Je n’ai jamais eu des nouvelles de lui (Kéita Fodéba), jamais. Quand on a quitté la maison de Landréa, je suis allée chez mon beau-frère.
Parmi les veuves des victimes du Camp Boiro, il y en a dont la parole publique est rare, voire rarissime. C’est le cas de la veuve de feu Fodéba Keïta. Dans un entretien accordé à Guineenews, Madame Keïta Marie Diakité, 86 ans, est revenue sur les conditions d’arrestation de son époux dont elle apprend officieusement le décès lors d’une rencontre à Yamoussoukoro, avec Sékou Touré, président de la République d’alors. Sans oublier le destin qui a conduit à sa rencontre avec son feu mari, par la magie artistique des ballets africains de Guinée, fruit de l’imagination de Fodéba Keïta, co-auteur de l’hymne national guinéen, ancien ministre de la République.
Guineenews© : Vous avez accepté de nous accorder cet entretien, pour faire un témoignage sur votre défunt époux, feu Fodéba Keïta. Qu’est-ce que vous avez à nous confier, sur votre regretté mari, qui fut un personnage clé de la Guinée à son indépendance ?
Madame Keïta Marie Diakité : En Afrique, tout le monde parlait des Ballets africains de Keïta Fodéba. Ça donnait envie de les voir.
C’est de Dakar que KEÏTA Fodéba est allé en France pour y créer les Ballets Africains.
Mon frère Louis Diakité, l’aîné de notre famille, était étudiant à Dakar. Les étudiants africains se retrouvaient au Sénégal pour préparer et passer le baccalauréat.
Et c’est là qu’il a connu Fodéba.
Ils étaient amis. Une année, pendant les vacances à la maison, au Mali, alors Soudan français, il a demandé à notre père de lui payer le voyage pour venir en Guinée, à Siguiri, chez Keïta Fodéba. Tout le monde parlait des ballets, mais à l’époque, on parlait de Fodé.
Plus tard, j’ai eu l’occasion d’assister à des manifestations des ballets parce qu’ils sillonnaient l’Afrique avant d’aller en Europe, après chaque recrutement que Fodéba effectuaitrégulièrement
J’étais alors au Dahomey (Bénin), où j’avais commencé à enseigner. (…) Nous avons connu le Bénin à cause de notre mère qui est béninoise. Au décès de notre papa, mes grands frères étaient en France, dont l’aîné, l’ami de Fodéba étudiait la médecine à Paris. Nous les plus jeunes et qui étions alors au Mali, en sommes partis, car notre maman a rejoint sa famille. Et quand l’aîné est venu en vacances,nous voir, il lui restait deux ans pour finir ses études. Il s’y était marié avec la sœur cadette de Mme DIOP Alhassane.
Il m’a dit, tu es en quelle classe ? Je lui ai dit que je fais la 4ème à l’ouverture prochaine. Il a dit, tu ne feras pas la 3ème ici. Je vais vous amener ta sœur cadette et toi. Je vais vous amener en France, pendant que j’y poursuis mes études.
Ainsi, j’ai été la première à le rejoindre, ma sœur cadette devait suivre. Je suis allée avec lui, à la fin de ses vacances. C’est donc en France que j’ai fait la troisième, et eu le BEPC. Je n’ai pas voulu y rester. Je lui ai dit que je retournais. C’est quand je suis revenue au Bénin et que j’ai commencé à enseigner comme institutrice adjointe, avec le (diplôme) de BEPC. Mais sur le chemin du retour au Bénin, j’ai séjourné à Dakar où j’ai passé quelques jours chezAlhassane DIOP, qui était mon beau-frère (sa femme et mabell
Fodéba et la troupe se trouvant à Dakar au moment où je suis passée par Dakar pour aller au Dahomey. Alhassane Diop il étant aussi l’ami de Fodéba j’ai eu à le connaître,ainsi que Ansoumane Touré. Ansoumane Touré était marié à Jeanne Martin Cissé. Ils résidaient aussi à Dakar. Fodéba et Ansoumane étaient tout le temps ensemble et venaientrégulièrem
Et chez mon frère, voilà encore les trois-là, Alhassane, Ansoumane et Fodéba qui étaient inséparable
C’est ainsi que nous nous sommes mariés, c’était en novembre 1958, après le référendum, dans la suite dupassage de De Gaulle.
