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Me Amadou BARRY : « les sanctions OFAC ne sont pas des décisions de justice…» (interview)

Qu’est-ce que vous n’avez pas compris de la sanction du Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) contre l’ancien Président Alpha Condé ? Dans cette interview exclusive, Me Amadou BARRY, éminent avocat d’affaires inscrit au barreau de Guinée et du Québec – il travaille au cabinet d’affaires Thiam et Associés – explique la sanction, son but et comment Alpha Condé pourrait sortir de la liste de l’OFAC.

Guineenews : Dans un communiqué, le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du département du Trésor des États-Unis  a annoncé des sanctions contre l’ex-Président Alpha Condé. Mais, cette fois-ci  pour violation des droits humains et corruption. Pourquoi la question des droits humains entraînerait des sanctions de la part de l’OFAC  qui serait plutôt un organisme économique et commercial  ?

Me Amadou Barry : Bien que l’OFAC soit une structure qui relève du Secrétariat au Trésor (Department of the Treasury), il est important de garder à l’esprit que l’une des missions de ce bureau consiste à administrer et faire exécuter les sanctions économiques et commerciales adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de la sécurité nationale des États-Unis d’Amérique. D’ailleurs, la traduction française d’OFAC est le « Bureau de contrôle des avoirs étrangers ». Il va donc de soi que les questions de politique étrangère rentrent dans le champ de compétence de ce bureau.

La question des droits humains à l’étranger a, selon les priorités et obédiences politiques au pouvoir à Washington, souvent été d’une importance cruciale pour l’administration américaine. Dans le cadre de cette politique de défense des droits humains, les sanctions économiques administrées par l’OFAC sont un outil dont dispose l’administration américaine.

La sanction dont fait l’objet l’ancien Président Alpha Condé trouve sa base juridique dans l’Executive Order (EO) 13818 (soit un acte administratif du Président des États-Unis d’Amérique sur des questions de compétence fédérale et ayant une portée législative) adopté en 2017 par le Président Donald Trump. Cet EO 13818 intitulé « Gel des biens des personnes impliquées dans de graves abus de droits humains ou de la corruption » ordonne notamment le gel de tous les biens se trouvant aux États-Unis d’Amérique et appartenant à un citoyen étranger ayant commis de graves abus de droits humains. Tout citoyen ou entreprise américaine qui aurait la possession ou le contrôle de ces actifs d’un étranger sous sanctions est également tenu de geler ces actifs. Le EO 13818 investit notamment le Secrétaire au Trésor qui chapeaute l’OFAC d’assurer l’exécution de ces dispositions.

Fait intéressant à noter, cette sanction est prise par l’administration américaine à l’encontre de l’ancien Président guinéen le jour marquant la journée internationale de lutte contre la corruption et à la veille de la journée internationale des droits de l’homme, le 10 décembre.

Quelles sont les sanctions prises et quel est le but de ces sanctions ?

Avant d’en arriver aux sanctions, il faudrait peut-être rappeler les raisons de ces sanctions. Il est reproché à Monsieur Alpha Condé d’avoir eu recours à des actes de violences à l’encontre de manifestants opposés au référendum constitutionnel de mars 2020 ayant permis à Monsieur Alpha Condé de concourir pour un troisième mandat présidentiel. Le gouvernement américain lui reproche notamment d’avoir instruit des ministres de mettre en place des unités de police pour réprimer, avec violence si nécessaire, les manifestants. Le gouvernement américain note notamment l’usage excessif de la force contre les manifestants et des tirs à balles réelles entrainant la mort d’un mineur. Le gouvernement américain rapporte également qu’il y aurait eu une douzaine de morts tués par les forces de sécurité.

Pour l’ensemble de ces faits, Monsieur Alpha Condé est désigné par le gouvernement américain comme personne apparaissant sur la liste OFAC (Designated person). Cela a pour conséquence un gel de tous les biens ou intérêts qu’il aurait aux États-Unis ou les biens et intérêts qui seraient sous la possession ou le contrôle de citoyens américains. En d’autres termes, tout actif (immobilier, financier, etc.) que l’ancien Président aurait aux États-Unis est immédiatement gelé par le gouvernement américain. De même, tout actif de l’ancien Président qui transiterait par les États-Unis ou serait détenu ou sous le contrôle de citoyens américains (ou sociétés américaines) est automatiquement gelé par l’administration américaine. On pourrait penser ici à des actifs financiers au nom de Monsieur Alpha Condé gérés ou transitant par une banque américaine.

