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Kankan : entretien avec un spécialiste autour de l’épidémie de la rougeole

Environ 60% des enfants que nous consultons depuis le début de l’année souffrent de la rougeole. Face à une telle situation, en temps normal on devrait rendre les traitements et la prise en charge gratuits

La rougeole est une maladie virale très contagieuse qui affecte les enfants et qui se transmet facilement à travers l’air. Actuellement, plusieurs zones de la Haute Guinée semble touchées par l’épidémie. C’est le cas à Kankan où on assister à une flambée des cas.

En marge d’un long entretien accordé à notre rédaction dans son bureau ce samedi 26 mars 2022, le docteur Maurice Tinguiano, chef du service pédiatrique de l’hôpital régional de Kankan, tire la sonnette d’alarme. Voici en intégralité l’interview.

Guineenews : Bonjour Dr Tinguiano ! Nous vivons une période particulière à Kankan, beaucoup d’enfants sont victimes de la rougeole.  Dites-nous qu’est ce que c’est  quoi la rougeole ?

Dr. Maurice Tinguiano : La rougeole est une maladie connue depuis l’antiquité qui a déjà fait beaucoup de ravages dans le monde. Et c’est une maladie des enfants. Ça prend les enfants de 0 à 15 ans et quelquefois au-delà. Elle se transmet à travers un petit microbe qu’on appelle aussi virus et se manifeste notamment par la fièvre et l’apparition des boutons sur le corps. La rougeole à cause de son caractère épidémiologique, fait partie des maladies sous surveillance et à déclaration obligatoire.  C’est-à-dire que dès qu’il y a un cas, il est impératif d’alerter le service national de la prévention.

Guineenews : Mais qu’est ce qui est l’origine de la rougeole ? Comment contracte t-on son virus ? Et quels sont les symptômes ?

Dr. Maurice Tinguiano : L’agent qui cause cette maladie, le virus de la rougeole, il est aérien. Il ne se contracte pas par l’eau, ni par les aliments que nous consommons mais plutôt à travers l’air que nous respirons et les sécrétions que les malades émettent. Par exemple, un rougeoleux a le nez qui coule. Il a des yeux rouges avec des larmes et il tousse beaucoup. Donc c’est à partir de ces sécrétions à savoir l’écoulement nasal, les larmes et les gouttelettes de toux, que le malade émet les virus, et ces virus circulent dans l’air et compte tenu de la promiscuité des lieux que fréquentent beaucoup les enfants surtout les écoles, les foyers surpeuplés etc. les risques de contamination sont énormes.

Guineenews : Nous sommes au mois de Mars, un mois de grand soleil. Et c’est souvent  en cette période de l’année à Kankan, que les cas de rougeoles deviennent récurrents. Quelles peuvent être les raisons ? 

Dr. Maurice Tinguiano : D’abord, il faut rappeler qu’en Guinée, pendant pratiquement une vingtaine d’années, on avait l’impression que cette rougeole avait disparu. Puisqu’à ma connaissance de 1985 à 2000, on ne comptait presqu’aucun cas par an. Il faut dire qu’à l’époque, le programme national de vaccination avait mis un système apparemment efficace. La vaccination était systématique pour les enfants et la population était maîtrisée à  tel point qu’on a cru avoir éradiqué la rougeole. Maintenant que cette vaccination a tendance à être abandonné, c’est ce qui explique d’abord cette recrudescence des cas.

Mais deuxièmement, par rapport à la période, il faut dire que ce virus n’est pas un virus qui ne se développe pas dans l’humidité. C’est un virus qui vit dans les milieux secs. En période de grandes pluies par exemple, le virus ne peut pas se multiplier. Mais c’est tout le contraire lorsque la période de chaleur intervient. Il faut également savoir que ce virus affaiblit l’organisme. A cause de la chaleur, les  microbes saprophytes qui vivent avec nous sans nous causer de danger, le virus vient et agit sur ces facteurs de résistance. Pendant cette période, les parasites et les bactéries de toutes sortes profitent pour se développer.

 Guineenews : Alors la rougeole n’est pas la seule épidémie qui se développe en cette période. La COVID aussi est-elle concernée ?

Dr. Maurice Tinguiano : Oui parce que ce sont toutes des maladies à type grippal. Donc, cette période est plutôt favorable pour les virus qui provoquent de la grippe y compris celui de la COVID et de la rougeole. Mais paradoxalement il faut le signaler, le virus de la COVID ne répond pas forcément à une périodicité ou à une atmosphère climatique comme celui de la rougeole.

Guineenews : Comparativement aux années antérieures que pensez-vous du niveau actuel des consultations concernant la rougeole ?  