Je ne connaissais rien de la politique et quand je me suis mariée, je ne travaillais pas. J’étais à la maison. Je n’étais au courant de rien jusqu’à son arrestation. Les choses me sont tombées dessus. Ce que je sais, c’est qu’il était tellement occupé, tellement pris qu’on n’avait presque pas de vie de famille. Le travail, le travail, le travail.
Quand il revenait du travail, c’était avec du monde. Il était tout le temps accompagné d’amis. Il était tout le temps en groupe quand il revenait à la maison. Des discussionsanimées et vives sur le pays, sur le travail à faire, les missions à préparer. Le seul moment où il y avait de la distraction et du répit, c’était après le repas.
En tout cas, il a été vraiment pris par le travail et les missions. La première mission, on venait de se marier. Après le référendum là, il était à la sécurité. Donc il fallait faire en sorte que tout fonctionne à nouveau, puis qu’on a dit que les Français avaient tout saccagé, il fallait toutrefaire, reconstruire le pays.
C’est face à cette situation et dans ces conditions qu’il est allé en mission dans les pays de l’Est, notamment en Tchécoslovaquie. La mission devait prendre du temps. Et avant son départ, je lui ai dit que je ne veux pas rester seule à la maison, puisque sa mission s’
Et c’est ce qui fut fait. Donc, c’est ainsi que j’ai été à Siguiri, j’ai vu la famille, j’ai fait des cérémonies comme ça peut se faire en Afrique.
Siguiri étant à proximité, j’ai même pu me rendre en famille à Bamako (parce mon papa était du Mali et ma mère du Dahomey) pour un petit séjour, puis je suis revenue à Siguiri l’attendre. Sa mission a duré. A son retour, il l’a fait savoir à son père et je l’ai rejoint ici.
Guineenews© : Vous avez dit que vous n’étiez pas au fait des choses dans l’administration et que l’arrestation tragique de votre époux vous est tombée dessus. A partir de ce moment, il y a eu une sorte de réveil douloureux. Comment avez-vous vécu cet événement et comment la suite s’est passée ?
Madame Keïta Marie Diakité : Franchement, je m’attendais à un jugement. (…)
D’abord, avant l’arrestation, il y a des gens qui appelaient souvent quand il n’était à la maison. Est-ce que Fodéba est à la maison ? Tout le monde demandait. Je disais pourquoi les gens posent des questions, s’il est à la maison. Ce sont des amis, des connaissances de la ville qui appelaient pour avoir des informations. Finalement, un jour, j’ai eu des vertiges, je suis tombée à la maison (…).
Je le lui ai fait savoir alors qu’il était déjà au travail. Je l’ai appelé pour lui dire que je ne me sens pas bien. Il a envoyé le chauffeur qui m’a amenée voir Sanoussy qui était directeur de l’hôpital de Donka. Ce n’était pas si grave, mais il fallait me placer des perfusions. Cela se passait à la maison. L’infirmière venait me les placer. A la fin, je les enlevais. Au deuxième jour, Fodéba rentre, il me dit qu’on a arrêté Kaman (Diaby). Je ne savais même pas ce qui se passait en ville. Il y avait peut-être des arrestations, mais ce jour-là, j’étais couchée, sous perfusion quand il est rentré me dire qu’on a arrêté Kaman. J’ai dit, ça c’est quelle histoire ? Qu’est-ce que Kaman a fait ? Il ne m’a rien dit de plus. Et puis, il m’a fait savoir encore que tel vendredi, il y aura un grand meeting, organisé pour je ne sais quoi. Tout ça, m’a trouvée là, alitée.
Au deuxième jour de perfusion, troisième jour, j’étais encore sous perfusion. Après le travail, il est venu, toujours accompagné. Ils mangeaient. Moi j’étais couchée, je les entendais au salon. Après le repas, il vient me dire, il est l’heure du meeting, je m’en vais chercher Alhassane (Diop) on va ensemble. J’ai dit d’accord, il est sorti. Et peu de temps après, ma perfusion était finie, je me lève, je voulais aller manger. Je me dirige vers la porte de sortie de la chambre. Je vois Alhassane Diop qui arrive. Il me dit, ne dis rien.
