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Le dialogue inter-guinéen : les réquisitoire et suggestions de Jacques Gbonimy  (suite et fin)

Dans cette série de textes dont c’est le dernier, Jacques Bbonimy vante les vertus du dialogue, non sans avertir sur les méfaits du contraire. Après avoir fait le procès du pouvoir Condé dans ce domaine, il exhorte sans le nommer le pouvoir militaire à privilégier les échanges organisés et structurés aux fins de résoudre les différends. «Puisque toute la population ne peut pas se retrouver dans une salle, on recourt dans ce cas, à des représentants qui viennent avec un mandat précis pour parler au nom de leurs entités. Il revient aux organisateurs du dialogue de préciser les critères de participation en attribuant des quotas aux organisations représentatives de la communauté nationale », suggère-t-il.

LE DIALOGUE INTER – GUINÉEN, UN DÉFI A RELEVER PAR LE CNRD, LES ACTEURS POLITIQUES ET SOCIAUX.

A- REGARD SUR LE PASSÉ RÉCENT DE LA GUINÉE SOUS LA PRÉSIDENCE DU PROFESSEUR ALPHA CONDÉ.

La présidence du Professeur Alpha Condé durant les onze ans passés au pouvoir en Guinée a été émaillée de plusieurs crises dont la gestion laissait à désirer. Les analystes  politiques avaient l’impression qu’il existait un laboratoire de montage des crises quelque part qui lançait des rumeurs chaque fois qu’il régnait un semblant de quiétude et comme si la paix dérangeait leur progression.

Les nombreuses crises dont certains évaluent le nombre à plus de 600 durant les onze ans n’ont fait que retarder notre pays et produit un bilan négatif pour Alpha Condé qui était pourtant l’espoir de tout un peuple en 2010.

A cause de la récurrence des crises sous le régime d’Alpha Condé, nous sommes en droit de nous poser des questions sur le mobile réel de celles-ci, sachant bien qu’une dose de bonne volonté politique pouvait pallier cet état de fait.

Sur la base de l’expérience vécue et en tant qu’acteur politique durant les dernières années, trois principales raisons pouvaient expliquer cette gouvernance du régime Condé :

– Première raison : la volonté manifeste d’anéantir toute l’opposition et de ramener la Guinée dans un système de parti unique, d’où la stratégie utilisée par le RPG Arc en ciel en absorbant tous les partis qui voulaient promouvoir leurs cadres.

En disant, après la prise du pouvoir, qu’il avait pris la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissée, il voulait renier tout ce qui s’est passé en Guinée entre 1984 et 2010. De même, quand il disait, à tout  moment, qu’il avait hérité d’un pays et non d’un État, il restait dans la logique de ne pas reconnaitre ce que ses prédécesseurs avaient fait y compris les efforts du Gouvernement de transition de 2010. C’était l’un des points de discorde entre lui Alpha et Feu Jean Marie DORÉ. Ne dit-on pas dans la tradition qu’on tresse toujours une nouvelle natte sur une ancienne?

N’est-ce pas là une erreur d’appréciation pour n’avoir pas pris en compte les difficultés rencontrées par ses prédécesseurs dans la gestion des affaires d’État pour s’orienter dans sa gestion des affaires d’État?

– Deuxième raison: la non mise en œuvre des recommandations des différents dialogues tenus sous son règne. Le fait de considérer que les dialogues étaient tout simplement des rencontres d’échanges et de duperie annulait toutes considérations de valeur et imprimait à toutes ces rencontres un sentiment de manque de confiance. Ainsi, la classe politique avait totalement perdu confiance en ceux qui l’invitaient sous l’arbre à palabres. Plusieurs dialogues, puisque les crises étaient permanentes, ont été acceptés et tenus mais les recommandations étaient toujours classées dans les tiroirs sans suite. Le cas le plus frappant a été celui du dialogue qui avait recommandé les modalités d’installation des présidents de district et des chefs de quartier sur la base des résultats des élections communales de février 2018. Ces recommandations étaient pourtant faciles à implémenter si la volonté politique avait suivi. Tout simplement à cause des intérêts politiques liés aux agissements des responsables de quartier et de district dans la gestion des élections de fin du second et dernier mandat du président Alpha Condé, ces recommandations avaient été sabotées dans l’optique du troisième mandat.

De façon générale, en allant à un dialogue, chaque partie prenante élabore un document de revendications qui peuvent ou ne pas être retenues comme thème de dialogue. Mais à l’issue des débats, les thèmes qui sont retenus et les recommandations qui résulteront de ces débats doivent avoir force de loi. C’est-à-dire qu’elles doivent s’appliquer à tout le monde sans exception.

– Troisième et dernière raison: la caporalisation de toutes les institutions républicaines au profit du seul pouvoir d’Alpha Condé. La loi fondamentale de 2010 avait attribué pleinement la promotion du dialogue politique et social au Premier ministre. Ce qui était une bonne chose pour la survie du dialogue en Guinée. Malheureusement, aucun des Premiers Ministres sous Alpha Condé n’a conduit un dialogue jusqu’à son terme parce que le Président de la République était l’alfa et l’oméga. Tout partait de lui et tout revenait à lui. De telle sorte que personne d’autre ne pouvait prendre l’initiative du dialogue sans son accord. Le dernier Premier Ministre quant à lui, malgré l’instruction qu’il avait  reçue de son chef de conduire une concertation,  il avait clairement dit au lancement des assises qu’il venait écouter les différentes parties et rendre compte à qui de droit. Il avait fini d’ailleurs par épouser la vision de son chef en disant qu’il préférait l’ordre à la loi alors que les recommandations d’un dialogue ont force de loi.

