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La HAC face à l’explosion de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux: impuissance ou résignation ?

Auteur: Youssouf Sylla, juriste/analyste.

Les médias traditionnels (presse écrite, radio, télévision et site web ) choisissent leurs sujets et interlocuteurs selon la ligne éditoriale qu’ils se donnent. L’information qu’ils donnent est donc hiérarchisée et sélective. Ainsi, nombre de personnes qui veulent s’exprimer publiquement sur certaines thématiques politiques, sociales et économiques, ne sont pas en mesure de le faire à cause du filtrage de l’information par ces médias. Dans ces médias, les principaux acteurs restent et demeurent les journalistes professionnels eux-mêmes et les autres commentateurs d’informations bien identifiés.

Les nouveaux médias, en particulier les réseaux sociaux sur internet (Facebook, Instagram, Messenger , WhatsApp, LinkedIn, Twitter, etc) qui sont d’apparition récente sont venus bouleverser complètement le monopole des médias traditionnels en matière de production et de diffusion d’informations de toutes sortes. Ils reversent la situation par la modification des règles de hiérarchisation de l’information et de la « qualité » requise pour traiter et diffuser l’information. Le journaliste n’a plus le monopole de l’information. On est déjà dans une nouvelle ère de communication.

Toute personne sans aucune forme de contrainte peut filmer, photographier et écrire ce qu’il veut et publier à sa guise l’information qu’il juge personnellement pertinente sans passer par le formalisme en vigueur au sein des médias traditionnels. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où les sources d’information connaissent une explosion sans précédent et les acteurs de l’information une incroyable multiplication. Chacun peut être acteur et destinataire de l’information à la fois.

L’un des gros risques du démantèlement du monopole des médias traditionnels sur l’information est la montée en puissance des fausses informations et des discours haineux. Car n’importe qui peut se lever et dire n’importe quoi. La liberté d’expression n’est plus l’apanage des seuls médias traditionnels et des journalistes professionnels (mais pas toujours) qui les animent.

La Guinée vit aujourd’hui profondément cette réalité, triste pour certains et agréable pour d’autres. La tristesse s’explique par la médiocrité qui accompagne le plus souvent cette extrême extension de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. A moins qu’on déconnecte nos smartphones de ces réseaux, personne n’échappe à cette avalanche d’informations produites et diffusées dans la plus grande banalité et médiocrité. Le bonheur de la situation en revanche, tient à la revanche du citoyen autrefois passif sur les journalistes traditionnels qui decidaient seuls à qui donner la parole et de quoi parler. Désormais avec les médias sociaux, tous les courants d’idées et de pensées ont exactement les mêmes chances d’expression sur la place publique. Ces médias nous permettent aujourd’hui d’avoir une lecture plus complète des réalités sociales d’un pays. Ils expriment l’état de l’opinion dans ses moindres détails. Sans filtre des médias traditionnels et de leurs organes de régulation, comme la Haute autorité de la communication (HAC), nous savons mieux ce qui se passe dans la société, en bien et en mal.

Les nouveaux défis de la HAC, le régulateur de l’information publique

A l’origine, la HAC a été conçue pour réguler  les activités d’information des médias traditionnels (radio, télévision et presse écrite) et des journalistes qui les animent. Le but ultime de sa création est la sauvegarde de l’intérêt du public dans le cadre de la diffusion d’informations publiques. Toutefois, les médias sociaux (Facebook  et autres) et les autres blogueurs sur ces médias échappent au périmètre de compétence de la HAC. Personne en Guinee, n’a besoin de son autorisation pour créer sa propre page sur un réseau social comme le ferait  le promoteur d’une radio ou d’une chaîne  de télévision avant de lancer son activité. Aussi aucun blogueur n’a besoin de la carte professionnelle émise par la HAC pour faire de la diffusion de l’information sur les réseaux sociaux une activité régulière et même rémunératrice. La HAC n’a également aucun moyen de faire suivre par les acteurs de l’information sur les réseaux sociaux, les principes qui régissent la répartition du temps de parole en période électorale par exemple. Elle n’applique ce principe que sur les médias traditionnels sur lesquels elle a une emprise, alors même qu’aujourd’hui, l’essentiel de la communication politique se déroule sur les médias sociaux.

En somme, à l’état actuel de notre droit positif, la HAC est impuissante et démunie face à la régulation de l’information sur les réseaux sociaux, alors que son but est la sauvegarde de l’intérêt du public dans le cadre de l’information publique. On est dans un domaine où le « droit est à la remorque de la technologie » comme le disait l’éminent auteur du « droit de cyberespace » Pierre Trudel. Toutefois,  la HAC doit-elle rester les bras croisés, sans la moindre capacité d’action dans l’environnement virtuel où se déroulent les activités des médias sociaux? Assurement non! La HAC doit se réinventer et se trouver un rôle en lien avec la sauvegarde de l’intérêt du public à une information de qualité sur les médias sociaux. Elle peut à cet égard, en étroite collaboration avec les acteurs (blogueurs et autres) de l’information sur les réseaux sociaux, engager une politique de co-régulation non contraignante sur  » la responsabilité des acteurs de l’information sur les médias sociaux en République de Guinée ». Le but de cette politique est de faire prendre conscience par ces nouveaux acteurs de l’information de leur propre responsabilité en matière de diffusion d’une information publique. Il s’agit en clair de les sensibiliser par la formation et autres formes d’échanges, sur les implications  sociales, politiques, juridiques et économiques de leurs activités de diffuseurs d’informations publiques. En tant que nouveaux leaders de l’information, ces nouveaux acteurs doivent être interpellés sur leurs responsabilités sociales. Pour la HAC,  l’objectif ne sera pas de s’aventurer dans des stratégies de limitation de la parole sur les réseaux sociaux, mais de sa responsabilisation au nom de certains impératifs sociaux comme la non diffusion de discours haineux et autres propos attentatoires à l’honneur et à la réputation des personnes. C’est le binôme (liberté et responsabilité) qui doit en définitive être le fil conducteur dans le cadre de l’élaboration d’une politique crédible et concertée sur la responsabilisation des nouveaux acteurs de l’information sur les réseaux sociaux. La libre adhésion des acteurs à cette politique sera un des plus importants moyens de pacifier la communication publique sur les médias sociaux.

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