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Karamo Nabé, Coord./RPG Europe: «le seul langage que cette junte entend, c’est celui de la force» (entretien)

La libération des leaders du front national pour la défense de la constitution (FNDC), tard dans la nuit du mercredi 10 mai, continue de susciter des interrogations au sein de l’opinion nationale. Du côté de l’ancien parti au pouvoir, le RPG Arc-en-ciel, c’est le coordinateur Europe qui s’est prêté à nos questions. Dans un entretien téléphonique accordé à Guineenews, Karamo Nabé se réjouit certes de la liberté recouvrée par Foniké Menguè, Ibrahima Diallo et Billo Bah. Mais pour autant, il rejette la manière. Et pour la suite, ce responsable du RPG qui privilégie les manifestations et autres pressions sur les militaires au pouvoir à Conakry, reste peu optimiste quant au résultat que pourrait produire la médiation des leaders religieux. Lisez !

Guinéenews: comment avez-vous accueilli la libération des responsables du FNDC ?

Karamo Nabé: nous sommes très heureux qu’ils soient libérés parce que pour nous, il n’y avait aucun motif pour les maintenir en prison. Donc nous pensons que leur libération est une très bonne chose. C’est la manière que nous condamnons parce nous voyons effectivement qu’il y a une immixtion du pouvoir politique dans le système judiciaire. Et qu’en réalité, il n’y a plus de justice en Guinée. Tout dépend de la volonté du chef. Ils (les militaires au pouvoir ndlr) ont essayé de monnayer leur libération contre l’arrêt des manifestations. Ce que les intéressés avaient d’ailleurs refusé dans un premier temps. Pour nous en tout cas, le doit devrait être dit depuis longtemps, il n’y avait aucun motif pour les maintenir en prison… Donc nous accueillons d’une part avec un grand soulagement leur libération et d’autre part nous condamnons fermement l’immixtion du pouvoir dans les décisions judiciaires.

Parlant des conditions de libération, il y a quand même à noter l’intervention des leaders religieux qui s’activent pour aplanir les divergences et amener le pouvoir et l’opposition que vous constituez à parler d’une même voix afin qu’il ait un consensus. Est-ce que cette libération ne peut pas être dans ce cadre-là ?

Karamo Nabé: nous pensons que les leaders religieux ont fait ce qu’ils avaient à faire. Même si, bien que nous ayons un grand respect pour ces leaders religieux, nous pensons qu’ils connaissent la vérité. Ils savent de quel côté il faut peser. Ils savent que tout le problème vient de la junte, que les acteurs de la société civile et les partis politiques n’ont pas grand-chose à se reprocher. Aucun des préalables évoqués n’a été rempli. S’ils (les gouvernants) étaient allés à l’essentiel dès au départ, peut-être qu’on n’en serait pas là aujourd’hui.

Pour la suite, est-ce vous voyez les leaders religieux réussir à amener le pouvoir à fléchir et à faire libérer les détenus politiques, puis à accepter un dialogue avec les partis politiques qui ne sont pas encore autour de la table du dialogue ?

Karamo Nabé: non, nous n’y croyons pas du tout. On n’a jamais cru en cette junte. Et nous ne pensons même pas que c’est la médiation des leaders religieux qui ait about à cette libération. C’est plutôt la situation de crispation totale dans le pays et le fait que la malgouvernance ait atteint son paroxysme. Les gens souffrent. Il y a des problèmes d’électricité, d’eau… pendant qu’il y a les responsables de la transition qui roulent dans des grosses cylindrées. Aujourd’hui, le seul langage que cette junte entend, c’est le langage de la force. Et au-delà des manifestations, il y a aussi les syndicats les enseignants contractuels. Il y a aussi un malaise total dans l’armée qui a about récemment à la dissolution du bataillon spécial de la sécurité présidentielle, de cette brigade d’intervention rapide du côté de Soronkoni et beaucoup d’autres problèmes. Malgré les propos fallacieux du général Sadiba, tout cela s’est matérialisé par son limogeage deux fois en 24 heures. Nous pensons que la junte commence à prendre peur et c’est ce qui amène la junte à cette décrispation. La médiation des leaders religieux n’a rien à voir avec ça et que cette dernière n’aboutira pas. Pour nous, le seul langage que cette junte entend, c’est le langage de la force et c’est aux Guinéens, seul aux Guinéens de prendre leur responsabilité. Que ce soit des acteurs civils, de l’armée ou des partis politiques de faire de sorte que cette pression fasse changer les choses pour toujours, puisque dès que ces gens-là ont un petit recul, ils vont encore frapper plus fort.

