Peut-on rester muet face à cette nouvelle tendance vers laquelle s’élancent beaucoup de musiciens guinéens, qui concoctent des albums couronnés de chansons de louanges à l’actif de Paul ou de Pierre ?
A cette question, il est temps de réfléchir pour encore mieux ranger la musique guinéenne, afin de lui redonner sa place d’antan dans le concert des grands produits culturels, consommables sur l’échiquier international.
Le passé illustre de la musique guinéenne s’était consolidé sur la base des sonorités et rythmes authentiques, et de compositions aux thèmes variés, véhiculant des messages éducateurs, réalistes et surtout sensibles à l’écoute.
Chaque mélomane à l’écoute de ces plages musicales, se reconnaissait dans son quotidien, et en tirait profit des consolations et appels des artistes, jouant leurs véritables rôles de conservateurs et de responsables de la tradition orale, musicale et poétique.
Donsokè de l’orchestre Kèlètigui et ses Tambourinis est bien cette composition réussie de feu Manfila Dabadou Kanté, qui relate l’amour inestimable d’un chasseur à l’endroit d’une femme. C’est une chanson, qui va droit au cœur de toute cette confrérie de chasseurs de tout le continent.
Le Dragon de la chanson africaine, l’inimitable Aboubacar Demba Camara en compagnie du célèbre Bembeya Jazz National, a fait pleurer et changer d’idées, à tant d’aventuriers guinéens et de la sous-région à travers l’inoxydable chanson Mobèni baralé. Une œuvre musicale de portée patriotique, qui interpelle tous à l’édification nationale.
Les regrettés Dyély Fodé Diabaté et Lancinè Kanté du Horoya Band National, sous la direction de Papa Métoura Traoré, nous ont longtemps bercés à travers des chansons d’amour. Siroko, Sassilon, Boulan sont entre autres des mets musicaux, qui adoucissent le cœur de tout être comblé d’affections au flanc du désespoir.
Sara n’est point une dédicace aux riches. Sara reste la chanson des hommes qui tiennent parole. C’est le résumé de cette célèbre chanson à variation de tempos de l’orchestre Balla et ses Balladins. La voix de feu Doyen Soba Manfila Kanté, soutenue par ce légendaire solo de guitare du polyvalent feu Kemo Kouyaté, nous rappelle encore les années de gloire de la musique guinéenne.
Pour ne citer que ces quelques titres de nos orchestres nationaux parmi tant d’autres qui ont fait danser, et chanter nombreux adeptes de notre culture sur le continent, force est d’abord de constater, pour enfin oser le dire, que la plupart de nos talents actuels, cultivent leurs prouesses dans un champ musical plus engraissé d’inspiration pour la culture et la réussite des chansons de louanges.
Pour quelle fin s’enracinent-ils nos artistes pour ces chansons de louanges qui devient un newlook épidémique ?
Il est évident que ce rôle et devoir ancestrale est l’apanage des griots qui transmettent de génération en génération l’histoire. Sur cette lancée, ils sont prioritaires et ne peuvent êtres privés de leurs vocations qu’est de magnifier ou glorifier à travers des chansons de louanges. Ce sont des témoins de l’histoire qui doivent jouer ce noble métier pour la transmission des événements aux générations futures. C’est la pratique abusive dans la musique moderne de cette catégorie qui attire notre attention et incite notre plume.
Qu’à cela ne tienne, il est rare d’écouter aujourd’hui un album sur le marché guinéen du disque, qui ne regorge dans la nomenclature de ses titres et contenus des Yamariyo. Des éloges qui sont lancés à l’endroit d’un, de deux ou de plusieurs bienfaiteurs ou mécènes. Certes il y en a bien quelques exceptions à cette règle. Et c’est bien une infime partie de ces artistes que l’on pourrait compter au bout des doigts, et qui constituent aujourd’hui les portes flambeaux de la musique guinéenne.
Dans le souci d’ameublir notre réflexion, nous avions relevé quelques points de vue pour mieux éclairer la lanterne des lecteurs.
