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La drépanocytose, causes, types et conséquences, avec le Pr Jean Marie DANGOU 

La drépanocytose est une pathologie fortement ancrée dans la région africaine de l’OMS. Selon le président de l’ONG Drep Afrique, Robert Hue, elle cause la mort d’environ 200 000 personnes chaque année en Afrique. En Guinée, cette maladie se manifestant par des douleurs osseuses articulaires, l’anémie et la faiblesse, est peu débattue mais gagne de plus en plus du terrain dans la société.

Comment se manifeste-t-elle et comment les personnes atteintes vivent-elles avec ? On en sait un peu plus dans cette interview que le Coordinateur du Programme de gestion des maladies non transmissibles (MNT), du bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, Prof. Jean-Marie DANGOU, a accordé à notre rédaction.

Guineenews.org : La drépanocytose ne reste pas moins un problème de santé publique dans beaucoup de pays en Afrique. Quels sont les symptômes et caractéristiques de cette maladie ?

Pr Jean Marie DANGOU : La drépanocytose est une maladie génétique et héréditaire encore appelée « anémie falciforme ». Elle affecte les globules rouges du sang. L’hémoglobine normale (Hb A), protéine présente à l’intérieur des globules rouges et qui sert au transport de l’oxygène des poumons vers tous les organes du corps devient anormale. Cette anomalie de l’hémoglobine a pour conséquence la déformation des globules rouges qui perdent leur forme arrondie (comme un disque aplati au centre) et prennent la forme d’une fausse particularité qui a donné son nom à la maladie. Il s’agit du phénomène de falciformation. La drépanocytose est particulièrement fréquente au sein de certaines populations africaines. La drépanocytose se manifeste par des signes et symptômes variés en fonction du type de la maladie.

Chez les drépanocytaires homozygotes, les signes et symptômes sont : une anémie aiguë ou chronique avec un léger ictère et une pâleur fréquente; une plus grande sensibilité aux infections; des crises douloureuses causées par une mauvaise circulation sanguine, les « crises vaso-occlusives » particulièrement au niveau des os longs, des mains et des pieds, du dos et des articulations; un syndrome thoracique aigüe caractérisé par l’apparition soudaine de fièvre, de douleurs thoraciques et d’infiltrats pulmonaires à la radiographie. Il peut faire suite à une pneumopathie bactérienne; parfois, une nécrose osseuse, très douloureuse est également observée.

Les drépanocytaires hétérozygotes ne font pas d’hémolyse ou de crises douloureuses. Les signes et symptômes sont rares.

Cependant, ils ont un risque accru de maladie rénale chronique et d’embolie pulmonaire. En outre, une rhabdomyolyse et une mort subite peuvent survenir pendant un exercice physique intense et prolongé. La diminution de la capacité de concentration des urines est fréquente. Une hématurie unilatérale (de mécanisme inconnu et habituellement du rein gauche) peut survenir, mais est spontanément résolutive.

Guineenews.org : la drépanocytose une maladie héréditaire. La transmission est-elle liée au sexe ?

Pr Jean Marie DANGOU : Non, la transmission de la drépanocytose n’est pas liée au sexe. La drépanocytose est due à une anomalie de l’hémoglobine contenue dans les globules rouges du sang. L’hémoglobine est constituée de quatre « briques » appelées chaînes, assemblées entre elles. L’hémoglobine A, majoritaire chez l’adulte, est ainsi constituée de deux chaînes dites alpha (ou a) et de deux chaînes dites bêta (ou b). En cas de drépanocytose, les chaînes b sont anormales.

L’hémoglobine formée à partir des chaînes b anormales et des chaînes a normales est une hémoglobine qui « s’agglomère » dans les globules rouges (cette hémoglobine anormale est appelée hémoglobine S, abréviation pour le mot anglais « sickle » qui signifie faucille).

Un globule rouge a normalement la forme d’un disque dont chaque face est un peu creuse (on parle de disque biconcave). En cas de drépanocytose, l’agglomération de l’hémoglobine S conduit les globules rouges à prendre la forme d’une faucille ou d’un croissant dans certaines conditions (lorsque la quantité d’oxygène est plus faible). Leur déformation « en faucille » est appelée falciformation et les globules rouges déformés sont qualifiés de « falciformes ».

La transmission de la maladie se fait par les 2 parents qui sont le plus souvent porteurs sains d’une anomalie (mutation), l’hémoglobine S. Les 2 parents ont chacun un gène de l’hémoglobine normal (A) et un gène de l’hémoglobine anormal (S) donnant ainsi naissance à un enfant soit AA, AS ou SS donc pour chaque naissance un risque sur quatre d’avoir un enfant malade SS. Quel que soit le sexe de l’enfant, il peut être porteur de la forme SS donc de la maladie. Les enfants qui sont AS sont dits porteurs du trait drépanocytaire. Ils pourront eux aussi transmettre plus tard à leur descendance le gène anormal S.

Guineenews.org : y a-t-il une tranche d’âge particulièrement exposée à la maladie ? 

Pr Jean Marie DANGOU : Comme il s’agit d’une maladie génétique et héréditaire, on nait avec la maladie. En conséquence, il n’y a pas de tranche d’âge particulièrement exposée à la drépanocytose. La drépanocytose n’est pas une maladie contagieuse mais elle est transmise par les deux parents.

Guineenews.org : il y a différents types de drépanocytose. Quel est ou quels sont les plus redoutables ?

