Deripaska et RusAl, sanctionnés par les Etats-Unis. Quel impact sur le Dian Dian et la relance de Friguia en Guinée ? Telle est la question que tous les observateurs doivent se poser en ces moments d’incertitude.
Vendredi 6 avril 2018, le président américain Donald J Trump, connu pour son admiration pour Vladimir Poutine qu’il a plusieurs fois affichée en public a été obligé – sous pression du Congrès américain – de signer un décret sanctionnant plusieurs entités et hommes d’affaires russes dont le patron de Rusal, Oleg Deripaska, chevalier de la légion d’honneur de la Guinée.
Deripaska, classé par le magazine américain Forbes comme le 19ème homme d’affaires le plus riche de la Russie avec une fortune estimée à 6,7 milliards de dollars est réputé être proche du président russe Vladimir Poutine, et a eu de nombreuses rencontres avec le président Alpha Condé dans le cadre de la défense de ses intérêts miniers en Guinée. Deripaska a été nommé d’ailleurs par Alpha Condé chevalier de l’ordre national de mérite de la Guinée et la dernière rencontre entre les deux hommes a eu lieu au sommet de Davos, Suisse et ils se fréquentent régulièrement.
Le fils d’une femme ingénieure, diplômé en physique nucléaire est devenu riche après la chute de l’empire soviétique en prenant avantage du bradage des entreprises d’Etat, sous le régime de Boris Eltsine. Deripaska d’ailleurs épousera Polina Yumashev, la fille d’un des gendres et conseiller d’Eltsine. Plus tard, en créant plusieurs sociétés écrans (En+, Gaz group, B-Finances, Basic Element …) basées dans des paradis fiscaux européens, Deripaska deviendra un des milliardaires russes connus comme étant les oligarques.
Le holding En+ détient une participation de 48% dans Rusal, l’un des plus grands producteurs d’aluminium au monde. Rusal est cotée à la bourse de Hong Kong et compte parmi ses actionnaires le Suisse Glencore. En Guinée, Rusal est un grand acteur économique exploitant en plus des mines de bauxite de la SBK à Kindia, et Dian Dian, le projet de relance de l’usine d’alumine de Fria. Rusal possède aussi des actifs en Italie, en Irlande, en Suède, ainsi qu’au Nigeria, en Guyane, et une participation dans l’australien QAL, première raffinerie d’alumine au monde. Plus de 10% des ventes totales de Rusal vont aux États-Unis.
RusAl en Guinée
Rusal a racheté l’usine de Fria pour la somme dérisoire de 22 millions au trésor guinéen (Ernest & Young avait estimé la valeur de l’usine à 210 millions) dans des conditions obscures en mars 2006 avec promesse de doubler la production d’alumine et de créer une usine d’aluminium en Guinée. Le complexe de Friguia – la première usine d’alumine en Afrique – qui a une capacité de 650,000 tonnes par an, avait auparavant été rachetée par le gouvernement guinéen pour la somme symbolique de 1 dollar après que Pechiney ait jeté l’éponge en 1997. La compagnie Friguia – sous Rusal et ses prédécesseurs – n’a presque jamais annoncé avoir fait un profit, transférant les bénéfices vers des sociétés écrans et ne payant pas d’impôts en Guinée.
Mahmoud Thiam, l’ancien ministre des mines de la junte du CNDD (conseil national pour la démocratie et le développement) de Dadis Camara, commandera un audit du cabinet Alex Stewart International qui arrivera à la conclusion que la transaction de cession de Frigua a été faite bien en dessous de la valeur des actifs. Se saisissant de ce rapport – payé par un concurrent chinois – la Guinée va réclamer 850 millions de paiement en 2010 au moment où RusAl faisait son début en bourse à Hong Kong, les marchés financiers occidentaux refusant de lister la société. RusAl refusera catégoriquement de se soumettre à la décision et menacera de tout fermer. Mais la chute de Dadis et l’arrivée d’Alpha Condé en 2010 changeront la donne rendant RusAl fréquentable à Conakry.
Alpha Condé, la Russie et Deripaska
Initialement, Alpha Condé avait commencé par menacer de retirer à RusAl la riche concession de Dian Dian – octroyée par la Guinée à l’ancienne URSS (union des républiques socialistes soviétiques) pour paiement de dettes du régime de Sékou Touré avant de se retrouver miraculeusement dans le portfolio de RusAl – et de re-nationaliser Friguia. RusAl restera pour quelques mois officiellement sur la liste noire des compagnies minières délinquants dans le paiement des taxes, selon Alpha Condé.
Début 2011, une intervention du gouvernement russe rappelant la dépendance de la Guinée aux instances internationales notamment la négociation pour le PPTE (pays pauvres très endettés) que la Russie pouvait bloqué et des promesses de «relancer des projets miniers dans un futur proche» ainsi que des lignes de crédit dans le social et l’agriculture avaient fini par réduire considérablement l’hostilité d’Alpha Condé envers Rusal.
