« Il faut rendre à Dalaba son prestige d’antan »
Située à 325 kilomètres de la capitale Conakry, la préfecture de Dalaba a un micro climat tout particulier et des sites touristiques pittoresques. Ce qui a valu à cette préfecture l’admiration de bon nombre de personnes depuis des lustres.
A l’époque coloniale, les blancs dont le gouverneur de l’Afrique Occidentale Française (AOF), attirés donc par cette petite ville, ont construit des infrastructures magnifiques et extraordinaires. Malheureusement, la plupart des ces maisons coloniales ne sont aujourd’hui que l’ombre d’elles mêmes.
Pour comprendre l’historique de ces remarquables œuvres, Guinéenews s’est entretenu avec l’historien Elhadj Ibrahima Bah qui est aussi natif de cette ville.
Guinéenews© : en plus d’être historien, vous êtes natif de Dalaba. C’est-à-dire vous avez été témoin des moments de gloire de cette ville. A ce titre, parlez-nous de ce quartier qu’on appelle Cité des Chargeurs ?
Elhadj Ibrahima Bah : Dalaba a un micro climat tout particulier. Donc à la création de la ville en 1932, beaucoup de blancs y venaient en touristes. A cause de ce climat, l’administration coloniale avec le concours d’El hadj Oumar Diogo qui était le chef de canton, a décidé de créer un centre qu’on appelait le centre des estivants et des convalescents qu’on a fini par appeler ‘’l’Etat Conval’’. C’était le lieu de repos des fonctionnaires coloniaux et des convalescents qui venaient de toute l’Afrique de l’Ouest. Les malades ou blessés des colonies de l’Afrique occidentale française, ne pouvant être rapatriés en France, venaient pour s’y reposer.
Ils ont construit une trentaine de villas indépendantes les unes des autres. Il y avait la villa du levant, la villa Cisal 1, Cisal 2, il y avait Bougainvillier, la Rose etc.… Toutes ces villas étaient entourées de Lantana (arbre fleuri) bien taillé qui servait de clôture très touffue et rien ne pouvait y pénétrer. Chaque Villa était équipée, chaque d’elle avait deux travailleurs. L’un qu’on appelait le boy et l’autre le blanchisseur. Tous les Européens de l’Afrique de l’ouest au lieu d’aller en France pour leurs vacances venaient les faire à Dalaba au point que sous le régime colonial, la fourniture obligatoire se faisait. Pour chaque famille qui avait un troupeau de bœufs, on les remettait des bouteilles et on disait à chaque père de famille d’envoyer une bouteille chaque matin dans telle ou telle villa. Donc les parents envoyaient obligatoirement de bouteille remplie de lait frais. Et les blancs étaient exigeants. Il fallait que ce soit du lait bien propre, sans aucun poil. C’est le chef de canton qui assurait en grande partie le ravitaillement des blancs. Parfois ils payaient mais à des prix dérisoires.
Donc ‘’l’Etat Conval’’ a été crée par le régime colonial pour le repos des estivants. Il y avait un gestionnaire, El Hadj Ousmane Sow qui gérait 75 travailleurs, tous des guinéens de Dalaba. Il y avait quelques rares maîtres cuisiniers européens.
Dans la même zone, il y avait l’hôtel des chargeurs réunis qui est un établissement construit par une société française du même nom. C’est-à-dire les chargeurs réunis. C’est eux qui venaient charger les bananes à Conakry. Et quand le bateau venait, il fallait parfois 10, 15 ou même 20 jours pour remplir le bateau. Et comme les marins s’ennuyaient à Conakry, alors ils ont crée l’Hôtel des chargeurs réunis où tous les marins venaient se reposer avant que le bateau ne soit rempli. Et comme c’était un hôtel de luxe, en plus des marins, d’autres européens venaient y passer quelques moments. Il y avait également un restaurant et une grande piscine dans l’hôtel des Chargeurs Réunis qu’on a appelé ensuite, l’hôtel du Foutah au départ des colons et qui est devenu maintenant SIB hôtel.
Elhadj Ibrahima Bah : c’est pratiquement dans la même décennie que tous ces édifices ont été construits. C’est dans les années 33, 34, 35, 36 que toutes ces infrastructures ont été bâties. La villa Jeanine a été construite par le gouvernement de l’Afrique Occidentale Française (AOF) de l’époque. C’était sous le gouverneur Blaster en 1936. Elle était une villa réputée dans toute la sous-région. On disait qu’elle a 100 portes et 100 fenêtres tellement qu’elle sortait de l’ordinaire. Mais était de la légende. Elle n’a pas tout ce nombre de portes et fenêtres. Donc, le siège de l’AOF étant à Dakar, le gouverneur au lieu d’aller en France, venait passer ses vacances à Dalaba. Il a choisi cette ville à cause de son climat qui ressemble beaucoup à celui de l’occident. C’est d’ailleurs à cause de ce climat que Dalaba a été surnommée la Suisse de l’Afrique. M. Blaster avait une femme chercheuse qui a adoré aussi Dalaba. Elle a fait une œuvre remarquable sur les forgerons du Fouta Djallon.