Pr Jean Marie DANGOU : Il existe deux types de drépanocytoses : la drépanocytose hétérozygote (AS); la forme hétérozygote (porteur sain) est celle des sujets AS. La drépanocytose homozygote (SS), c’est la forme la plus grave. Les deux gènes de l’hémoglobine de la personne sont mutés. Les premiers signes apparaissent avant l’âge de deux ans, entre 12 et 18 mois.

Guineenews.org : quelle attitude un patient drépanocytaire doit-il adopter une fois le diagnostic posé ?

Pr Jean Marie DANGOU : Une fois que le diagnostic est posé, il faut initier le traitement de la drépanocytose qui est celui de l’anémie, des infections, de la douleur suite aux crises vaso-occlusives et aussi le traitement des éventuelles complications. Des transfusions sanguines sont souvent nécessaires.

La drépanocytose impose des règles d’hygiène de vie qui sont essentielles pour prévenir les complications et maintenir la qualité de vie malgré la maladie. Les drépanocytaires doivent éviter les activités qui augmentent leurs besoins en oxygène.

En cas d’apparition d’une autre maladie chez un drépanocytaire, il est recommandé de consulter rapidement un médecin. D’une manière générale, à cause du risque accru d’infections chez les drépanocytaires, les vaccins anti pneumococciques, méningococciques, antigrippaux et ceux contre Haemophilus influenzae de type B doivent leur être administrés. Les enfants reçoivent aussi de la pénicilline par voie orale entre 4 mois et 6 ans.

Guineenews.org : à quel âge un enfant drépanocytaire peut-il être considéré comme hors de danger ?

Pr Jean Marie DANGOU : Bien que le taux de survie des enfants drépanocytaires de moins de 5 ans est très bas, il n’y a pas d’âge pour ne plus être hors de danger lorsqu’on souffre de la drépanocytose. Des espoirs de guérison apparaissent avec la thérapie génique. Les mécanismes moléculaires de la maladie, et notamment le comportement de l’hémoglobine anormale, sont également étudiés afin de trouver des traitements permettant de limiter le déficit en oxygène. Les chercheurs essaient également de comprendre ce qui rend la maladie plus ou moins grave en fonction des personnes pour être capables de déterminer avant la naissance quelle sera sa sévérité.

Guineenews.org : nous avons ouï-dire que les crises drépanocytaires sont saisonnières. Cette assertion est-elle vraie ? Si oui quelles périodes de l’année les consultations sont-elles en hause ou en baisse ? Qu’est-ce qui peut expliquer ces variations ? 

Pr Jean Marie DANGOU : Les variations saisonnières qui ont été observées sont dues au fait qu’en fonction des saisons. Les enfants sont plus exposés à d’autres maladies comme la grippe et autres infections. La demande et les besoins d’oxygène peuvent aussi varier avec les saisons.

Guineenews.org : quels sont les pays africains où le taux de prévalence de cette maladie est le plus important et quelles sont les mesures prises pour lutter contre la drépanocytose ? 

Pr Jean Marie DANGOU : C’est la maladie génétique la plus répandue dans la Région africaine de l’OMS. Dans de nombreux pays africains, une proportion de 10 % à 40 % de la population est porteuse du gène drépanocytaire, et l’on estime à au moins 2 % le taux de prévalence de la drépanocytose dans ces pays. Cette prévalence atteint même 45 % dans certaines régions isolées de l’ouest de l’Ouganda.

Les pays africains à forte prévalence du gène S de la drépanocytose sont l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie, la RDC, le Congo, le Cameroun, le Gabon, la RCA, le Nigéria, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Madagascar, le Togo.

Les mesures prises par les pays pour lutter contre la drépanocytose incluent : la sensibilisation, le dépistage ciblé et néonatal, la prise en charge précoce, l’amélioration du traitement y compris au niveau des soins de santé primaire, la formation du personnel à tous les niveaux, l’adaptation des politiques et plans nationaux de lutte contre la drépanocytose et l’amélioration de l’accessibilité aux outils de diagnostic et de traitements.

Guineenews.org : qu’est-ce qu’il faut faire pour que ce taux soit au niveau le plus faible sur le continent. Y a-t-il un rôle particulier que les patients, les Etats ou les communautés peuvent jouer pour l’atteinte d’un tel résultat ?

 Prof. Jean-Marie DANGOU : Les pays ont consenti d’importants efforts pour lutter contre la morbi-mortalité de la drépanocytose avec l’aide de nombreux partenaires. Ces efforts doivent être poursuivis et renforcés. La drépanocytose demeure en Afrique, une maladie de l’ignorance et de la pauvreté qui stigmatise l’inégalité devant la souffrance et la mort entre pays riches et pays moins riches. Il est tout à fait possible qu’une mobilisation internationale associée à un engagement des politiques, soutenant des professionnels de la santé motivés, permettent la recherche ainsi que des programmes de formation et d’information de qualité, capables d’améliorer significativement la survie et la qualité de vie du drépanocytaire en Afrique. En particulier, le conseil génétique, le dépistage à grande échelle et la prise en charge précoce, l’accessibilité à des services de diagnostic et de prise en charge adéquate y compris psychosocial sont importants. Les gouvernements et autres parties prenantes y compris la société civile, les partenaires et les communautés doivent chacun en ce qui le concerne apporter leur pierre à l’édifice de la lutte contre la drépanocytose en Afrique.

Entretien réalisé par Mamadama Sylla 

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