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La profession d’hôtesse : harcèlement, agression sexuelle, blagues sexistes, mépris social, mauvais traitement salarial

La profession d’hôtesse : entre harcèlement, agression sexuelle, blagues sexistes, mépris social et mauvais traitement salarial

Nous levons cette semaine le voile sur la situation des hôtesses, employées dans les agences et dans des établissements hôteliers du pays. Les hôtesses ou les bonnes « à tout faire », vivent au quotidien des situations qui ne leur permettent pas de rétorquer ni dire un mot plus haut que l’autre, de peur d’être rappelées à l’ordre.

Avec des salaires dérisoires, sans prise en charge médicale au travail et des pauses déjeuner inexistantes, les courses et les heures de ménage interminables, les absences de bénéficiaires non payées, jamais un salaire fixe…

A ces conditions, il faut ajouter l’enfer du harcèlement, la pression, des agressions sexuelles, des blagues sexistes, l’intimidation, l’humiliation et le mépris social. Dans ce secteur à 96%féminin, le salaire moyen  est à peine supérieur à 500.000 francs guinéens, soit moins de 50 euros.

Interrogées lors de notre enquête, plusieurs d’entre elles font état de mauvais traitements et d’actes indécents, tels que des attouchements de la part de clients, dont certains n’hésitent pas à procéder à des attouchements sur les fesses notamment. La majorité pointe du doigt, des collègues de service ou la hiérarchie…

Dans ce milieu où il faut faire avec, disent-elles, on entend à longueur de journée des choses comme « Chérie, ma biche, t’as pas b… ou quoi pour être de cette humeur ? » Ou encore, « la mayonnaise va pas prendre, l’épilation du s…La grosse vache… Amène-toi ici chienne ».

A écouter ces jeunes femmes, on retient que dans les vestiaires ou dans la cuisine,  il y a la prévalence d’une ambiance lourde et empreinte de systématisme. Les phrases sexistes à connotation sexuelle y sont quotidiennes.

Agressions sexuelles : des témoignages poignants

 M’Mahawa S, sortie fraîchement de l’école de l’hôtellerie de Hamdallaye a eu un boulot  dans un petit restaurant du quartier après ses études, histoire de gagner un peu d’argent en parallèle de ses démarches pour obtenir un poste de qualité dans un grand hôtel. Mais voilà  qu’elle tombe sur un vieux pervers qui va jusqu’à abuser d’elle : « Le patron venait souvent me bloquer derrière le bar pour me montrer son érection à travers le pantalon, me dire ‘l’effet’ que je lui faisais. « Tu me fais bander », « C’est très excitant quand tu me parles comme ça »…. Il s’approchait souvent de moi en bavant, me touchait dès qu’il pouvait. Je me sentais tellement nulle et faible. J’ai fini par craquer. Quand j’avais accepté », raconte-t-elle, « je pensais que c’était comme ça, que je devais l’accepter. Et plus ça continuait, plus je me rendais compte que ce n’était pas normal « .

De ces actes restant généralement sans réponse ou des mains aux fesses difficilement évitables : voici le quotidien de beaucoup d’hôtesses de femmes de ménages, longtemps passé sous silence. Si la plupart des femmes interrogées disent apprécier leur métier et les avantages qui en découlent (liberté, horaires souples, environnement prestigieux…), elles s’accordent à dire que ces situations décrites plus haut sont récurrentes lors de leurs missions

L’histoire de Saran remonte à 2017. Elle a 25 ans à l’époque et fait le nettoyage dans un restaurant à Kipé pour payer ses études. Elle explique : « Un jour je suis allée ranger, je ne sais quoi derrière le congélateur. Le neveu du patron m’a suivie, s’est posté devant la porte de la cuisine et m’a dit :  »Si tu veux sortir il faut me caresser ». J’ai essayé de garder mon sang froid au maximum, j’ai croisé les bras et j’ai dit que je pouvais bien attendre qu’il s’en aille. La confrontation a duré cinq bonnes minutes avant qu’il n’abandonne. » En septembre 2019, Kankou C a 24 ans. Le harcèlement qu’elle subit se déroule dans un hôtel de Camayenne, où elle est embauchée en tant que réceptionniste. « Avec l’un des patrons de l’établissement, c’est devenu lourd au bout de quelques jours », nous raconte-t-elle. La jeune femme se voit appeler « ma chérie » par cet homme marié qui précise « vouloir trouver une femme discrète« . « Un jour, il m’a dit à l’oreille : ‘J’aime les filles grosses comme toi. »

Les petits surnoms, Diaraye S, y a eu droit aussi. Alors qu’elle travaille dans un restaurant étoilé de la capitale, un responsable de salle lui donne du « ma puce« , du « bébé » et lui dit qu’elle « ressemble à une fille des trottoirs » lorsqu’elle porte trop de maquillage à son goût. « Quand il passait derrière moi, il mettait ses mains sur mes hanches. Je lui ai dit d’arrêter, il m’a répondu : ‘Avec un cul pareil, on a envie d’en profiter.’ » Mais pas la peine de compter sur les collègues pour en discuter. A Diaraye, on a rétorqué : « Tu n’es pas là pour longtemps, il faut faire avec« …

-un métier d’images et de charme

Ces jeunes femmes doivent s’habiller, dans le cas des hôtesses, selon le goût de leurs employeurs.. Il est pour beaucoup le même : tailleurs-jupe-talons. Sans oublier la touche de maquillage et les cheveux tirés en chignon. Car sous prétexte d’être présentables, les hôtesses sont vouées à jouer les mannequins, sourire et rouge sur les lèvres obligatoires.

