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Indopacifique, région de tous les dangers?

Par Youssouf Sylla, analyste.

La rivalité sino-américaine prend aujourd’hui de l’ampleur dans cette région qui est au centre d’importants enjeux géostrategiques. Le dernier événement en date, ce sont les manœuvres militaires chinoises, en ce début du mois d’avril, simulant l’encerclement de l’île de Taiwan. Par ces actes, la Chine entend riposter vigoureusement à la visite de Stai-Ing Wen, Présidente de l’île aux États-Unis où elle a conféré avec quelques députés, et démontrer qu’elle forme avec cette île une seule entité. En effet, depuis sa fulgurante ascension économique, technologique, politique et militaire ces dernières décennies, les ambitions chinoises dans le vaste espace de l’indopacifique qui abrite Taiwan sont de plus en plus fortes. Le moins que l’ont puisse dire, c’est que ces ambitions heurtent frontalement la « pax americana » qui y régne depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Indopacifique, une expression qui divise

Pour la Chine, l’indopacifique est un concept géopolitique qui traduit la volonté des Etats Unis et de ses principaux alliés (Australie, Japon, Nouvelle Zélande, Royaume Uni) de l’encercler dans l’immense espace qui va de l’océan indien à l’océan pacifique. Par conséquent, elle rejette ce concept qu’elle considère comme étant hostile à ses intérêts. En dehors de l’idée que se fait la Chine du concept, Vaimiti Goin dans son article « L’espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance » (Géo confluences, 2021), explique que le terme d’indopacifique recouvre un double concept. « Premièrement, un concept géographique, qui traduit l’espace allant des côtes de l’Afrique de l’Est au Pacifique oriental, illustrant un continuum entre les océans Indien et Pacifique, et qui recouvre plus de 50 % de la surface terrestre ainsi que les trois quarts de la population mondiale. Deuxièmement, un concept idéologique qui traduit des visions géopolitiques s’accordant sur le constat d’une montée en puissance de la Chine ».

 « Rêve chinois » de Xi Jinping

Quelles sont alors les grandes ambitions de la Chine dans cette région ? Elle entend y réaliser son « rêve » depuis l’installation en 2013 de Xi Jinping à sa tête. Reconduit récemment pour un troisième mandat avec des pouvoirs renforcés, le Président Xi, outre sa ferme détermination de récupérer, de gré ou de force, l’ile de Formose (Taiwan), parce que relevant de la souveraineté chinoise, entend également revendiquer en faveur de son pays, la propriété de certaines autres îles en mer de Chine orientale (îles Senkaku/Diaoyu) et en mer de Chine méridionale (îles Parcels, Spartly, etc.). Dans le premier cas, la Chine est en opposition avec le Japon, dans le second cas, en opposition avec les Philippines, la Malaisie, le Vietnam, le Brunei, etc. Il se trouve que certains de ces pays (le Japon et les Philippines) sont des alliés traditionnels des Etats Unis, notamment sur le plan militaire. Aussi en sa qualité de première puissance maritime, les États Unis, sont réfractaires à toute tentative de restriction à la liberté de navigation par la Chine en mer de Chine méridionale.
En plus de sa politique de fermeté sur les questions territoriales, la Chine déploie dans la région d’importants efforts de séduction pour attirer dans sa sphère d’influence, nombre de pays insulaires du pacifique. Ces efforts sont économiques (initiative de la « Ceinture et de la Route » qui prévoit de gros investissements dans le domaine infrastructurel), diplomatiques (fourniture de vaccins et masques lorsque le Covid19 sévissait), et culturels (promotion de la culture chinoise à travers les instituts Confucius).

Riposte américaine face à la montée de la Chine dans l’indopacifique

Barack Obama est le premier à avoir pleinement pris la mesure du rêve chinois en Asie et de l’impact de sa concrétisation sur la « pax americana » dans cette région. Le « pivotement stratégique » de la politique étrangère américaine vers l’Asie, région jugée prioritaire pour des raisons stratégiques et économiques fut donc sa réponse. Depuis lors, diverses initiatives, aujourd’hui amplifiées par Joe Biden, compte tenu de la taille des enjeux en cours, sont mises en place sous l’égide des Etats Unis en étroite collaboration avec ses principaux alliés, pour contrer la montée en puissance de la Chine dans la région. Il s’agit notamment du Quad, du Partenariat transpacifique et de l’AUKUS.
Né en 2004 dans un contexte de catastrophe naturelle (Tsunami en Indonésie), le Quad est une plateforme informelle de coopération diplomatique et militaire qui réunit seulement les USA, l’Inde, l’Australie et le Japon dans le but de faire de l’indopacifique, un espace libre et ouvert. C’est en 2017 que le Quad est revenu à la surface, avant d’être récemment renforcé par Biden face à la Chine, qui le qualifie d’ailleurs d’OTAN asiatique. En ce qui concerne le Partenariat transpacifique signé sous Obama en 2015 entre les Etats Unis et une douzaine de pays asiatiques, à l’exception de la Chine, il fut affaibli par Donald Trump qui en retira son pays dès son installation à la maison blanche. Pour ce qui est enfin de l’AUKUS, cette alliance militaire entre les Etas Unis, le Royaume Uni et l’Australie, elle vise à contrer les ambitions chinoises dans l’indopacifique, notamment par la fourniture à l’Australie dans les prochaines décennies de quelques sous-marins à propulsion nucléaire. Bref, la riposte américaine se veut ambitieuse à la hauteur du défi que représente à ses yeux la Chine dans l’indopacifique. Mais au même moment, elle crée les conditions d’un grand rapprochement entre la Chine et la Russie, puissance militaire de poids se trouvant en situation d’adversité systémique avec les Etats Unis dans la guerre russo-ukrainienne qui dure depuis plus d’un an.

En définitive, l’exacerbation des tensions entre les Etats Unis et la Chine dans l’indopacifique présente de réels dangers lorsqu’on sait que des deux cotés chaque puissance s’active à renforcer ses alliances militaires.  Les Etats Unis avec ses partenaires occidentaux, même si la France, par la voie autorisée de son Président Macron vient de semer, après sa récente visite dans l’empire du milieu, le doute dans le camp occidental, en déclarant à la presse que l’Europe, à cause de son autonomie stratégique, ne devrait être suiviste ni des Etats Unis ni de la Chine. En ce qui concerne la Chine, il faudrait s’attendre à un renforcement de son alliance avec la Russie, notamment dans l’indopacifique depuis le communiqué conjoint de Vladimir Poutine et de Xi Jinping signé le 21 mars dernier lors de la visite du second au premier. Un communiqué qui désigne les Etats Unis comme un danger pour la paix mondiale.

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