Quant à la Case à palabre qui se situe à une centaine de mètres de la villa, elle a été construite en 1935. C’est dans cette case que se retrouvaient les 12 chefs de canton du Fouta Djallon avec le gouverneur de colonie. La case servait aussi de lieu de rencontre des chefs de village et des notables. Plusieurs grandes décisions politiques ont été prises dans cette case.
Chaque chef de canton avait son propre fauteuil avec des signes particuliers. C’est une case extraordinaire, construite par des vrais architectes peuls. Si vous regardez à l’intérieur, le mur est gravé de figures géométriques qui ont toutes des significations. Tous les symboles ont une expression toute singulière. C’est-à-dire, rien n’a été gravé par hasard. Chaque illustration a une signification symbolique. Le toit est fait de Léfa (nom de l’éventail en poular, ndlr) tressé.
Je salue de passage la réhabilitation de ces deux monuments, parce que l’une de nos préoccupations ici était la restauration de la villa Jeannine et de cette case.
Guinéenews© : Dalaba abrite également la villa de Mariam Makeba. Comment cette artiste Sud-africaine est aussi tombée sous le charme de cette ville?
Elhadj Ibrahima Bah : c’était pendant la première République, sous le régime de feu Ahmed Sékou Touré. Cette citoyenne d’Afrique du Sud était comme les autres noirs de ce pays victime de discrimination raciale et elle a trouvé l’asile en République de Guinée. Pour la petite histoire, c’est vers les années 70 que Myriam Makeba, en compagnie du président Sékou Touré lors d’une tournée officielle, a découvert cette ville et est tombée amoureuse d’elle. Elle a donc sollicité s’y installer.
C’est ainsi que le président Sékou Touré a ordonné au chef d’arrondissement de diligenter la réalisation d’une case pour Myriam Makeba. Il a fait venir les architectes les plus modernes de l’architecture peule. Sur les murs de la case vous verrez des architectures remarquables et le plafond a été fait avec des Lefa et beaucoup d’autres arts d’embellissements. Le toit à l’époque était non seulement couvert de tôles, mais on y mettait également de la paille teintée. Une paille très rare et donc très chère. Quand la construction a été achevée, Myriam Makeba a, elle-même, meublé sa case et elle venait y séjourner tout le temps. Avec un domaine de près de deux hectares, elle a fait un jardin merveilleux avec des plantes et des fleurs qu’elle a fait venir de l’extérieur de la Guinée. Il y avait du Jasmin, du Canarda, du Ravenala, du Diacaranda et plusieurs autres plantes exotiques qui embellissaient la cour de cette case. C’était magnifique et les photos anciennes de cette case peut illustrer tout ce que je viens de dire. C’est dans cette case qu’elle a eu beaucoup d’inspirations pour ses chansons populaires qu’elle a chanté en faveur de la République de Guinée. D’ailleurs, la grande terrasse servait de répétition pour son orchestre. Le sous-sol de la case servait de garage pour sa voiture.
Cette case qui malheureusement tombe aujourd’hui en ruine est pour nous une chose regrettable. Tout le monde regrette de voir cette œuvre tant bien faite, tomber en ruine. Le gardien qui prenait soin de la case a dû abandonner parce qu’il n’était pas payé. Il est là, il la regarde mourir sans pouvoir rien faire parce qu’il n’a pas les moyens de l’entretenir. Une maison s’entretient et l’entretien coûte cher. Il y a quelques trois années, le système des Nations Unies a voulu réhabiliter cette case pour en faire ne serait-ce que pour les visiteurs. Malheureusement ce projet n’a pas encore vu le jour.
Guinéenews© : vers la sortie de la ville en partant vers Labé, il y a un jardin qu’on appelle le jardin Chevalier, pouvez-vous revenir pour nos lecteurs sur l’historique de cet autre jardin aussi historique ?
Elhadj Ibrahima Bah : le jardin Chevalier, c’est une histoire pittoresque. Un botaniste français, M. Chevalier à la fin de ses études, est venu en Afrique pour superviser des troupes. Le hasard a fait qu’il s’est retrouvé à Dalaba porteur de quelques pins étant botaniste. Il est même de l’académie française de Botanique. Donc en 1908, il est arrivé ici tout jeune. Au vu de la terre, il a ramassé une petite poignée et a dit cette terre ressemble à ma terre de Normandie. Il a essayé d’expérimenter ces pins en y plantant quelques dizaines. Il les a confiés à un jeune d’ici qu’on appelle Thierno Oumar, celui-ci a bien pris soin de ses arbres. Et à son retour en 1912, les pins avaient grandis, d’ailleurs ces pins existent encore aujourd’hui.
Après il y a eu une coïncidence. C’était l’année d’élection du chef de canton. Thierno Oumar Bah auquel Chevalier avait confié ses pins, était candidat. Il y avait beaucoup d’autres candidats aussi. Lors du vote, chaque citoyen devait s’aligner derrière le candidat de son choix. Et quand ils sont venus au vote, Chevalier est allé s’aligner derrière Thierno Oumar et tout le monde a dit même le blanc l’a choisi, moi aussi je vote pour lui. Et cela a favorisé son élection comme chef canton de Dalaba. Donc Chevalier a donc confié de nouveau son Jardin à Thierno Oumar qui est maintenant Chef de Canton. Il y planta toutes les essences qu’il a ramassées à travers le monde. Et ça lui a réussi.
