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Le gros coup de sang de l’auteur de «Au Cimetière de la Pellicule» contre les difficultés du cinéma guinéen (entretien)

« C’est très douloureux de réaliser un film soutenu par des pays tels que la France, l’Arabie saoudite et des institutions internationales, mais de constater que ce film, qui est un film sur la mémoire de la Guinée, ne trouve pas d’écho en Guinée. À un certain moment, on se pose la question de savoir pourquoi ils sont là. Pourquoi sont-ils au pouvoir ? »

C’est un secret de polichinelle, la culture guinéenne peine à sortir la tête de l’eau. Entre désintérêt et manque d’accompagnement de la part des autorités, les acteurs culturels continuent à tirer le diable par la queue. C’est dans cette malheureuse situation que des jeunes comme Thierno Souleymane Diallo, communément appelé Gando, tentent de hisser haut le cinéma guinéen. Auteur et réalisateur de films documentaires, Thierno Souleymane Diallo vient de sortir son dernier film intitulé « Au Cimetière de la Pellicule ». À travers ce film, il développe le concept du « Cinéma sans chaussures », où on le voit en public, chaussures à la main. Ce concept a rapidement été repris dans le monde entier à travers des images qui ont inondé la toile. C’est dans cette ambiance que le réalisateur de ce documentaire a accordé un entretien exclusif à Guinéenews.

Guinéenews : pourquoi « Au Cimetière de la Pellicule » et pouvez-vous nous donner un avant-goût de ce film ?

Thierno Souleymane : au Cimetière de la Pellicule » relate en quelque sorte l’histoire du cinéma guinéen. Le premier film en Afrique noire francophone (Mouramani) a été réalisé en 1953 à Paris par un Guinéen, ce qui a automatiquement fait de la Guinée un pionnier du cinéma en Afrique. Mais au-delà de cela, entre 1960 et 1984, la Guinée a produit de nombreux films, qu’il s’agisse de films d’actualité, de fiction ou de documentaires. Il y avait donc une véritable industrie cinématographique. Malheureusement, à partir de 1984, les salles de cinéma ont commencé à fermer, les bobines ont commencé à se détériorer et, à un certain moment, toutes ces bobines ont été sorties, un grand trou a été creusé, les bobines y ont été jetées, de l’essence a été versée et de la terre a recouvert le tout. La Guinée a donc littéralement enterré ses bobines à un certain moment. C’est pourquoi le titre du film est « Au Cimetière de la Pellicule.

Guinéenews : concrètement, de quoi parlez-vous dans ce film ?

Thierno Souleymane : Je pars à la recherche du premier film d’Afrique noire francophone, qui est Mouramani, tout en revisitant l’histoire du cinéma guinéen : ce qu’il a été, ce qu’il est devenu aujourd’hui et quels sont les problèmes réels auxquels l’industrie du cinéma est confrontée.

Guinéenews : quels sont ces problèmes et quelles solutions proposez-vous pour relancer le cinéma guinéen ? Pensez-vous que ce film-documentaire pourrait réveiller le secteur ?

Thierno Souleymane : je ne peux pas prétendre que le film puisse relancer le secteur, mais il pose néanmoins les bases solides de ce cinéma qui, à un certain moment, ne disposait même pas d’une histoire cinématographique. Ainsi, ce film permet de connaître son passé, mais il nous offre également la possibilité non seulement d’en parler, mais aussi de poser les bases nécessaires pour relancer cette industrie et lui permettre de renaître de ses cendres.

Guinéenews : vous avez également lancé le concept de « Cinéma sans chaussures », qui a rapidement été adopté par le public en Guinée et ailleurs. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

Thierno Souleymane : cinéma sans chaussures », c’est moi, ce sont toutes ces personnes dans des pays où il n’y a pas de financement pour le cinéma, mais où nous essayons malgré tout de réaliser des films. Par exemple, dans le cas de ce film, il a été entièrement financé par des sources extérieures telles que la France, l’Arabie saoudite et des organismes internationaux de la francophonie. La Guinée n’a pas contribué. Ainsi, nous sommes dans des pays où l’on pense que la culture, le cinéma et les arts ne sont pas prioritaires pour l’État et le gouvernement guinéens. Donc, pour moi, c’est ma façon de manifester mon ras-le-bol et de dire que mon cinéma est un « cinéma sans chaussures » parce que la Guinée ne me donne pas les moyens de réaliser ces films. Ainsi, nous faisons du cinéma sans moyens, ce qui ressemble à un « cinéma sans chaussures.

Guinéenews : pourtant, vous êtes une preuve que la Guinée a du talent dans le domaine du cinéma. Dites-moi, quel est votre diagnostic concernant l’avenir de la Guinée dans ce secteur que vous qualifiez de « sans chaussures » ?