Pour ce qui est du but de ces sanctions, il est important de se référer au contenu même du communiqué de presse du Secrétariat au Trésor qui a publié cette sanction. Parlant du but de la sanction, le communiqué reprend un des objectifs premiers de l’OFAC, à savoir : aboutir à des changements positifs dans le comportement des personnes sanctionnées. Il y est clairement dit que le but n’est pas de punir. Cela va de soi que pour un ancien Président de plus de 85 ans, qui n’est plus en fonction et hors de son pays, espérer un quelconque changement de comportement est une pure utopie.

Il est connu que le fait d’être sur la liste de l’OFAC n’est pas immuable. Dites-nous alors dans quelle mesure Alpha Condé pourrait-il y sortir ?

 En effet, il est théoriquement possible d’être retiré d’une liste OFAC. Il existe des précédents, certains étant d’ailleurs célèbres. Ainsi, Fatou Bensouda, ancienne procureure de la Cour Pénale Internationale (CPI) a été retirée de la liste OFAC à l’arrivée du Président Biden, après y avoir été inscrite par l’administration Trump pour des enquêtes sur la guerre d’Afghanistan. D’autres personnes moins célèbres ont également été retirées de cette liste au même moment que Madame Bensouda.

Pour obtenir ce retrait, une sorte de recours gracieux interne, appelé Requête pour retrait (Request for Removal ou Petition for Review) peut être adressé à l’OFAC par l’ancien Président Alpha Condé. Il s’agit d’une demande par laquelle la personne sanctionnée demande à l’OFAC de réexaminer sa position sur la base de faits ou éléments nouveaux non pris en compte par l’OFAC. La personne sanctionnée cherchera à démontrer que la base de sa sanction est contestable à l’appui d’éléments de preuve nouveaux.

En pratique et sur la base des précédents, ces requêtes comportent de nombreux défis, exigent de la patience et ont une issue incertaine. Il est très fréquent que ces recours soient rejetés par l’OFAC. La personne sanctionnée demeure cependant libre de saisir les tribunaux fédéraux américains aux fins de poursuites contre l’administration. Encore faut-il rappeler que les sanctions OFAC ne sont pas des décisions de justice mais des mesures administratives.

Cette sanction rappelle forcément le cas de nos compatriotes d’origine libanaise qui avaient été sanctionnés en mars dernier, bien-sûr sur un autre fondement, par le même organisme américain. Si on devait comparer ces deux cas en termes de gravité, dites-nous lequel serait le plus grave ?

 Il est complexe de parler de comparaison, dans la mesure où les sanctions dans ces deux affaires ont une étendue quasi identique en ce sens qu’elles entrainent toutes les deux un gel des actifs sur le territoire américain. Ces deux sanctions sont administrées par la même institution, l’OFAC et les effets sur les personnes visées seront quasiment les mêmes.

En réalité, il faudrait plutôt prendre en compte le contexte et la situation de chacune des personnes sanctionnées pour mesurer la gravité des situations. L’ancien Président est aujourd’hui à un âge très avancé avec une santé chancelante et face à des démêlés judiciaires. La gestion des sanctions OFAC imposées par l’administration américaine pourrait ne pas être sa priorité s’il n’envisage aucun lien immédiat avec les États-Unis. Cette sanction pourrait cependant lui poser des difficultés si certains États où l’ancien Président a ses habitudes, notamment la Turquie ou Dubaï, venaient à prendre en compte les sanctions OFAC à l’égard de personnes sanctionnées possédant des actifs sur leur territoire.

Pour ce qui est de nos compatriotes d’origine libanaise qui sont encore en activité, ils pourraient avoir à gérer des conséquences immédiates de ces sanctions sur le cours de leurs activités. La ramification de leurs activités aux États-Unis sera de facto à l’arrêt en raison du gel des actifs. Aussi, en raison du large effet extraterritorial de la loi américaine, les activités des deux hommes d’affaires d’origine libanaise dans des pays qui accordent un égard aux sanctions OFAC seront également impactées.

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