Les militaires viennent d’amener Fodéba, et il y a des gens qui viennent fouiller, ils cherchent des munitions. Je suis restée là devant la porte. A peine Alhassane Diop a fini de me dire ça, que je vois les militaires qui étaient derrière. C’était dans la journée. Aucune porte n’était fermée. Les chambres étaient ouvertes. Ils sont postés devant la porte etont dit : « bonjour, nous cherchons des munitions ». J’ai dit tout est ouvert.
Je voulais sortir, ils ont dit : « non, vous entrez, nous venons après vous ». Je suis entrée et me suis assise sur mon lit. Ils ont ouvert les armoires, fouillé partout. Ils me demandent sa tenue de telle couleur. J’ai dit tout est là. Ce que vous voyez, c’est ce que je connais aussi. Ils ont fouillé, ramassé. Et pendant que j’étais ainsi assise, quand ils étaient encore là, ma belle-sœur, l’épouse Bakary Keïta, jeune frère de Fodéba, qui est bien connue aussi, m’appelle.
Je décroche le téléphone. Elle me dit : « Marie, Marie, Marie, on a arrêté Bakary ». J’ai répondu : « d’accord ».
Elle insiste, je dis d’accord. Qu’est-ce que je pouvais dire ? Ma chambre était remplie (d’agents). Au vu de la situation, j’ai dit d’accord, puisque moi aussi Alhassane Diop venait de me dire qu’on a arrêté Fodéba, donc, elle a raccroché. Plus tard, elle m’a dit : « quand je t’ai répété que (Bakary est arrêté), tu m’as dit d’accord, j’ai compris que Fodéba était arrêté aussi ». Voilà, quand ils sont partis, je suis restée une semaine dans la maison.
Personne n’entrait, personne ne sortait. Ils ont fouillé partout. Et puis, il y avait des gens assis dans le magasin où il y avait toutes sortes de choses. Il y avait des livres, il y avait tout. Le magasin était grand. Les bandes magnétiques des ballets, les revues. Quand je me plaignais de temps en temps à Fodéba, lui disant : « ce magasin-là est trop plein de papiers ». Il répondait : « laisse-moi mes papiers. Quand je serai à la retraite, je dois écrire. Je veux même faire un film. Laisse tous mes papiers, ne touche à rien ».
Alors, ils étaient dedans à fouiller pendant des jours. Personne n’entrait. Quand mes visiteurs venaient me voir, ils étaient au petit portail, on se disait bonjour de loin, et ils repartaient.
J’ai dit aux gens qui étaient dans le magasin : « vous cherchez des munitions ou vous cherchez quoi ? Vous êtes là des jours. Personne n’entre, personne ne sort ». Ils m’ont répondu : « oui, tout ce qu’on regarde là, nous intéresse aussi. C’est des albums photo et tout ».
On est resté là, on a attendu qu’ils finissent. Quand ils sont partis, il fallait que je déménage de la maison de fonctionde la cité ministérielle. Donc j’ai envoyé demander à Sékou Touré, si je pouvais occuper une villa que Fodéba avait construite, pas loin de la cité ministérielle. J’ai reçu une réponse affirmative qui m’a fait déménager.
Mes enfants, ma belle-mère qui est venue rester avec moi dès qu’elle a appris l’arrestation, et moi, sommes donc allés dans cette villa à Landréa, où nous sommes restés 8 mois. C’était villa construite en forme de cases modernes que Fodéba avait fait construire. Un jour, c’était le mois de carême, j’étais sortie faire des courses.
Mon beau-frère Bakary lui avait été libéré début mai, après leur arrestation survenue le 21 mai 1969.
Je reviens à la maison, dès que je suis rentrée dans la cour, j’ai vu un gros camion rempli de militaires. Le chef était debout, à terre, il attendait. Ma belle-mère même a fait une crise quand elle a vu le camion de militaires. Elle était à jeun.
J’ai demandé au chef, qu’est-ce qui se passe ? Vous êtes venus m’arrêter ?
Il répond non, on peut aller au salon? J’ai dit on peut aller. On entre au salon, mon beau-frère Bakary y était assis.
Là, il me dit on peut aller dans la chambre ? J’ai dit pourquoi pas ? allons-y, persuadée que c’était pour m’arrêter. Je m’attendais à ça. Arrestation, arrestation, on arrête, on arrête les gens…
A partir du moment où Fodé même était là-bas.
