La teinture est l’une des plus anciennes activités artistiques et artisanales qui se pratique un peu partout en Guinée et notamment dans la région de Kankan.
Bien qu’elle soit assez méconnue et moins prisée, cette activité permet à de nombreuses femmes de la contrée de pouvoir joindre les deux bouts.
Nous nous sommes rendus dans le Centre d’Autonomisation des Femmes de Kankan, l’un des rares endroits de la région où cette activité se pratique encore.
Les femmes qui viennent ici pour pratiquer au quotidien cette activité, en plus de subvenir à leurs besoins et celles de leurs progénitures, cherchent aussi à participer à la valorisation du textile guinéen.
Marie Jeanne Kanisso Camara, l’une des teinturières que nous avons rencontrées, nous retrace son parcours dans ce métier : « J’ai commencé cette activité à bas âge à Conakry, et ça va me faire plus de 20 ans que je suis dans la teinture. Quand je commençais à Conakry, j’étais très novice. Avec la passion et le courage actuellement, je suis à Kankan et je continue toujours à faire de la teinture avec d’autres femmes passionnées par ce métier. Nous présentons nos produits lors des rares événements qui se produisent ici, comme durant le Festival sur le Milo. Nous suivons aussi des tas de sessions de formations avec des formateurs pour diversifier nos productions. En ce moment même nous sommes en train d’expérimenter une nouvelle forme de teinture appelée en langue Maninka « Bököla ». C’est une façon de faire de la teinture avec la boue et des produits locaux qu’on retrouve uniquement que dans nos forêts. Au jour d’aujourd’hui, nous sommes en train de restituer cela aux femmes militaires et ces dernières petit à petit, nous sommes sur le point de les transformer en de véritables teinturières », nous a-t-elle affirmé.
Cependant, ces femmes dans l’exercice de ce métier, sont confrontées à de nombreux risques dûs au manque de certains outils pourtant indispensables comme : « Le manque de gants à main, cela nous fatigue beaucoup. Nous avons aussi besoin de suffisamment de bavettes et de lunettes pour nous prévenir contre les odeurs chimiques qui se dégagent au moment où nous travaillons. Tous ces outils indispensables pour notre sécurité coûtent malheureusement très cher. En tant que responsable, c’est moi qui suis obligée de mettre le plus souvent la main dans la poche, ce en dépit de la conjoncture que nous traversons. Les tissus de bazin avec lesquels nous, nous faisons la teinture, le plus souvent c’est moi qui mets encore la main à la poche pour acheter ces tissus au marché pour ne pas qu’on reste sans travailler. Avant on prenait les bazins riches à 250.000 GNF mais actuellement si tu n’as pas 800.000 ou 850 000 GNF aujourd’hui tu ne peux pas en avoir. Quelquefois aussi, nous sommes obligés d’aller au Mali ou jusqu’au Sénégal, pour avoir les tissus de bazin à des prix moins coûteux. Les colorants que nous utilisons durant le travail coûtent aussi très cher et ce n’est pas du tout facile d’en trouver à Kankan. Après la teinture et le séchage, on envoie les pagnes chez les hommes qui vont les tapisser à l’aide des coups de gourdin, eux aussi ils faut les payer ce service,. Donc voyez-vous, ça fait tout un tas de dépenses à effectuer avant que nous ayons un produit fini. Après la vente, on a presque rien comme bénéfice », a-t-elle déploré.
Au-delà de toutes ces difficultés, les teinturières guinéennes et notamment celles de Kankan, sont obligées de faire face à la concurrence des contrefaçons. Saran KABA, une autre teinturière du CAF à Kankan, interpelle les décideurs: « Actuellement, il est très difficile pour nous de vendre nos textiles en raison de l’abondance de tissus Fareyaré (contrefaçon). Les produits contrefaçon coûtent moins cher. Tandis que les nôtres, au vu de nos difficultés, nous sommes tenus de les vendre cher et avec très peu de bénéfices. Donc cette concurrence déloyale est devenue notre plus gros problème aujourd’hui. Il faut que l’Etat nous aide à sensibiliser les citoyens à porter nos produits car elles reflètent notre identité, mais c’est le contraire en Guinée, que nous constatons. Sinon dans les autres pays comme le Burkina, le Sénégal, ou le Mali, ils ont tous su comment valoriser leurs tenues. Nous demandons aux autorités actuelles de nous aider à combattre les produits de contrefaçon. Cela nous permettra de nous prendre en charge aussi et de valoriser nos produits locaux. Nous demandons à ce qu’on nous vienne en aide, cela ne veut pas dire forcément qu’il faut nous donner de l’argent. Mais il faut nous faciliter l’accès aux produits qu’on utilise pour les mélanges, nous aider aussi à trouver des équipements, comme ça, nos pagnes ne seront plus chers sur le marché. Nous pourrons réduire nos prix sur le marché. Il faut vraiment agir dans ce sens, sinon ce métier risque de disparaître et c’est notre identité qui risque d’en pâtir« , a-t-elle alerté.
A préciser qu’en Guinée, les autorités nationales tentent de lutter contre la prolifération des tissus de contrefaçon mais jusqu’ici, les politiques qui sont mises en œuvre dans ce sens, peinent à produire des résultats escomptés.