Guinéenews: cela veut dire donc que du côté des partis politiques, notamment au RPG, vous n’entendez pas lâcher prise, vous décidez de continuer la pression ?      

Karamo Nabé: je ne pourrai parler au nom de tous les partis politiques. Mais en ce qui concerne le RPG, principalement la coordination RPG Europe, je l’ai dit, nous n’avons jamais cru en ces gens-là. Nous ne leur croirons jamais. Nous pensons que la pression va continuer, notamment au niveau des institutions internationales où nous faisons un travail en ce qui concerne l’Europe ici. Et puis la pression doit continuer en Guinée parce que ces gens-là ont besoin d’un petit répit pour repartir plus fort. C’est pourquoi il faut mettre la pression et les pousser jusqu’à la lie.

Guinéenews : cela dit, la pression que vous préconisez, c’est aussi les manifestations sur le terrain qui ne sont pas sans conséquences, il y a beaucoup de morts et de blessés.

Karamo Nabé: effectivement, nous déplorons cela. Vous savez, la vie du Guinéen est tellement chère que personne n’a intérêt à ce qu’il y a un seul mort. Mais on a affaire à des gens qui n’entendent que ce langage-là. Imaginez qu’on les laisse faire. Vous voyez la Guinée vivre ce mode de gouvernance pendant les dix prochaines années ? Non. Il y aura beaucoup plus de victimes encore. Nous sommes dans une situation où nous sommes les seuls responsables de ce qui nous est arrivé en applaudissant ce coup d’Etat. Il est maintenant temps pour nous de faire en sorte que cette situation prenne fin. Si les burkinabés se sont battus et tout le monde connaît la puissance de Blaise Compaoré, ils ont réussi à le faire partir. Si les Soudanais se sont battus pour faire partir Oumar Elbéchir… Il y a d’autres exemples comme ça dans le monde. Ces gens-là paieront le prix de ce qu’ils font tôt ou tard. Ils sont en train de faire juger ceux qui ont commis des atrocités le 28 septembre, cela ne leur a donné aucune leçon. Donc qu’ils sachent que tôt ou tard, ils seront jugés, ils rendront compte au peuple de Guinée. Malheureusement, cela passe forcément par ces manifestations. Il vaut mieux souffrir quatre, cinq jours que de souffrir toute une décennie.

Guinéenews: que répondez- vous à ceux qui disent que le mode de gouvernance des militaires est la suite logique de la politique de gestion de votre parti, le RPG ?

Karamo Nabé: ceux-là sont complètement dans l’erreur. Ce sont eux plutôt qui ont contribué à duper le peuple de Guinée en faisant croire qu’en prenant le pouvoir, l’armée mettait fin au troisième mandat du président Alpha Condé alors que la Guinée avait amorcé un élan de développement. Si le troisième mandat était le motif, il n’y aurait pas de coup d’Etat au Mali puisque le président était à son second mandat. Il y aurait plutôt de coup d’Etat en Côte d’Ivoire. Nous pensons que ce sont des hypothèses fallacieuses. Déjà, ce sont des militaires qui n’ont rien à voir avec un régime civil et démocratique. En plus, les violations que la Guinée connaît actuellement, que ce dans le domaine des libertés publiques, en matière de liberté de la presse ou au niveau des acteurs de la société civile, la Guinée n’a jamais connu cela. Même sous les précédents militaires pendant la transition du capitaine Dadis ou le Général Lansana Conté avant.

Entretien réalisé par Thierno Souleymane   

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