N’empêche, en 2012, sous le prétexte d’une grève des travailleurs, RusAl procédera à la fermeture de Fria sous l’indifférence suspecte du gouvernement d’Alpha Condé et mettant au chômage des milliers d’employés guinéens et tuant économiquement le « petit Paris » guinéen. Le gouvernement guinéen prendra ouvertement parti pour RusAl accusant les travailleurs d’avoir procédé à une « grève illégale » et d’être responsables de leur malheur. Les partisans du pouvoir quant à eux, accusent leur bête noire Cellou Dalein Diallo, leader du parti d’opposition UFDG d’avoir « vendu » Fria alors que ce dernier n’a jamais été ministre des mines ou des finances comme pour dédouaner le fait indéniable que c’est sous Alpha Condé que le joyaux industriel de la Guinée a fermé.
Après plusieurs années de disette économique et d’Ebola, la Guinée et RusAl reprennent les négociations dans un environnement différent avec RusAl aux prises avec des difficultés financières consécutives à la crise financières, la baisse des prix des métaux sur les marchés, et des poursuites judiciaires à travers le monde.
En contrepartie du renouvellement de la concession de Dian Dian, le gouvernement guinéen exige que l’usine de Fria fermée en 2012 pour cause de non rentabilité (officiellement parce que les employés ont grevé) soit relancée. Ce que RusAl va accepter en avril 2016 et présentement des travaux de relance sont en bonne voie à l’usine de Fria afin que la date de relance ce mois d’avril 2018 soit respectée.
La relance de Fria pas remise en question pour le moment.
L’annonce surprise de sanction du Trésor public américain attire des questions inévitables. Par exemple, le décret américain menace « les personnes non-américaines (qui) pourraient être sanctionnées pour avoir sciemment facilité des transactions importantes pour ou au nom des individus ou entités bloqués aujourd’hui. »
Difficile à savoir si la reconstruction de l’usine de Fria constitue une transaction qu’on peut qualifier de « significatif » aux yeux du Département du Trésor donc sujette aux sanctions ? Est-ce que les sous-traitants risqueraient de se placer sur la liste noire américaine en participant aux projets de RusAl en Guinée ou ailleurs ?
Déjà, Glencore un actionnaire de Rusal, et pas des moindres a décidé de se séparer du groupe russe pour préserver ses intérêts américains. La chute brutale de l’action de RusAl sur les bourses la rend extrêmement vulnérable financièrement.
La veille pourtant, la compagnie Rusal – par la voix de son président Vladislav Soloviev – a déclaré aux journalistes le 5 avril que les premières exportations de bauxites de la mine de Dian-Dian en Guinée commenceront dans quelques semaines. « La fin du mois d’avril, nous allons commencer la mine avec une capacité de 3 millions de tonnes. Il est prévu d’augmenter la capacité jusqu’à 5 millions de tonnes, mais leur mise en œuvre dépend des possibilités de l’infrastructure, en particulier, le capacité de la voie ferrée. Nous allons travailler là-dessus », a-t-il temporisé.
Quoique les Chinois, RusAl – et plusieurs autres compagnies se sont engagés à construire des usines d’alumine en Guinée -mais tous semblent être vagues sur la date de respect de ces obligations, se contentant de creuser et d’exporter la bauxite brute.
La sortie partisane de l’ambassadeur de la Russie qui reprend la ligne gouvernementale de reprocher aux partis politiques d’opposition d’exercer leur droit constitutionnel de protestations pacifiques, semble renforcer l’impression que la Guinée est entrée dans un jeu dangereux d’être partie prenante dans le combat épique entre la Russie et l’Occident. Et cela sans en mesurer les conséquences comme ce fut le cas de Simandou où la Guinée avait été une victime collatérale d’une bagarre entre les milliardaires Soros et Beny Steinmetz. La Guinée a suivi les « conseils » de Soros qui l’a abandonné dès que l’objectif d’écarter Steinmetz a été atteint et s’est retrouvé sans projet.
Voici la traduction de Guinéenews© des allégations américaines contre Deripaska.
« Oleg Deripaska est désigné conformément au Décret 13661 pour avoir agi ou prétendu agir pour, ou au nom de, directement ou indirectement, comme un haut fonctionnaire du gouvernement de la Fédération de Russie, ainsi que conformément au Décret 13662 pour opérer dans le secteur de l’énergie de l’économie de la Fédération de Russie. Deripaska a déclaré qu’il n’y a aucune différence entre lui et l’État russe. Il a également reconnu posséder passeport diplomatique russe et prétend avoir représenté le gouvernement russe dans d’autres pays. Deripaska a fait l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent et a été accusé d’avoir menacé la vie de ses rivaux commerciaux, d’avoir illégalement mis sous écoute téléphonique un représentant du gouvernement et d’avoir participé à des activités d’extorsion et de racket. Il y a aussi des allégations selon lesquelles Deripaska aurait soudoyé un fonctionnaire du gouvernement, ordonné le meurtre d’un homme d’affaires et aurait eu des liens avec un groupe criminel organisé russe.»