Je lui dis : « vous êtes venus, pour m’amener aussi en prison »? On entre dans la chambre, et je lui demande, il ne disait rien. Je lui demande : « pourquoi vous ne dites pas la raison pour laquelle vous êtes venus ? c’est pour m’arrêter oui ou non ? » Il hausse la tête, il dit non. J’ai dit : « mais, qu’est-ce qui peut dépasser ça ? Arrêter quelqu’un l’amener en prison ? Dites-le ». Ses larmes ont commencé à couler. Alors moi je ne savais plus. « Si ce n’est pas pour arrêter, je ne sais pas ce qui pourrait être pire que ça, et qui vous empêche de me dire la raison de votre présence ».
C’est là qu’il me dit : « non, on m’a envoyé pour vous dire de déménager ».
J’ai dit : « ça seulement ? Essuyez vos larmes, et allez dire que vous avez accompli votre mission . Je commence dès aujourd’hui à faire mes bagages, parce que je m’attendais à une arrestation ».
C’est comme ça qu’on a quitté aussi cette maison de Landréa qui, jusqu’ici, je ne sais est dans les mains de je ne sais qui ? Nous n’arrivons pas jusqu’ici à récupérer cette maison-là.
Guineenews© : alors que c’était la maison personnelle de votre mari ?
Madame Keïta Marie Diakité : oui, j’ai même le décret d’attribution du terrain-là. Il a construit une grande case dessus. C’était à la mode. C’est Elhadj Fofana qui a fait sa propre case, j’ai eu envie d’avoir la même chose. Il a construit. J’ai le décret d’attribution de ce terrain-là. Je ne sais pas si un jour, on aura le temps de récupérer cet endroit-là.
Guineenews© : pendant le séjour carcéral de votre époux, est-ce que vous avez eu des nouvelles de lui ? Est-ce que vous savez ce qui s’est passé le concernant ?
Madame Keïta Marie Diakité : je n’ai jamais eu des nouvelles de lui, jamais. Quand on a quitté la maison de Landréa, je suis allée chez mon beau-frère. Mon beau-frère avait été emprisonné aussi. Il est resté un mois ou 50 jours, il a été libéré. C’est quand il a été libéré-là qu’il nous a trouvés dans la case à Landréa. Et quand on m’a fait quitter la case, c’est lui qui nous a hébergés. Il ne travaillait plus. Il avait perdu son emploi. Son épouse, sage-femme avait perdu son emploi, parce qu’on a voulu l’envoyer à l’intérieur du pays, elle a dit non. Il y avait les enfants… Moi, les enfants, plus ses enfants à lui plus ma belle-mère nous étions tous chez mon beau-frère là-bas, dans deux (2) chambres et salon.
Pendant le temps que j’étais dans notre villa, on avait des amis qui avaient le courage de venir me dire bonjour. Ils n’étaient pas nombreux, et les plus réguliers, presque quotidiens, étaient : Madigbè Cissé, commissaire Mama Fofana, Kouyaté Sory Kandia, Diop Alhassane, Kaba Mory…. Il venait, nous apportaient des vivres, bref, c’étaient les plus courageux. Beaucoup même, quand ils me voyaient, ils détournaient le regard. Ils faisaient semblant de ne pas me voir, ils passaient par un autre chemin. On a vu tout ça. Pendant tout ce temps que j’étais là-bas, je n’ai pas entendu une fois, je n’ai pas eu de nouvelles de mon mari.
C’est d’autres qui véhiculaient des rumeurs,
Siaka a dit ci, Siaka a dit ça. J’apprenais (comme ça), mais moi directement non. Je n’ai pas eu des nouvelles de lui. Pas du tout.
Guineenews© : vous avez vécu dans ces conditions, on ne le dira jamais assez, difficiles. Vous avez appris son décès quand ?
Madame Keïta Marie Diakité : longtemps après. C’est à la fin de l’année, parce que Madigbè qui venait nous voir disait qu’on va les juger. Beaucoup de gens le disaient aussi. Donc, on attendait un jugement. J’attendais quand j’ai une sœur qui m’a écrit une lettre pour me dire que notre maman était gravement malade au Dahomey. Donc, j’ai dit à mon beau-frère qu’il faut que je parte, même si c’est pour deux semaines. « Il faut que j’aille voir ma mère, parce que le jugement dont on parle là, je ne le vois pas venir. Et ma mère étant gravement malade comme on me le dit, il faut que je la voie. Je vais aller même si c’est pour deux semaines.
