archives françaises concernant le Rwanda pour faire la lumière sur la période tumultueuse de 1990 à 1994. Ce Comité qui a rendu son rapport le 26 mars 2021 a conclu aux « responsabilités accablantes » de la France dans le génocide des tutsis tout en excluant sa complicité. Kigali considère pour sa part qu’il s’agit d’un pas en avant. Selon Kagamé, «Le rapport montre que le président Mitterrand et ses proches conseillers savaient qu’un
génocide contre les Tutsi était en planification par leurs alliés rwandais. Malgré cela, il a continué à les soutenir car il a jugé nécessaire de défendre les intérêts géopolitiques de la France». En réalité, ce que l’homme fort de Kigali semble exiger de la France, ce sont des «excuses». Or, certains responsables politiques français au moment des faits excluent, en ce qui concerne la France, toute idée de repentance dans le génocide rwandais. Il s’agit notamment d’Edouard Balladur (premier ministre de cohabitation de Mitterrand), d’Alain Juppé (ministre des Affaires étrangères), de Dominique de Villepin (directeur de cabinet de Juppé), et d’Hubert Védrine (secrétaire général de l’Elysée). Macron, en s’abstenant de presenter des excuses au nom de l’État français au cours de sa visite à Kigali le 27 mai dernier se met sur la même position que les proches collaborateurs de Mitterand au moment des faits. Kagamé, véritable contestataire du leaderschip français en Afrique semble s’en accommoder. Il juge que que les mots prononcés par son hôte « ont plus de valeur que les excuses ». Ce qui est évident, entre ces deux chefs d’Etat, il y a une véritable volonté d’avancer sur le terrain de la réconciliation et de la coopération économique, malgré l’épineux dossier judiciaire des présumés génocidaires rwandais qui vivent en toute tranquillité en France.
Repentance ou pas, le génocide rwandais pèse encore de tout son poids sur la conscience française, pays des droits de l’homme, de la démocratie. Cet épisode devrait amener les responsables français de la politique africaine à revoir les conditions et les modalités de leurs interventions dans les affaires intérieures des anciennes colonies. Le monde a changé, l’Afrique avec, et les sensibilités des citoyens sur les questions de démocratie et des droits de l’homme sont devenues plus que jamais fortes. Le temps de composer exclusivement avec les dirigeants africains dans le dos des populations locales est révolu. Les mots « rupture », « partenaires égaux » et « fin du paternalisme » constamment prononcés par les chefs d’État français qui se succèdent, ne suffisent plus. Il faut désormais des actes forts pour donner du sens aux mots.