C’est pourquoi au jardin Chevalier, vous trouverez toutes les essences. Il ya des Kanfriers, des Peupliers, des Pommiers, des Cerisiers, du Lantana, les Eucalyptus, du Jacaranda, du Thé, de l’hévéa, des pins, le Mélina, le Quinquina etc … Il y avait plus d’une centaine d’arbres venus de partout, de l’Europe, de l’Amérique. Il y a même un arbre qui est venu du Japon qu’on appelle le Djinkobiloba qui est une plante exotique, médicinale qui empêche aussi les incendies de forets.
Ce jardin a longtemps vécu parce qu’il était protégé. Chaque plante portait une étiquette de nom scientifique et de nom local de l’arbre. Malheureusement, à l’indépendance on a dit que tout ça c’est colonial, donc des individus sont venus arracher les plaques. Ce qui fait qu’aujourd’hui vous ne pouvez plus identifier exactement les plantes. Il n’y a que des plantes à parfum qui conservent encore leurs odeurs, que vous pouvez reconnaître.
Guinéenews© : une autre histoire de la ville de Dalaba, ce sont les vestiges qu’on aperçoit dans le quartier Sily. On raconte que ces maisons appartenaient aux parachutistes français. C’est pourquoi même le secteur est nommé Paraya. Qu’en savez-vous?
Elhadj Ibrahima Bah : ce n’est pas par hasard que ce secteur porte le nom de Paraya. Parce que c’était le quartier des parachutistes. Malheureusement il a disparu. En fait, vers les années 1938, cette zone a été réservée pour l’entrainement du Commando français. Donc, en réalité ce quartier avait été acheté par l’armée française pour servir de camp militaire pour les parachutistes. C’est là qu’ils venaient s’entraîner. Il y avait par exemple ce qu’ils appelaient le chemin du combattant où il fallait courir, ramper, monter sur des échelles et marcher sur des cordes. Il existait également un champ de tirs. Les citoyens de Dalaba étaient même habitués aux crépitements des armes à longueur de journée. A quelques mètres de là, il y a un grand rocher. C’est là ils faisaient l’alpinisme. Il y avait des cordes qui étaient suspendues à l’aide desquelles, ils grimpaient et descendaient. La forêt de pins qui s’y trouve actuellement n’était pas encore créée.
Vers la carrière, il y avait un poste militaire et personne n’avait accès. C’est là bas se trouvait le logement des troupes. Malheureusement à l’indépendance, les gens ont usurpés les lieux pour les transformer en trypano. Et maintenant, ils ont fini de tout vendre et les gens y ont habité. Il ne reste là-bas encore que la maison du colonel et celle du capitaine.
Beaucoup de choses ont existé à Dalaba. Les maisons qui abritent aujourd’hui l’institut des vétérinaires ont été construites par les italiens. On les appelait construction moderne et certains de ces établissements devraient abriter le lycée moderne français.
Guinéenews© : dans les périphéries du centre-ville, il y a un pont qu’on appelle communément pont de Dieu. A proximité, nous avons une forêt au milieu de laquelle on aperçoit aussi un autre vestige qui ressemble à une maison de blancs. Savez-vous un peu sur l’historique de cette maison ?
Malheureusement, cela a coïncidé à notre indépendance, et tout a été abandonné. Le régime qui est venu après n’a pas pu valoriser ce que les blancs ont laissé. Il y avait beaucoup de projets autour de ce pont de Dieu qui est très attractif. L’Institut Français des Fruits et Agrumes coloniaux (IFFAC) se trouvaient également là-bas.
Guinéenews© : qu’est-ce cela vous ressentez en tant que citoyen de Dalaba, de voir tous les vestiges de l’histoire de la ville tombés en ruine?
Elhadj Ibrahima Bah : je suis triste et vraiment malheureux. Quand je me souviens qu’à mon enfance, le camp des parachutistes était un bijou, un joyau, l’état Conval était un centre impeccable, quand je me souviens de l’hôtel des Chargeurs réunis, quand je vois la Villa Jeannine réputée, à l’abandon, je me sens très malheureux. Si j’avais les relations ou les moyens qui pouvaient restaurer ne serait-ce qu’une partie de ces monuments, je l’aurais fait volontiers. C’est pourquoi je salue ici la réhabilitation de la villa Jeannine lors des fêtes tournantes. Je souhaite que les nantis ou les personnes qui ont les moyens, réhabilitent les autres lieux pour la postérité. Voila donc l’appel que je lance à toutes les personnes de bonne volonté de rendre à Dalaba son prestige d’antan. Donc mon regret, c’est de voir tout ça périr, peut-être nous, nous allons disparaître, sans revoir une Dalaba aussi reluisante qu’à notre temps d’enfance.
Entretien réalisé par Nassiou Sow pour Guinéenews©