Donc, demandez l’autorisation de sortie pour moi ». Alhassane Diop et Bakary sont venus me dire, on a vu Sékou Touré, il est d’accord. Donc tu vas partir. C’est comme ça que je suis partie, au mois de février. L’année était finie maintenant. On les a arrêtés en mars. A la fin de l’année il n’y a rien eu comme jugement. On m’a établi un sauf-conduit de trois mois. Donc je suis partie, sans rien prendre. Les enfants étaient à l’école. C’était au mois de février de l’année suivante, 1970. J’ai transité par la Haute-volta (actuel Burkina Faso) où j’ai ma sœur cadette mariée qui vivait là-bas. On s’est vu. J’y ai passé une nuit. Elle n’était même pas au courant de la maladie de la maman. Quand je lui ai demandé, elle dit, je n’ai pas des nouvelles. J’ai dit bon, je vais aller les surprendre voir si c’est vrai ou faux, qu’elle est malade ou pas.
Donc, le lendemain j’ai pris mon avion, je suis allée à Cotonou, elle étant à Ouida, j’ai pris la route, je suis allée comme j’ai dit, je l’ai surprise. Ce n’était pas alarmant. Elle se faisait des soucis, elle voulait me voir c’est tout, parce qu’elle n’avait pas des nouvelles. Et puis, ce sont des mauvaises nouvelles qu’on apprenait de la Guinée, au Dahomey comme au Mali (la famille du Mali aussi). Je suis restée avec elle quand même. J’ai passé les trois mois là-bas. Après, elle m’a dit, il faut partir parce qu’il y a les enfants là-bas. Je pars de là-bas, j’atterris à Bamako, dans la famille, pour y passer quelques jours.
Je m’apprêtais à prendre l’avion pour Conakry quand les parents se sont mis à pleurer.
J’avais un frère là-bas qui connaissait bien la Guinée pour avoir travaillé ici. Il était même commandant d’arrondissement ici, avant de rejoindre le Mali indépendant. Me rendant visite chez ma tante où je logeais,il a trouvé celle-ci en pleurs et lui a demandé ce qui se passe. Elle lui a dit : « voilà, elle veut partir, elle a fait sa valise, elle veut retourner à Conakry ». Donc mon frère connaissant ici m’a dit : « c’est mal connaître Sékou Touré. Tu veux retourner là-bas, tu as sur ton sauf-conduit trois mois, tu as dépassé le délai. Tel que je connais Sékou Touré (je connais la Guinée parce que j’ai travaillé là-bas) si tu t’en vas, tu descends de l’avion, Sékou Touré va te faire amener à Boiro. Ils viendront t’accueillir à l’avion, on va te conduire à Boiro. Tes beaux-parents ne sauront pas que tu es en Guinée. Nous déjà, on n’a pas de nouvelles, il n’y a pas courriers. Tu seras à Boiro et personne ne saura que tu es là-bas. Sékou va trouver des arguments, il dira que tu as contacté des gens au Dahomey, au Mali, en Haute-Volta. Tu as fait ces trois pays-là. On trouvera quelque chose contre toi ».
La nuit, j’ai beaucoup réfléchi et puis je me suis dit qu’il faut que je prenne une décision. J’ai vu mon beau-frère qui ne travaillait pas, ma belle-sœur qui ne travaillait pas, ma belle-mère est restée avec moi, elle a refusé de rentrer à Siguiri. Chaque fois que je lui disais de rentrer parce que l’attente est longue, elle ne voulait pas, elle dit tant que tu es là, je ne bouge pas. Les enfants, les enfants de mon beau-frère, dans une maison deux chambres et salon, j’ai dit qu’il vaut mieux que je reste dans la famille à Bamako pour chercher à faire quelque chose, je ne veux pas retourner et être à la charge de la belle-famille là-bas. Et j’ai pris la décision de rester.