Dr. Maurice Tinguiano : Bon en ce qui concerne la rougeole, l’évolution est périodique et elle vient parfois par surprise. Durant les années 2010 jusqu’en 2015, on avait assisté à un pic épidémiologique qui nous a même imposé une assistance internationale. Des ONG sont venues, il y a eu une vaccination de masse et la situation s’est atténuée. Mais curieusement depuis le début de l’année 2021, on a constaté que les cas commencent à revenir, on en a enregistré beaucoup. Et cette année 2022, a connu une grande flambée. Une flambée qui pourrait être due d’une part à l’affaiblissement du niveau de vaccination des populations et d’autre part à l’augmentation démesurée de la population infantile. Les enfants sont nombreux dans les écoles, les foyers, les quartiers etc.

Il y a aussi un autre facteur déterminant, des mamans  font des enfants maintenant tandis qu’elles mêmes n’ont jamais reçu de vaccin quand elle en avait l’âge. Dans ce type de cas, si la mère a déjà fait la rougeole, elle peut transmettre sa résistance à son enfant qui peut rester jusqu’à 9 mois sans contracter le virus. Il y a aussi des enfants vaccinés qui font de la rougeole, mais des formes de rougeole moins sévères.

Le troisième cas, ce sont des enfants jamais vaccinés, ils développent très tôt la rougeole et il n’y a aucun élément de résistance dans le corps. Donc ils font des complications respiratoires accompagnées de toux et généralement il y a de fortes chances que ces enfants meurent. Toutefois cette année, comparativement aux autres, c’est le taux de mortalité qui a baissé. Mais le niveau de contamination est intense. Parce que depuis le mois de janvier 2022, sur 10 consultations au sein de notre service, 6 sont dans le cadre de la rougeole. Donc environ 60% des enfants que nous consultons depuis le début de l’année souffrent de la rougeole. Face à une telle situation, en temps normal on devrait rendre les traitements et la prise en charge gratuits.

Guineenews : Alors le taux de mortalité due à la rougeole à Kankan a baissé mais le taux de contaminations est en hausse. Comment cela s’explique-il ?

Dr. Maurice Tinguiano : Il faut dire que du côté des parents, il y a une certaine prise de conscience dans la fréquentation des hôpitaux. Avant, dès qu’on parlait de rougeole, ils faisaient beaucoup plus recours à la médecine traditionnelle. On donnait aux enfants du miel, du vin blanc et plusieurs types de décoctions jusqu’à ce que des complications, comme des difficultés respiratoires surgissent. Mais de nos jours, ces pratiques ont tendance à être abandonnées. Les gens font rarement recours à elles. Dès qu’un enfant est malade, on le conduit à l’hôpital pour voir un agent. Et si l’agent est bien formé, averti et qu’il connaît les signes de la rougeole, il fait les traitements et l’enfant a plus de chances de guérir.

Donc, on peut dire qu’il y a une prise de conscience du côté de la population à ce niveau. Aussi il faut ajouter que les agents de santé particulièrement les pédiatres de nos jours sont de plus en plus informés à la fois sur le diagnostic et sur les schémas ou le protocole national qui leur permettent de faire une prise en charge efficace. Mais surtout c’est la population qui a confiance en la médecine moderne face aux cas de rougeole.

Enfin, il y a aussi le poids de la vaccination même si la couverture n’est pas à 100%, certains parents viennent souvent dans les centres de santé pour se faire vacciner. Et même si cette vaccination ne protège pas non plus à 100%, elle limite les dégâts grâce à la présence des anticorps face au virus. Et généralement cette résistance permet d’éliminer le virus même si le malade fait des signes comme le rougissement des yeux, la toux ou encore la fièvre, le rhume mais il n’arrive pas a atteindre les grands organes comme le cerveau ou le les poumons.

Guineenews : Nous sommes au terme de notre entretien. Quel message souhaitez-vous véhiculer ?

Dr. Maurice Tinguiano : La première recommandation, c’est la vaccination. Il faut que les parents soient conscients que le calendrier vaccinal est un droit pour les enfants et un devoir pour eux. Deuxièmement, même si comme je l’avais dit un peu plus haut à ce niveau, nous constatons une amélioration, lorsqu’un enfant est déjà malade, il faut éviter de faire recours à des médicaments traditionnels ou à l’automédication. On a déjà eu ici des enfants souffrants de la rougeole qui ont été soumis à la consommation du vin blanc. Arrivé ici, nous avons vu qu’en plus de la rougeole, ces enfants étaient aussi très affaiblis sous l’effet de l’alcool. Donc c’est le lieu pour moi de le dire, le vin blanc, ou encore le miel ne soignent pas du tout la rougeole.

 

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