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Kankan : Salahadeen Diallo, commandant de l’OPROGEM explique les difficultés de son service (Interview)

Les violences basées sur le genre (VBG) tels que le viol sur mineur ou l’exploitation économique des enfants ainsi que la présence persistante des gamins talibés dans les rues pendant les nuits, sont parmi tant d’autres des phénomènes qui sont fréquents à Kankan. Face à toutes ces formes de violation des droits des enfants qui se passent à ciel ouvert, on dénote une faible voire aucune réponse ferme allant dans le sens de la répression de la part des autorités locales. Pour en parler, nous sommes allés à la rencontre du chef d’antenne de l’Office de protection du genre, de l’enfance et des mœurs, Salahadine Diallo. Il répond aux questions de notre correspondant local.

Guineenews© : bonjour monsieur ! Vous êtes le commandant du service de l’OPROGEM à Kankan. Pour commencer notre entretien, dites-nous le rôle de service à Kankan ?

Salahadeen DIALLO: d’abord l’OPROGEM, c’est l’Office de protection du genre, de l’enfance et de mœurs. L’OPROGEM a des missions. Nous sommes chargés de lutter contre les infractions commises sur les femmes et les enfants. Quand on parle du  genre, ce n’est pas seulement que les femmes qui sont concernées, le genre ça engage aussi les hommes. Mais comme les plus vulnérables sont les femmes et les enfants, c’est pour cela que ce sont elles qui viennent ici la plupart du temps chez nous pour porter plainte. Nous recevons plusieurs cas de violence basées le genre dont entres autres les violences conjugales, les violences psychologiques, les violences morales, les injures, les diffamations et souvent nous recevons aussi des affaires de traites des enfants, les mutilations génitales féminines ou de mariages précoces mais surtout les cas de viol…

Guineenews© : En terme de chiffre, quelles sont les statistiques de l’année 2021 ?

Salahadeen DIALLO : par rapport au viol, puisque c’est le cas le plus répétitif, dans la région de Kankan, il y a eu plus de 64 cas de viol enregistrés uniquement que sur des mineurs c’est  à dire des enfants de 0 à 14, et 15 ans. Cette année, on a enregistré une recrudescente des cas de viol sur les mineurs. En ce qui concerne les cas de mutilations génitales féminines, le plus souvent, les parents les cachent. Quand on est interpellé à notre arrivée sur le terrain, on trouve à chaque fois que les présumés auteurs et victimes ont disparu. Ils savent qu’en cas d’interpellation, ils seront directement déférés devant monsieur le procureur donc ces cas sont cachés. Ce qui revient à dire que cette année on n’a pas enregistré de cas d’excision. Mais cela ne veut pas dire que la pratique est révolue. En ce qui concerne l’exploitation des enfants c’est-à-dire des mineurs nous en avons interpellé des citoyens.  Cette année, nous avons géré 3 à quatre  cas d’exploitation des enfants.

Guineenews© : Vous venez de le dire vous-même, le viol a atteint son paroxysme à Kankan. Qu’est ce qui expliquerait cela ?

Salahadeen DIALLO : dans la plupart des cas, les violeurs connaissent bien leur victime. C’est même souvent un membre de la famille ou alors du voisinage. Souvent vous voyez des gens disent aux petites filles ‘’c’est ma femme’’, ils donnent les 5 000 FG, 10 000FG aux enfants et un jour ils vont dire attendez je vais aller me promener avec ma femme. Vous ne savez pas où l’intéressé va envoyer votre enfant. Donc ce sont des choses qu’on néglige qui provoque facilement le viol des mineurs. Les parents ne devraient pas accepter cela. Il faut qu’ils prennent leur responsabilité pour interdire ça et d’interdire même aux enfants de prendre de l’argent avec les garçons. Pour cela nous demandons aux parents de veiller sur leurs enfants parce que le violeur n’est jamais loin il est toujours à côté.

Guineenews© : les pires formes d’exploitation des enfants se font à Kankan à ciel ouvert.  On voit les enfants dans les marchés même en cette  période de cours. On a comme l’impression que l’OPROGEM fait semblant de ne rien voir. Comment expliquez-vous cette réalité ?