C’est comme ça que je ne suis pas revenue. Je suis restée à l’extérieur, et je ne suis revenue qu’après la mort de Sékou Touré. À Bamako, j’ai décidé de me recycler et me suis inscrite à l’école de sage-femme, pour une formation surtrois ans.
Dès que j’ai pris cette décision, l’aîné et le benjamin de mes frères, tous deux vivant en Côte d’Ivoire, se sont entendus pour me faire un virement par mandat tous les mois, ce qui me permit de prendre logement et de subvenir à mes besoins, avec un revenu équivalent à un bon salaire de fonctionnaire malien.
Et pendant que je faisais ces études, j’ai eu la chance d’avoir mes enfants que j’avais laissés ici. Ils étaient trois ma fille Hawa, son frère Sidikiba, et une fille d’une de ma belle-sœur que les parents m’avaient donnée. Ma belle-mère les avait pris pour les amener à Siguiri. Siguiri n’est pas loin de Bamako. Donc mon beau-père, ma belle-mère, et moi correspondions souvent quand j’ai décidé de rester là-bas.
Ils ont un oncle qui faisait Bamako-Siguiri. C’est grâce à cet oncle-là que les enfants sont venus à Bamako, au Mali. Je les ai mis à l’école là-bas. (…) Après l’école de sage-femme de Bamako, mon frère qui avait travaillé ici (c’était son premier poste de médecine – chirurgie). Il a fait Conakry, Kankan, il est allé au Mali, ensuite il a eu à faire encore des stages en France était alors en poste à Bouaké, en Côte d’Ivoire. Donc quand j’ai terminé mes études de sage-femme, je suis allée à Bouaké pour travailler comme sage-femme. Et jusqu’à la mort de Sékou Touré, j’étais à Bouaké. (…)
Guineenews© : A la disparition de Sékou Touré, les langues se sont déliées. Les gens ont dû parler. Finalement, est-ce que vous avez appris quelque chose, au-delà de ce que tout le monde sait en ce qui concerne les conditions de détention de votre mari ? Et pour ce qui est de ses biens dont vous avez été dépossédés, est-ce qu’il y a eu des démarches pour les récupérer ? Et qu’est-ce qu’il y a eu comme résultat ?
Madame Keïta Marie Diakité : d’abord, avant tout cela, pendant mon séjour au Mali, à Bamako, j’avais l’occasion de voir certaines personnes qui connaissaient la Guinée, et peut-être qui connaissaient aussi la réalité.
Quand on me dit un jour : « ah du courage, ton mari est vivant. Sékou Touré n’a rien fait à aucun des prisonniers. Sauf celui qui meurt de maladie. Du courage, du courage ». Ça me donnait l’espoir. Ensuite, peu de temps après, d’autres gens aussi, qui sont de passage, et qui viennent de Guinée te disent : « qu’est-ce que tu attends encore ? Toi aussi… ». Je les prenais pour des ennemis qui me veulent du mal parce qu’à l’extérieur, on apprenait que telle femme s’est remariée et puis, une nuit, on a libéré son mari. On l’a sorti de prison, on l’a amené à son domicile…
Plus tard, j’ai eu l’occasion de savoir que cela était vrai parce qu’il y a un responsable guinéen qui a fait la prison. On a fait savoir à sa femme que son mari était mort. Le mari a été libéré plus tard. Et vraiment, c’était foutu. C’est le mari même qui me l’a raconté. Il est allé rejoindre un de ses fils à sa sortie de prison, dans un pays étranger. Il m’a dit, voilà, on m’a libéré la nuit. Et c’est un ami à lui qui avait épousé sa femme. Il y avait un contrat entre les deux. La femme a raconté cela à son mari après. Mais, qu’il a dit à son épouse, ce n’est pas grave. Vous pouvez continuer ensemble. Il a donné les colas à ses beaux-parents, il a libéré sa femme. C’est vrai qu’on agissait comme ça. Ça a dû arriver à d’autres femmes ici.
Donc quand c’est comme ça, un jour on te dit du courage. Après, un autre jour on te dit qu’est-ce que tu attends?