Thierno Souleymane : il est vrai qu’aujourd’hui, avec la démocratisation des outils et du matériel, une nouvelle génération émerge, avec le désir de faire du cinéma et de raconter leur pays. Cependant, ils se retrouvent confrontés à des obstacles pour lesquels ils ne trouvent pas toujours de solutions directes. Pourquoi ? Parce que le cinéma, quoi qu’on en dise, est une industrie qui nécessite une certaine connaissance. La question de la formation se pose alors. Quel est le niveau de formation dans notre pays ? Quels moyens mettons-nous en place pour former ces jeunes ? À qui confions-nous la responsabilité de former ces individus ?

Guinéenews : donc, il est nécessaire d’investir dans la formation en premier lieu ?

Thierno Souleymane : il est essentiel d’investir réellement dans la formation et de suivre un processus d’apprentissage adéquat pour enseigner aux personnes les compétences nécessaires pour réaliser des films. Parallèlement à cela, il est indispensable de prévoir des subventions. Partout dans le monde, les arts bénéficient de subventions. Ce n’est pas quelque chose de spécifique à la Guinée. Même si le gouvernement ne peut pas tout financer, il est de son devoir de réglementer et de permettre aux individus d’exercer les métiers qu’ils souhaitent. Ainsi, des subventions sont nécessaires pour permettre à cette nouvelle génération de concrétiser leurs idées, de les développer et de produire de véritables films qui pourront être diffusés à l’échelle internationale. Des films qui parlent de la Guinée et qui peuvent être exportés dans le monde entier. Selon moi, la formation et les subventions sont donc indispensables pour soutenir ces projets.

Guinéenews : après tous les voyages, les honneurs et la reconnaissance que vous avez eus avec ce film, pourriez-vous nous parler de la réaction des autorités guinéennes à tout cela ?

Thierno Souleymane : les autorités me regardent comme elles regardent tous les Guinéens, avec peu d’intérêt. C’est aussi la façon dont les Guinéens sont perçus : quand vous réalisez des choses à l’extérieur, vous êtes bien accueilli, mais chez vous, c’est différent, car personne n’est roi chez soi. Pourtant, je porte avec moi l’histoire et la mémoire de ce pays. Je ne viens pas demander aux autorités de me donner de l’argent ou de me décorer. J’aimerais juste qu’ils s’intéressent au moins à ce que je suis en train de faire. Peut-être que cela peut les faire prendre conscience. Nous avons des autorités qui arrivent souvent à la dernière minute ou qui sont absentes. Ce projet, ils ne s’y sont pas intéressés.

Guinéenews : aucune réaction, aucun contact ?

Thierno Souleymane : il y a eu beaucoup de contacts avec des annonces, beaucoup de promesses, mais cela ne s’est pas limité à ça. C’est très douloureux de réaliser un film soutenu par des pays tels que la France, l’Arabie saoudite et des institutions internationales, mais de constater que ce film, qui est un film sur la mémoire de la Guinée, ne trouve pas d’écho en Guinée. À un certain moment, on se pose la question de savoir pourquoi ils sont là. Pourquoi sont-ils au pouvoir ? Parce que si nous avons un ministère de la culture et des directions du cinéma, c’est quand même pour réglementer l’art et la culture. Quand les rares réalisations que nous faisons dans le domaine de la culture et de l’art ne sont pas valorisées chez nous, on se demande pourquoi nous les soutenons financièrement.

Guinéenews : je vous ramène à la question, pourquoi paie-t-on ces gens ?

Thierno Souleymane : ces gens sont payés pour travailler pour nous. Ce n’est pas un privilège que nous leur offrons. Donc, quand ils travaillent et que nous constatons que nous ne sommes pas pris en compte, nous nous disons qu’il y a un problème, car quoi qu’on dise, ce que nous sommes en train de faire n’est pas anodin, d’autant plus que c’est le monde qui le célèbre. Mais nous nous disons que ce n’est pas pour cela que nous faisons des films. Nous faisons des films pour nous, pour la population guinéenne et pour le reste du monde. Donc, nous essayons de continuer même sans ressources. Même quand ils ne sont pas là, nous allons marcher pour avancer.

Guinéenews : justement, nous avons appris que vous avez déjà remporté des prix avec ce film ?

Thierno Souleymane : au cimetière de la pellicule a fait sa première mondiale à la Berlinade et est reparti avec le troisième prix du public. Le film a également été présenté au Fespaco, où il a reçu une mention spéciale du jury. Il a également remporté le prix de la coopération espagnole à Tarifa, ainsi qu’une mention spéciale du jury. Le film devrait normalement sortir le 27 et 28 juin à Conakry, en avant-première et en première guinéenne, puis sortira en salle de cinéma à partir du 05 juillet en France.

Propos recueillis par Alaidhy Sow pour Guineenews.org

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