Salahadeen DIALLO : nous avons interpellés certains parents par rapport à ça. Lorsque nous les interpellons, nous leur disons que ce qu’ils font n’est pas bon et en réponse, ils nous disent que c’est leurs enfants. On dit que votre enfant doit aller à l’école. Au fait, le plus souvent quand nous nous  saisissons de ces dossiers,  il y a toujours des pressions sociales qui s’imposent. Vous allez voir un imam ou un sage qui  vient vous dire des choses…donc pour finir, ils signent des engagements qu’ils ne répéteront plus, mais après ça on voit les mêmes enfants partout dans les marchés.  Quoique, nous sommes passés sur plusieurs médias de la place pour sensibiliser les parents sur l’éducation des enfants. Après cette série de sensibilisation, nous allons prendre notre bâton de pèlerin pour commencer à arrêter les parents récalcitrants.

Guineenews© : Restons sur le même sujet pour évoquer le phénomène des enfants talibés qui se développent peu sous vos yeux dans la commune urbaine de Kankan et que dire aussi du cas de ces enfants qui sont exploités dans les mines notamment à  Mandiana et à Siguiri ?

Salahadeen DIALLO : ce sont là de tristes réalités. Nous avons des agents représentants de l’OPROGEM dans toutes  ces préfectures. L’antenne de Kankan est régionale. Donc nous allons coordonner nos actions pour, comme je vous le disais, lancer une campagne de répression qui n’épargne pas ces concessions minières de la région dans lesquelles les enfants sont exploités. Pour cela nous serons accompagnés du gouverneur, des préfets et des procureurs des localités concernées. Le cas des enfants talibés, moi-même je le confirme, ça existe bel et bien à Kankan. Ils viennent des zones rurales. Les parents durement touchés par la pauvreté les confient dans les foyers coraniques. Et ces maîtres coraniques les laissent aller se débrouiller en quémandant dans les rues et ce, pendant la nuit. C’est une triste réalité, que nous avons aussi du mal à combattre à cause des pressions sociales. Mais j’ai déjà informé ma hiérarchie à propos de cette situation. Donc des dispositions seront prises. Car c’est comme ça, que ces enfants que vous voyez, deviennent des malfaiteurs notamment même des potentiels violeurs…

Guineenews© : Nous arrivons au terme de cet entretien, quel est votre mot de la fin ?

Salahadeen DIALLO : c’est de demander à qu’on accepte que les lois soient appliquées. Les lois sont bien élaborées mais l’applicabilité fait défaut. Dès que vous intervenez sur certaines infractions vous allez voir qu’il y un sage, un imam, un administrateur, un ministre ou directeur qui vous appelle c’est mon parent il faut gérer ça comme ça. Franchement, cela nous fatigue beaucoup. Normalement, les lois sont bien rédigées, nul n’est censé les ignorer. Au cours d’une réunion en marge de la célébration des 75 ans de l’UNICEF, madame la ministre de la promotion féminine et des personnes vulnérables nous a garantie qu’aucun administrateur ne doit s’ingérer dans les affaires surtout les cas de viol parce que le viol est criminel.

Donc cette garantie est là, c’est à nous maintenant de bien faire le travail et d’appliquer les lois, les dossiers de viol que nous transférons à la  justice. Que les lois soient rigoureusement appliquées contre les présumés violeurs. Il n’y a qu’à ce prix qu’ils vont nous encourager. Mais si vous faites bien votre travail et que ce travail est saboté vous voyez ce que ça fait.

Par ailleurs, il y a beaucoup de moyens qui manquent à notre service. On n’a pas de locaux et d’hommes, nous sommes obligés d’utiliser les bureaux et les agents de la sûreté de police pour faire nos missions. En plus de cela aussi, il n’y a pratiquement pas d’équipement. C’est le devoir de défendre le serment de protéger les personnes vulnérables que nous avons fait, qui nous motive à travailler.

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