La quasi-totalité des proches ou fans de plusieurs artistes pointés du doigt dans la pratique de cette catégorie de facilité musicale, ont tendance à s’ériger en véritables avocats pour la défense de la réputation de leurs idoles.
A la question de savoir le pourquoi de cette tendance qui est notoire au sein des albums, ces aveugles défenseurs avec passion commencent tout d’abord à soutenir l’aspect donation, c’est-à-dire la mise en valeur des cadeaux qui découlent de cette pratique. D’aucuns plus sensibles que les précédents rajoutent : « Ces artistes ne gagnent rien avec les producteurs. Pour vivre, ils sont obligés de faire face à ces bienfaiteurs. Et c’est le seul jour de dédicace indiqué, pendant lequel il faut appliquer ce plan tactique de revenu pour subvenir à court terme à ses besoins et à ceux de sa famille ».
De ces deux arguments de défense, nul n’aborde le souci de perfection et d’universalisation de la musique guinéenne.
Chanter un opérateur économique, rendre un vibrant hommage à ces généreuses grandes dames des différentes associations (sèrès) de la capitale, comme ils savent déjà le faire nos artistes, n’est pas mauvais en soi. C’est vouloir résoudre sa pauvreté matérielle, ou son vide d’inspiration artistique en prostituant la musique guinéenne, qui est scandaleux pour un artiste.
La musique guinéenne a certes connu des moments où les chansons de louanges à l’endroit d’un seul homme et d’un seul parti fusaient de tous les côtés. Malgré leurs contenus flatteurs, il est indéniable que ces compositions d’alors, du genre musical à base rythmique très original, sont encore recevables et consommables au goût du nostalgique mélomane de la musique guinéenne des années passées.
Famadenkè, Wara, Senba du Horoya Band National, Chemin du PDG du Bembeya Jazz National, PDG de feu Sory Kandia Kouyaté, de Balla et ses Balladins, des Amazones de Guinée dans l’album au cœur de Paris, Sékou N’fa Idyo de l’ensemble instrumental de Kankan et la reprise par le 22 Band, Touré Barika de feu Mama Africa Myriam Makeba et tant d’autres airs de même concepts, sont jusqu’alors perceptibles aux oreilles. A rappeler, qu’à côté de cette catégorie de chant, avoisinaient d’autres compositions musicales à portées instructives et constructives.
Il est évident que la pérennité du succès d’une œuvre musicale dépend en plus de son arrangement, du caractère que revêt son contenu. L’expérience a prouvé que bon nombre d’albums tirent souvent leur suprématie à travers la simplicité des thèmes abordés.
Des compositions aux arrangements bien réussis et aux messages très porteurs doivent être la particularité de nos artistes.
Le créneau de la musique guinéenne est devenu de nos jours un passage sans filtre. Musicien qui veut l’être, s’engage et court derrière les producteurs pour mettre sur le marché n’importe quel produit. Cela se passe bien sûr sous les yeux de plusieurs avertis de la chose musicale. Une réflexion responsable pour asseoir des structures adéquates doit être menée, pour sortir nos musiciens de cette pratique facile, qui ne concourt point à l’essor de la musique guinéenne riche et variée.
Abandonnons ces chansons de louanges qui génèrent des profits et qui asphyxient la musique guinéenne. Aller vers la source à la rencontre de notre riche folklore, auprès des sages, des conteurs, de toutes autres personnes ressources, doit être une des initiatives à prendre par nos artistes pour valoriser notre culture.
Cet esprit de recherche a illuminé le chemin de plusieurs artistes qui cartonnent fort et qui ambitionnent de véritables carrières, différentes de celles feu de pailles ou gagne-pain qu’embrassent ces musiciens dévoués pour la cause des chansons de louanges.
Les artistes doivent jouer un rôle d’autant plus important car, la poésie, la musique, le théâtre et autres, constituent des arts vivants intimement liés à la vie quotidienne.
L’existence de ces artistes doit représenter beaucoup plus qu’une distraction, un besoin, un élément indispensable à chacun, c’est pourquoi l’artiste doit se considérer être un des points centraux de la société africaine.
Peut-on tous chanter pour un profit au détriment de la musique guinéenne ?
A vos réflexions chers lecteurs.