 « On reçoit un rappel par mail si l’on oublie d’en mettre« , raconte Maimouna B, hôtesse depuis trois ans, en parallèle de son statut d’auto-entrepreneuse. « Fournir un accueil de qualité ne dépend pas de la hauteur de vos talons ou de la couleur de votre rouge à lèvres« , relève pourtant la jeune dame.

Binta D, elle, est hôtesse d’accueil dans une grande boite de la place. Son agence l’oblige à porter une mini-jupe pendant ses missions. Cette différence d’uniformes entre hôtes et hôtesses relève du sexisme, observe la jeune femme. « On porte parfois des jupes courtes, des pantalons moulants. » Une tenue, parfois légère quelle que soit le lieu, qui pousse certains visiteurs à se croire tout permis, ou presque. « Ma puce« , « belle chérie, jolie bébé« ,  Binta ne compte plus les surnoms qu’on lui affuble régulièrement. Quand bien même son uniforme serait basique, jupe noire et tee-shirt blanc. Un style vestimentaire qui serait indissociable des missions confiées aux hôtesses, défendent les professionnels du milieu. « Inutile d’être hypocrite, c’est quand même un métier d’image. On ne cherche pas des tops models, mais il faut que les hôtes et les hôtesses aient du charme, de la présence, qu’ils soient esthétiquement agréables à regarder« , déclare ainsi la directrice d’une agence rencontrée au Chapiteau, au Palais du Peuple de Conakry.

Mais que de mépris social !

Ces travailleuses à « tout faire » sont parfois victimes d’un certain mépris social. « Vous n’allez pas commencer à me faire chier, vous ne savez pas qui je suis« , a ainsi lancé un visiteur à une hôtesse qui a accepté de répondre à nos questions pendant notre enquête, dans un grand hôtel à Kaloum. Son plus grand tort c’est de nous avoir accordé un temps. Et ce type de comportements vient en majorité de cadres supérieurs, décrit Elisa, notre interlocutrice : « On pense tout de suite aux vulgaires clients ivres dans les bars, mais en réalité, ce sont souvent des avocats, des médecins, des élus. Et ils se comportent en toute impunitéÀ la minute où l’on se plaint, on risque de ne pas revenir« , nous confie Elisa, avant de continuer : « Quand une entreprise n’est pas satisfaite, elle va recourir à une autre agence.« . Ainsi en cas de problème entre une hôtesse et un client, l’agence privilégierait donc ce dernier.

Que dit l’Inspection générale du Travail ?

Lors de notre enquête, nous avons approché un inspecteur du travail, qui a bien voulu garder l’anonymat. Il intervient régulièrement dans ce secteur. Lui aussi fait le constat de cette poche de résistance au sein du secteur : « Les agressions sexuelles et les faits de harcèlement, on ne peut pas dire que ce soit un sujet qui préoccupe aujourd’hui particulièrement les entreprises en hôtellerie restauration« , nous confie-t-il.

Pour lui, l’obligation de confidentialité des plaintes qui incombe à l’Inspection est une partie du problème. « Pour qu’on puisse enquêter ouvertement, il faut que le salarié nous saisisse par courrier, en mettant son employeur en copie. En dehors de cette procédure, si la victime ne souhaite pas lever la clause de confidentialité – ce qui s’entend – alors on peut écouter et échanger, mais c’est tout. »

Pour les femmes qui ont livré leur témoignage, dans un secteur où la hiérarchie et l’autorité sont des éléments incontournables, difficile de faire bouger les lignes. « En cuisine, on suit un peu le modèle militaire, analyse encore une cuisinière d’un hôtel. On ne remet pas en cause le système. » Et ce, même quand on est victime de propos déplacés ou de harcèlement. Elle précise : « Je ne dis rien. Il faut choisir: Soit tu te tais, soit tu perds  ton boulot et tu te retrouves au chômage.»

Interpelée pour savoir si une action collective est prévue pour lutter, à l’avenir, contre ce phénomène visiblement vivace, Hadja B S, responsable d’une agence de placement du personnel de maison et d’hôtesses soutient que leur  » secteur n’a pas de particularité par rapport aux autres » nous dit-il. « Nous avons l’obligation comme toutes les entreprises de prévenir et réprimer les cas de harcèlement sexuel ou de propos sexistes. Nous communiquons les obligations légales sur le sujet à nos adhérents.« , dit-il avant de continuer  « Nous sommes concernés par la mise en place d’un référent en matière de lutte contre le sexisme dans les entreprises de plus de 250 salariés. » Mais cette mesure, entrera en vigueur bientôt ».

Du côté du ministère du Travail, on nous renvoie bien vers des mesures générales liées au harcèlement sexuel au travail, effectivement sanctionné d’une peine de deux ans d’emprisonnement. Néanmoins, aucune donnée n’est disponible spécifiquement sur les métiers de la restauration et de l’hôtellerie. Là encore, le problème semble tout bonnement inexistant. Enfin, contacté dans le cadre de cette enquête, le ministère du Tourisme n’a pas donné suite à nos sollicitations.  Une absence de réaction qui laisse une question en suspens : et si, dans le milieu de ces métiers, les seules personnes à être au courant du problème étaient… les victimes elles-mêmes ?

Dossier réalisé par Louis Célestin

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