Malgré l’hécatombe méditerranéenne, saharienne où encore les conditions désastreuses et déshumanisantes de cette descente aux enfers, visiblement, les jeunes sont, aujourd’hui encore, plus que jamais déterminés à atteindre ce qu’il pense être le « paradis » sur terre, l’Eldorado, c’est à dire l’Europe au péril même de leur vie.
Depuis début janvier 2021, on ne dénombre pas moins de quatre vagues, une trentaine de jeunes, y compris des filles qui se sont lancés sur les routes vers le Mali, le Niger, la Libye ou encore le Maroc de façon irrégulière et clandestine avant de tenter la traversée de la Méditerranée pour atteindre l’Europe.
Des motifs de départ massif des jeunes, variés
Si d’aucuns pensent que ces départs massifs des jeunes pour d’autres contrées sont dûs en majeure partie par la précarité et le manque d’espoir, d’autres aussi estiment que les jeunes sont laissés pour compte et que bon nombre d’entre eux qui entreprennent des initiatives n’aboutissent pas.
« Je n’ai plus aucune raison de rester ici. Rien ne marche. Absolument rien. Je devais partir avec certains de mes amis qui sont actuellement en Libye début janvier. Malheureusement j’ai eu un petit contretemps. (…). Je suis en train d’effectuer quelques réglages avant de partir quelque soit l’issue…. mais je vais partir », confie hors micro un jeune interpellé sur la situation, visiblement très nerveux et désemparé.
Sur la même lancée, un autre jeune renchérit : » eh toi aussi mon grand ! » s’exclame-t-il d’abord avant de poursuivre : » lorsque tu tombes dans l’eau par exemple et qu’un caïman t’attrape. Et que tu n’as rien à attraper. Tu fais quoi? » interroge t-il. Et de poursuivre : » tu l’attrape aussi non? Alors ce que nous vivons ici est vraiment pire que cette situation. L’enfer pour moi c’est ici. J’ai une famille et des ambitions à nourrir. Et ici c’est quasiment impossible de réaliser ces rêves. Rien ne marche. Tout ce qu’on entreprend est voué à l’échec pour ceux qui ont le moyen d’entreprendre. Si non, quand t’a pas de moyens, c’est autres choses. Ici, l’espoir est complètement brisé. C’est ce qui poussent les jeunes à partir », regrette t-il. Puis il enchaîne : » mon frère m’avait offert un terrain à Labé. Et comme je ne peux pas pour le moment y construire, je suis en train de le vendre pour tenter l’aventure. Actuellement beaucoup de ces jeunes qui sont partis depuis le début de l’année sont soit rentrés en Europe, soit sont en phase d’y rentrer ».
Et les naufragés de la Méditerranée, ça te fait pas peur? » La peur? La peur qui me hante aujourd’hui est d’échouer ma vie ici dans cette galère et sans aucun espoir. C’est ce qui me fait peur moi. Pas la Méditerranée encore moins le Sahara. C’est une question de destin » ,a t-il coupé court notre conversation.
Si certains candidats au départ laissent les parents dans la désolation, d’autres encore ont la bénédiction et la complicité de ces derniers.
» Mon jeune frère est parti il y a juste une semaine. Il m’avait dit qu’il se rendait à Ziguinchor. Mais aux dernières nouvelles, il serait à Agades. Il a appelé pour solliciter de l’argent pour continuer. (…). Et lorsque j’ai reçu le coup de fil, je suis resté malade toute la journée. Finalement je n’avais de solution que de passer par tous les moyens pour l’assister. C’est ce que j’ai fait mais la mort dans l’âme » explique le grand frère et tuteur d’un jeune migrant.
Un autre parent quant à lui soutient avoir aidé son neveu dans son projet pour atteindre les côtes européennes.
Si parfois ce sont les situations sociopolitiques et et surtout économiques qui poussent les uns à prendre la clé de champs, d’autres encore sont motivés par certaines des réalisations effectuées par leurs amis établis de l’autre côté de l’Atlantique.
» Sincèrement, si on se fie aux œuvres que certains jeunes récemment partis par cette voie réalisent ici, ça donne vraiment envie de partir hein. C’est ce qui donnent aux jeunes qui sont ici la motivation voir même l’énergie de lever l’ancre d’une part », persuade un observateur sous l’anonymat.
Poursuivant, il ajoute : » d’autres parts, ce sont les réseaux sociaux qui sont des influenceurs non négligeables. Il suffit de voir certains postes et lire les commentaires pour s’en rendre compte », conclut ce cadre, basé au niveau de la commune urbaine de Lélouma.
Sur cet aspect, Moustapha Baldé, maire de la commune urbaine de Lélouma, conscient de cet état de fait tente de préciser : » c’est une situation déplorable à laquelle, malheureusement, on assiste. Lélouma, à l’image de nombreuses autres préfectures, se vident de ces bras valides. Et généralement ce sont des jeunes désœuvrés qui trouvent que l’horizon est sombre ici et qui pensent que leur avenir est vraiment compromis, qui cherchent par tous les moyens à partir aux risques et périls même de leur vie. Depuis le début de cette année, il n’ y a pas moins d’une trentaine de jeunes qui sont partis de Lélouma pour tenter d’atteindre l’Europe. Il y a eu d’abord quatre vagues qui sont déjà parties. Et pas plus tard qu’aujourd’hui (jeudi, ndlr), il y a des jeunes qui sont partis. Des jeunes de la tranche d’âge 18 à 25 ans. C’est très regrettable » ,révèle dès l’entame le maire.
Poursuivant, Moustapha Baldé pense qu’il serait beaucoup plus préférable que ces jeunes y trouvent leur avenir.
» On aimerait beaucoup que ces jeunes aient une chance de rester ici. Qu’ils puissent trouver quelque chose à faire ici. Pour réellement y faire leur vie. Car le bonheur, c’est un souci qui anime tout un chacun. Et si on leur donnait cette chance ici, sûrement, ils ne seraient pas partis. Tous les bras valides vont partir et une fois encore bonjour aux conséquences », s’est alarmé le maire qui va encore plus loin en ajoutant que » si on aurait voulu lutter contre ce phénomène, on l’aurait déjà fait sur les lieux de départ même de ces candidats en leur proposant ce qu’ils vont aller chercher ailleurs. Mais on ne fait que du tape à l’œil. Car aujourd’hui, ces bras valides qui nous quittent et qui parviennent à rentrer en Europe vont participer à développer le lieu de l’accueil et pendant ce temps, nous, nous allons continuer à stagner » ,s’insurge-t-il.
La ressource humaine, les bras valides sont plus que jamais nécessaires pour le développement d’une nation. Et si cette ressource humaine, ces bras valides sont en train de fuir comme c’est le cas actuellement, on va continuer à n’être que des consommateurs et nous continuerons à stagner. Et pour le moment, c’est ce que nous vivons, dira-il enfin.
En tout cas, aujourd’hui, avec cette galère des jeunes liée au manque d’emploi, à la cherté de la vie ou encore à l’absence totale d’espoir ici au bercail, parler de l’ autonomisation de ces derniers et de lutte contre la migration irrégulière, sans la mise en place d’un programme solide d’insertion avec des opportunités, n’est que utopies et illusions. Ce serait juste une façon de crier dans le désert. A l’allure où vont les choses, l’hécatombe a encore de beaux jours devant elle en Méditerranée.