Personne n’avait la main libre pour exercer pleinement ses responsabilités sans qu’elle ne soit rappelée à l’ordre ou au risque de se voir éjectée de son poste le lendemain.

Cette boulimie du pouvoir avait fini par pousser Monsieur Alpha Condé à être regardant dans tout ce qui se passait dans toutes les institutions républicaines, les corporations et même les coordinations régionales pour les diviser et régner en seul maître. Toutes les institutions de la République, les syndicats, les corporations et les associations en ont fait les frais y compris l’UPG, le parti de Jean Marie DORÉ que je me suis engagé à diriger. Un semblant de bicéphalisme a été artificiellement créé et alimenté pour affaiblir le Président titulaire qui n’était pas allié au RPG.

Finalement, chaque entité ou organisation a eu son dissident ou son double que le pouvoir soutenait.

Cette gouvernance Alpha ne pouvait favoriser aucun dialogue parce qu’il préférait travailler avec ses obligés que de dialoguer avec les vrais interlocuteurs qui pouvaient contredire sa façon d’imaginer la Guinée. Même les simples négociations avec ceux qui étaient forts sur le terrain n’étaient pas dans son plan. Il préférait plutôt les affaiblir par la corruption et le rachat des éléments jugés forts ou importants du groupe.

Cette stratégie de diviser pour régner avec pour visée d’éviter le dialogue avec les adversaires « ennemis  » a beaucoup contribué à exacerber  les crises récurrentes que nous avons connues pendant le dernier régime qui a pris fin le 5 septembre par un coup d’État militaire.

Tout régime, toute société, toute entité ou même tout foyer qui rejette le dialogue fini par tomber sous le poids de ses propres contradictions internes.

B- NÉCESSITE DU DIALOGUE POUR UNE VIE HARMONIEUSE.

Pour la quiétude et la paix dans notre chère Guinée pendant cette transition et dans le cadre de la tenue d’un dialogue constructif et inclusif, tentons de répondre aux questions ci-après :

– pourquoi dialoguer ?

– quand dialoguer ?

– comment dialoguer?

– Qui doit participer au dialogue ?

– Sur quoi doit porter le dialogue ?

– et si on n’y parvient pas, que faudra-t-il faire?

Au terme de ces questions réponses, nous serons édifiés. Ainsi :

1- Pourquoi dialoguer ?

Les échanges entre les personnes occupant un même espace sont une nécessité pour le maintien de l’équilibre social et la survie de leur unité d’actions.

On dialogue pour s’entendre et se comprendre en vue de faire part de nos préoccupations essentielles.

Dans le cadre de la vie nationale, on dialogue pour trouver un minimum de consensus sur les questions de discorde ou pour adopter une position commune sur les orientations à donner à la vie de la nation.

Un dialogue débouche toujours sur des recommandations ayant force de loi et qui s’imposent de facto à tous.

2- Quand dialoguer ?

Comme la vie d’une famille ou d’une communauté villageoise, celle d’une nation s’apaise quand les filles et fils se parlent au quotidien.

Il n’y a pas, dans la vie d’une nation, un temps dédié au dialogue. Il se fait en temps de paix comme en temps de crise. C’est à dire à tout moment.

Le dialogue doit être permanent surtout dans un pays en perpétuelle crise comme la Guinée. Le dialogue doit nous servir, dans ce cas, de sève nourricière pour éviter de disparaître.

3- Comment dialoguer ?

La question sur le comment divise souvent les acteurs car chaque partie prenante vient à la table de négociations avec sa méthode. Il revient à la présidence de séance ou au modérateur de faire la synthèse des propositions. Il  n’y a pas de méthode fixe, c’est le consensus qui doit prévaloir pourvu que les acteurs concernés acceptent d’y adhérer.

4- Qui doit participer au dialogue?

Puisque toute la population ne peut pas se retrouver dans une salle, on recourt dans ce cas, à des représentants qui viennent avec un mandat précis pour parler au nom de leurs entités. Il revient aux organisateurs du dialogue de préciser les critères de participation en attribuant des quotas aux organisations représentatives de la communauté nationale.

Le dialogue est un travail de réflexion et de débats intellectuels, il ne peut se faire qu’avec un groupe raisonnable et dans la sérénité si on veut obtenir des résultats acceptables. Il faut éviter un nombre pléthorique improductif.

5- Sur quoi dialoguer ?

Un dialogue se fait sur des thématiques consensuelles avec l’espoir de faire des recommandations précises à l’attention du ou des décideurs. Les recommandations du dialogue doivent être à l’abri de toutes confusions pour aider à la prise de décision.  Elles ont force de loi car elles s’imposent à tous.

6- Et si le processus du dialogue était interrompu ?

Un dialogue entamé ne doit pas s’arrêter car les conséquences sont néfastes. Les événements du 28 septembre 2009 sont la conséquence de l’interruption du dialogue de la Commission Ad-hoc de 2009 entre le CNDD et les forces vives.

La crise de confiance s’installe et s’aggrave dès que le dialogue est interrompu. C’est pourquoi il faut faire des concessions et trouver des compromis pour aller jusqu’à la mise en œuvre des recommandations. Il faut éviter, à tout prix, son arrêt et privilégier sa relance, en cas d’interruption, dans l’intérêt supérieur de la paix et de la quiétude.

Et enfin, en bons patriotes guinéens, la mission de chacun et de tous doit s’inscrire dans le cadre  de la promotion du dialogue social et politique pour réussir cette transition qui doit forcément être la dernière.

Jacques Gbonimy, ancien Commissaire de la CENI et Président de l’UPG.

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