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Les forces armées françaises sommées de quitter le Burkina Faso

Youssouf Sylla, analyste.

La décision est confirmée ce lundi 23 janvier par le gouvernement burkinabè, qui donne à la France un mois pour s’exécuter. Ibrahim Traoré emboîte ainsi le pas à son voisin du nord, le malien Assimi Goita qui avait fait la même demande à la France l’année dernière. Au Burkina Faso des prémices à cette décision existaient déjà. On peut, entre autres, citer le prétendu soutien de la France au président déchu, le Colonel Paul-Henri Damien, d’où l’incendie du centre culturel français à Ouagadougou, et la déclaration de l’ambassadeur Luc Hallade selon laquelle le Burkina est tout simplement plongé dans une guerre civile. S’ajoute sur la liste des reproches, côté burkinabè, l’incapacité des forces françaises d’écraser les djihadistes malgré la présence d’un impressionnant continent armé français. C’est cette faiblesse qui explique en grande partie le récent rapprochement russo-burkinabé sur le plan de la défense.

Mais au-delà des réactions immédiates que pourraient susciter le départ du contingent français de Burkina Faso, il existe d’importantes questions de fond, liées aux relations franco-africaines en matière de défense qui méritent d’être abordées pour une meilleure redéfinition du cadre de coopération. Rappelons qu’à la base, les relations franco-africaines en matière de défense émanaient  des idées du Général de Gaulle. Avec l’amorce des mouvements de décolonisation dans les anciennes  colonies françaises dans le continent noir après la seconde guerre mondiale, de Gaulle procèdera à  l’adaptation du dispositif militaire de son pays à travers la constitution du 28 septembre 1958. Ce texte a instauré un système quasi fédéral entre la France et ses anciennes colonies, connu officiellement sous le nom de « communauté franco africaine ». Rejetée seulement par la Guinée, cette constitution rendait la France exclusivement responsable au sein la communauté, des questions de défense, des affaires étrangères, de monnaie et de ressources naturelles. Ce système aura la vie courte à cause principalement de l’hostilité de l’ex URSS et des Etats-Unis d’Amérique au maintien du système colonial et de l’enlisement de la France en Algérie.

Dans les années 60, de nombreux territoires africains membres de la communauté ont rejoint la Guinée, dans le camp d’États indépendants. Ainsi, de Gaulle procède à une nouvelle  adaptation du dispositif militaire français à travers la loi constitutionnelle du 4 juin 1960. Cette loi permet de conclure des accords de coopération tous azimuts avec les nouveaux Etats indépendants. En matière de défense, ces accords ne faisaient que traduire la volonté du Général de faire de la France, le grand acteur de la défense de l’Afrique francophone, sa chasse gardée. Comme ce fût le cas de l’Avenant du 26 août 1992 à l’Accord particulier d’assistance militaire du 18 juillet 1975 entre le Rwanda et la France, ces accords contenaient des clauses relatives au rétablissement de l’ordre intérieur par les forces armées françaises. Mais aussi la possibilité pour l’armée française de participer aux opérations militaires menées par un Etat africain. Ce partage de compétences entre les forces françaises et africaines en matière de sécurité intérieure et de défense,  avait ouvert la porte à tous les abus comme la mise en place de certaines opérations de sauvetage des chefs d’Etat en difficulté, et l’assistance d’une armée d’Etat face à une opposition armée.

Virage sécuritaire

Tirant les leçons des types d’accords de défense issus de la loi constitutionnelle françaises du 4 juin 1960 et des abus auxquels ils ont donné lieu, une certaine évolution s’est amorcée vers des accords de défense qui mettaient cette fois-ci l’accent sur la formation, le renforcement des capacités, et les échanges d’informations. Ces nouveaux accords interdisent l’intervention des forces armées françaises dans le rétablissement de l’ordre public interne et dans les opérations militaires menées par un Etat. C’est dans ce cadre qu’on peut situer l’Accord de coopération en matière de défense entre la Guinée et la France signé le 13 janvier 2014. L’article 5 dudit Accord précise de manière très claire que les forces armées françaises « ne peuvent en aucun cas être associées à la préparation ou à l’exécution d’opérations de guerre ni à des actions de maintien ou de rétablissement de l’ordre, de la sécurité publique ou de la souveraineté nationale, ni intervenir dans ces opérations ».
Le nouveau contexte politique et sécuritaire du continent noir est aujourd’hui  complètement différent de ce qu’il était il y a quelques années. Ce contexte très évolutif et complexe commande une réforme en profondeur des relations franco-africaines en matière de défense. L’idée ici n’est pas de rompre avec la France dans ce domaine, mais d’adapter les instruments juridico-institutionnels aux nouvelles réalités y compris la pluralité d’acteurs internationaux en présence ( la Russie, la Chine, les USA, le Royaume Uni, etc.).  Plus précisément, il s’agit d’assurer la montée en puissance de la Force africaine en attente, afin de donner à celle-ci la capacité de relever les défis sécuritaires du continent. La sécurité du continent doit revenir tôt ou tard aux africains eux-mêmes.

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