Quand je suis venu en Côte d’Ivoire, je pensais rencontrer Houphouët Boigny. Je me suis dit que lui, il est censé savoir la vérité. Mais je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer. Des personnes intermédiaires me disaient que c’est une affaire réglée depuis longtemps. Jusqu’en 1979, ça faisait dix (10) ans (69-79), Sékou Touré est parti à Abidjan là-bas, rencontrer Houphouët. Je suis allé à Yamoussokoro, avec les enfants. Sidiki n’étant pas là-bas, je suis allé avec Hawa et une de mes nièces qui porte le nom d’Andrée Touré.
C’est la dernière fille de mon grand frère qui a servi ici comme chirurgien. Sa maman m’a dit : va avec Andrée, vous verrez en même temps sin homonyme là-bas. Elles étaient deux avec moi. Je suis allée. Dès que je suis rentrée dans le salon du président Houphouët, j’ai vu le groupe de femmes dont Jeanne Martin, madame Guichard qui était sage-femme, qui a fait l’école des sage-femmes avec Houphouët à Dakar, et d’autres femmes. De loin là-bas, il y avait un autre salon où se trouvaient Ismaël (Touré), Moussa Diakité et d’autres.
Ils attendaient Sékou Touré et Andrée qui n’étaient pas encore descendus comme a dit Ismael, parce que de loin, il m’a vue quand je me suis assise avec les dames de la délégation, les Jeanne Martin et autres. Il s’est levé et est venu à moi. Il m’a dit bonjour, je lui ai dit bonjour. Il me tire par la main, pour m’amener dans leur cercle là-bas. Il me dit, allons en famille. J’ai dit en famille où, ça ? Il dit Sékou va descendre, Andrée va descendre, allons en famille. Il y a tel, tel là-bas. J’ai dit, je reste ici. Il m’a dit, allons en famille. Il m’a tiré de force, je n’ai pas continué la résistance, on est parti. Sékou Touré est descendu, Andrée est venue. J’ai salué et puis, Sékou me prend encore par la main. Il m’amène dans un grand salon où il y a des petites pièces, aménagées en salon privé tout autour.
Lui et moi on est resté dans un de ces salons privés. Pas loin de nous y avait d’autres ministres et officiels. Parmi ceux-là, il y avait Béavogui, il y avait l’ambassadeur Sadamoussa, entre autres.
En tête à tête j’ai dit : « bon, Sékou, est-ce que je peux savoir maintenant la vérité ? Ça fait dix (10) ans que nous sommes dans l’incertitude, dans le doute. Je veux savoir maintenant la vérité, c’est-à-dire, il est mort, il n’est pas mort, où se trouve sa tombe ? Est-ce qu’on peut savoir la vérité » ? Tout de suite il me dit : « ah ! tu ne sais pas ? Demain, on va partir ensemble, tu vas voir dans les archives ». J’ai dit : « Sékou, ce que tu ne peux pas me dire toi-même, tu me dis d’aller voir les archives »? J’ai dit :« la nuit-là, je retourne à Bouaké ». Il dit : « non, tu ne pars pas. Quand est-ce que tu prends ton congé »? J’ai dit : « je prends mon congé au mois de juin ». Il dit : « il faut le prendre au mois de juin ». J’ai dit : :non, c’est au mois de juin, parce que je viens de congé comme ça ». Il dit :« non », et appelle Sadan
Guineenews© : à votre avis, vous a-t-il appelée madame Diakité par erreur?
Madame Keïta Marie Diakité : Sékou Touré ? Ce n’est pas par erreur, c’est exprès. (…) parce qu’il dit :« Houphouët va descendre tout à l’heure, je vais lui demander la permission. Tu vas partir demain ». J’ai dit :« non, Houphouet n’est pas mon ministre. Mon patron, c’est le ministre de la Santé. Il faut que je sois à mon poste demain ». Entre-temps, le président Houphouet est descendu, il me le présente, il dit : « Madame Diakité ». Mais le président Houphouet connaît, parce que mon père a été son camarade de promotion à l’école, comme madame Guichard. Et à cause de ça, il s’est bien occupé de mon frère aîné, le chirurgien. Il faisait tout pour lui. Mais moi, malheureusement quand je suis venue, je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer. J’ai appris plus tard qu’il avait dit au maire de Bouaké (Djibo Soungalo), de s’occuper de tout ce qui concerne la famille Diakité à Bouaké. C’est pourquoi quand je suis venue, Soungalo Djibo m’a trouvé un logement.
A suivre…
Entretien réalisé par Thierno Souleymane